C’est demain que la Commission des lois du Sénat arbitrera l’ensemble des amendements déposés sur le projet de loi Renseignement. Petit tour d’horizon de quelques-unes des propositions trouvées dans la liasse des 257 pages que nous avons décortiquées.
Il y a d'abord l’amendement Pas de surveillance massive, mais presque (COM-13) du groupe socialiste au Sénat, qui admet que les outils de renseignement que les parlementaires s’apprêtent à voter viseront un « nombre considérable de données collectées ». Clair, net, concis.
Il y a l’amendement Guillotine (COM-41). L’UMP Philippe Bas, rapporteur et président de la commission des lois, veut que les procédures d’urgence soient un peu plus encadrées. Lorsque face à une « menace imminente » un service estime nécessaire d’espionner, il pourra se passer de l’autorisation du Premier ministre et donc de la CNCTR. Seulement, dans sa rustine, le parlementaire propose que l’autorisation du locataire de Matignon intervienne dans les 48 heures, à défaut de quoi « le Premier ministre serait tenu d’ordonner la cessation de l’utilisation de la technique et la destruction des renseignements ainsi collectés ».
Il y a l’amendement Nerf de la guerre (COM-54) qui propose d’adosser le budget de fonctionnement de la CNCTR sur celui des services du Premier ministre. La commission devra également présenter ses comptes au contrôle de la Cour des comptes. Plus elle aura de besoins en hommes et moyens, plus Matignon devra se serrer la ceinture. Vicieux, on vous dit.
Il y a l’amendement J'ai les moyens de vous faire collaborer (COM-55). Philippe Bas propose en effet de punir le fait d’entraver l’action de la CNCTR. Le risque pour l’agent peu conciliant ? Un an d’emprisonnement et 15 000 euros d’amende pour quiconque refusera de lui communiquer des documents ou des renseignements qu’elle a sollicité, caviardera ces contenus, ou refusera de les partager. Même sort pour celui qui s’opposera à l’exercice des missions de ses propres agents. « Cet amendement institue un délit d’entrave à l’action de la commission pour toute personne empêchant ou ralentissant le contrôle que lui confie la loi » explique son auteur.
Il y a l’amendement Pipeline (COM-56). Le même Philippe Bas veut que la CNCTR dispose non seulement d’un accès « permanent » mais également « direct » aux données glanées par les aspirateurs à vie privée. Il prévoit dans le même temps que la CNCTR puisse exiger du Premier ministre les éléments non tracés dans les registres, ceux qui lui auraient été par exemple soufflés par un lanceur d’alerte.
Il y a l’amendement Je veux tout savoir (COM-57) grâce auquel le rapport public annuel de la CNCTR donnerait un maximum de détails « pour que son activité soit connue avec précision et exhaustivité ». Ajoutons l’amendement COM-147 signé de l’UMP Jean-Pierre Raffarin, qui voudrait que les statistiques soient présentées par technique de recueil de renseignement et par finalité.
Il y a l’amendement Portes-ouvertes (COM-58). En l’état du texte, celui qui veut vérifier s’il fait ou non l’objet d’une mesure de renseignement doit témoigner d’un « intérêt direct et personnel ». Problème : celui-ci ignore par définition si une telle technique, placée sous le secret défense, est effective. Philippe Bas propose donc que la procédure soit ouverte à quiconque souhaite « vérifier qu’aucune technique de renseignement n’est irrégulièrement mise en oeuvre à son égard ». Une porte d’entrée « plus conforme à la réalité », selon lui.

Il y a l’amendement Judiciarisation (COM-59). Quand la CNCTR rend un avis sur une demande d’autorisation, le rapporteur exige qu’elle vérifie également que la mesure relève bien de la police administrative, non du judiciaire. Auquel cas, elle pourrait tirer la sonnette d’alarme.
Il y a l’amendement Aspiration non massive (COM-66). Le même Philippe Bas propose que lorsqu’une sonde est installée chez un opérateur, un site, un hébergeur, etc. afin d’assurer un suivi en temps réel et direct de ses activités, l’autorisation qui précèdera devra être bien individualisée, histoire d’éviter les aspirations trop massives.
Il y a l’amendement GPS (COM-68) du même auteur, qui restreint la possibilité de solliciter les réseaux pour localiser un équipement mobile, sans que les services puissent dans le même temps recueillir l’ensemble des données techniques de connexion des terminaux utilisés.
