Dans un récent arrêt, la cour administrative d’appel de Paris a raboté quelque peu le droit à indemnisation des opérateurs. Lorsque ceux-ci se retrouvent confrontés aux demandes de communication de Bercy, ils doivent se faire une raison : ces demandes peuvent devenir une charge normale pesant sur les acteurs des télécoms.
Dans un arrêt de mai 2012, la cour administrative d’appel de Paris avait accordé 1,35 million d’euros à France Télécom-Orange. Le litige concernait le droit de communication de l’administration fiscale sur les données détenues par les opérateurs. Un gisement qui permet à Bercy de nourrir ses enquêtes afin d’optimiser la récolte fiscale. Le fisc avait cependant rechigné à indemniser Orange pour ses demandes émises entre 2004 et 2007, au motif qu’aucun texte n’avait prévu la moindre indemnisation pour ce concours sur cette période, pas même le contrat initialement passé avec l’opérateur visant à fluidifier ces échanges.
La justice répondra au contraire qu’« en l'absence de dispositions législatives autorisant le pouvoir réglementaire à définir de manière unilatérale un mécanisme de compensation financière, il appartenait à l'administration fiscale de prendre toutes dispositions, notamment par la voie de conventions, afin d'assurer aux opérateurs de communications électroniques une juste rémunération de leurs prestations accomplies pour le compte de l'administration fiscale ». Les magistrats s’étaient alors appuyés sur la jurisprudence du Conseil constitutionnel du 28 décembre 2000 (paragraphe 41) qui pose le principe « d'une juste rémunération » des opérateurs pour les aides apportées aux activités menées par l'État, tendant à la sauvegarde de l'ordre public.
Le droit de communication peut devenir une charge normale chez les opérateurs
Trois ans plus tard, la même cour administrative d’appel de Paris a subtilement changé de fusil d’épaule, il faut dire qu'un arrêt du Conseil d'Etat est depuis passé par là. Les faits sont un peu différents (période de 2008 à 2011), mais les acteurs restent les mêmes, tout comme la scène, à savoir le droit de communication. En novembre 2013, donc, face aux désormais légendaires réticences du ministère, le tribunal administratif de Paris condamnait en toute logique l’État à verser cette fois à Orange plus de 700 000 euros, sans compter les intérêts moratoires.
Saisie par Bercy, la cour administrative d’appel a, dans son arrêt du 20 avril 2015, rappelé que le silence d'une loi « ne saurait être interprété comme excluant, par principe, tout droit à réparation des préjudices ». Cependant, gros pépin pour Orange : nécessairement inspirée par le Conseil d'Etat, elle a illico réservé ce droit à indemnisation au seul préjudice « excédant les aléas inhérents à l'activité de ceux qui en demandent réparation [et qui] revêt un caractère grave et spécial interdisant de le regarder comme une charge devant incomber normalement à ceux qui le subissent ». Et là, c’est le drame : les juges embrayent, hache à la main : ils considèrent que le préjudice résultant de la mise en oeuvre du droit de communication reconnu à l'administration fiscale « ne présente pas un caractère spécial », et n’a donc pas être indemnisé pour le cas présent.
Orange opposera vainement que ces demandes vont lui asséner une série de coûts notamment en personnel, « il ne résulte pas de l'instruction que la mise en oeuvre du droit de communication se traduirait, pour la société intimée par un préjudice financier d'une gravité telle qu'il excèderait la charge normale susceptible de lui être imposée dans l'intérêt général », lui répond la cour. Bref, circulez, l’obligation de répondre au droit de communication devient ici une charge normale. Orange aura beau presser, elle n’obtiendra pas la moindre goutte d’indemnisation. Une note salée joliment sucrée.
Quels effets sur le projet de loi sur le renseignement ?
Cette décision, pointée par le juriste Alexandre Archambault, pourrait fermer solidement les porte-monnaies lors du déploiement de la future loi sur le renseignement. Actuellement examinée au Sénat, le texte industrialise en effet ces impératifs administratifs sur les épaules des opérateurs.
Or, si l’article D 98-7 IV du CPCE prévoit un principe d’indemnisation via une convention pour certains frais d’investissement et de maintenance, et à l'acte pour les demandes individuelles, le flou risque donc d'être artistique sur ces derniers frais de fonctionnement. D’ailleurs, l’ARCEP elle-même avait tiqué sur ce versant financier : « Si les textes prévoient que les opérateurs doivent être indemnisés des surcoûts spécifiques exposés pour répondre à ces différentes demandes, les opérateurs rencontrent parfois avec certaines autorités administratives des difficultés dans le paiement des sommes correspondantes ». Dans son avis sur le fameux projet de loi, l’autorité de régulation invitait alors le gouvernement « à veiller à l’indemnisation rapide et homogène des surcoûts exposés par les opérateurs ». Un espoir à l'avenir incertain.