Il y a l’amendement IMSI catchers (COM-71) : Philippe Bas réintroduit ces fausses antennes relai qui furent remplacées à l’Assemblée nationale par un mécanisme nettement plus musclé et ample. Ajoutons l’amendement COM-149 de Jean-Pierre Raffarin (UMP) qui tend au même objectif, ou le COM-174 de l’UDI Catherine Morin-Desailly, qui restreint cet outil à la seule prévention du terrorisme.
Il y a l’amendement Professions protégées (COM 150), qui veut mettre à l’abri les journalistes, les parlementaires, les avocats, etc. de certaines mesures de surveillance, sauf, prévient Jean-Pierre Raffarin, « s’il existe des raisons sérieuses de croire que la personne visée agit aux ordres d’une puissance étrangère, dans le cadre d’un groupe terroriste ou d’une organisation criminelle ».
Il y a l’amendement Essentiel (COM-164), qui veut que les mesures de surveillance ne soient justifiées que si sont en jeu les intérêts économiques, industriels et scientifiques « essentiels » de la France, et non plus ses intérêts « majeurs », afin de restreindre la porte d’accès. « Une telle rédaction est beaucoup trop large et pourrait potentiellement concerner la vie entière de la nation » estime Catherine Morin-Desailly.
Il y a l’amendement On centralise tout (COM-170), où Catherine Morin-Desailly, encore, souhaite que toutes les données aspirées soient centralisées afin d’en faciliter le contrôle par la CNCTR. « Si ces informations demeurent dans différents services sur l’ensemble du territoire national, le contrôle a posteriori risque d’être en grande partie inopérant. »
Il y a l’amendement P.é.d.a.g.o.g.i.e. (COM-173) qui veut que le fonctionnement des boîtes noires soit expliqué à la CNCTR avant sa mise en œuvre, « étant donné la complexité́ d’un tel dispositif ». Son auteur est toujours Catherine Morin-Desailly.
Il y a l’amendement Préparez vos mouchards (COM-178) de la même UDI. Inspirée par la CNIL, elle veut que les mouchards informatiques programmés par le texte soient limités à ce qui s’affiche sur un écran. « La captation ne permettra donc pas d’accéder à l’ensemble des messages ou des documents qui pourraient être inscrits dans la mémoire de l’ordinateur ou de son disque dur. »
Il y a l’amendement Je fais sauter les boîtes noires (COM-188) du socialiste Jean-Yves Leconte, qui demande la suppression pure et simple de ce dispositif. Pourquoi ? Car le parlementaire « s’oppose à la récupération et l’accumulation systématiques de données ». Ajoutons les amendements COM-218 et COM 219 des écologistes, qui organisent en plus la suppression des sondes et des boîtes noires placées directement sur les infrastructures des acteurs : « La pose de telles boîtes noires fragilise l’ensemble du réseau en étant un point d’affaiblissement important de la sécurité. Elles pourront être mises en place même sans péril imminent alors même que le recours à une telle technique n’est pas possible pour les autorités judiciaires. »
Il y l’amendement SOS Médecin (COM-209) des sénateurs écologistes, qui proposent d’ajouter les médecins parmi les professionnels protégés de certaines techniques de renseignement.
Il y a l’amendement Vive la CNIL (COM-216), toujours des écologistes, qui veulent qu’une personnalité qualifiée pour sa connaissance en matière des traitements automatisés et de protection des données personnelles soit nommée sur proposition de la fameuse Commission nationale de l’informatique et des libertés.
Il y a l’amendement Pots cassés (COM-255) des écologistes, toujours. Quand une personne saisit le Conseil d’État car elle a été victime d’une mesure d’espionnage illicite, la juridiction ne l’indemnisera éventuellement que s’il en fait expressément la demande. Pour les auteurs de cette rustine, « au regard de la complexité de la procédure, il n’y a pas lieu de limiter l’indemnisation aux seuls cas où elle aurait été préalablement demandée ». Ils veulent ainsi que le CE décide d'une telle indemnisation, même en l'absence de demande en ce sens.
Enfin, il y a le superbe amendement Apprentis chimistes (COM-193), signé par trois sénateurs UDI, MM. Guerriau, Kern et Longeot, qui proposent d’autoriser l’espionnage non seulement dans le domaine du terrorisme ou industriel mais également à « d’autres valeurs essentielles à la République », à savoir les intérêts « sanitaires, énergétiques, scolaires, administratifs, culturels, cultuels, sportifs ». Heureusement, ses auteurs l’ont finalement supprimé après quelques coups de téléphones bien sentis. Ouf !