Dans un rapport publié prochainement, et que nous dévoilons ce jour, une mission au sein du Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique s’est penchée sur la question des biens numériques d’occasion. La recommandation de cette instance soufflant le droit à l’oreille de la ministre de la Culture ? Pas d’ouverture, sauf par le biais du contrat et pourquoi pas, de tarifs majorés.
Aura-t-on un jour des sites de ventes d’occasion de fichiers .PDF, .MP3 ou encore .AVI ? Pas bien sûr, si on en croit les recommandations d’une mission initiée au CSPLA. À ce jour la règle dite de l’épuisement des droits attribue aux créateurs un plein contrôle de la distribution, et donc la perception des droits, mais seulement lors de la première commercialisation. Le consommateur retrouve en effet une liberté totale au-delà. Voilà pourquoi on peut revendre ses livres sur eBay ou que des boutiques de CD d’occasion fleurissent ici et là dans la plus parfaite légalité. Cependant, en matière de propriété intellectuelle, nombreux au ministère de la Culture considèrent que cette règle ne vaut que pour les objets tangibles, non les fichiers.
Certes, la justice européenne admet cette possibilité sur le marché de la licence informatique (arrêt UsedSoft), mais selon les juristes (essentiellement issus de l’univers des ayants droit) qui siègent autour de la table, Rue de Valois, cette solution ne se rapporte qu’à une législation spéciale, celle de l’informatique, et ne peut être artificiellement élargie au-delà.
Les avantages de l'ouverture : le bien-être social
Dans les conclusions de ce rapport (PDF), la mission sur la seconde vie des biens culturels numériques rappelle aussi qu’il y aurait bien des charmes de l’ouverture d’un tel marché. Selon certains économistes, en effet, il y aurait côté pile, des bénéfices « en terme de bien-être social », permettant « à des œuvres commercialement épuisées ou indisponibles de rester accessibles au public sur un second marché », le tout à des prix moindres, auprès d’ « un plus grand nombre de consommateurs. »
... mais un risque de cannibalisation du marché primaire
Cependant, côté face, consacrer par la loi la possibilité pour quiconque de revendre ses fichiers (musique, film, livre, etc.) d’occasion emporterait, selon la mission du CSPLA, « une uniformisation des réponses et d’un renforcement du pouvoir oligopolistique des plateformes de distribution ».
Pourquoi ? Cette ouverture pourrait d’abord engendrer une cannibalisation du marché primaire (la première vente) par le marché secondaire (la vente d’occasion) puisque dans l’univers dématérialisé l’usure n’existe pas, les copies sont identiques, enfin acheteurs et vendeurs peuvent négocier sans avoir à se déplacer (coûts de transaction presque nuls). Des critiques déjà rappelées par la justice américaine lorsqu'elle a pilonné ReDiGi, une plateforme de vente de MP3.
En outre, ce marché profiterait avant tout aux intermédiaires, les plateformes, qui trustent déjà les ventes initiales : « Il leur reviendrait d’organiser un marché captif de la revente d’œuvres préalablement achetées sur leur site, d’accorder des autorisations de revente, de fixer les prix, les formats, les délais de revente et le degré d’interopérabilité ». Or, toujours d’après le rapport, « en termes de politiques publiques, l’objectif ne peut être de favoriser la mise en place d’une nouvelle activité économique au profit exclusif de l’aval de la chaîne de valeur et dont serait exclu l’amont, notamment les artistes, auteurs et ayants droit. »
Sommaire du rapport sur la seconde vie des œuvres (PDF)
Des fichiers vendus plus chers car pouvant être revendus d'occasion ?
Alors que faire ? De préférence rien, continuer à interdire de telles reventes, sachant cependant qu’ « il est d’ores et déjà loisible aux ayants droit et aux producteurs de biens culturels de mettre en place, dans le cadre d’accords contractuels, des procédures commerciales et techniques adaptées afin, selon les cas, de rendre cette pratique de la revente possible ». Cette mesure pourrait du coup s’accorder d’un « discrimination tarifaire » : « un prix élevé pourrait ainsi être associé à des fonctionnalités larges (dont la revente) alors qu’un prix plus faible satisfera ceux qui se contentent de fonctionnalités plus limitées ».
En clair, un titre des Pink Floyd serait toujours vendu autour d’un euro sur iTunes, mais nettement plus si la licence autorisait une revente d’occasion. Cependant, on ne voit pas en quoi de tels tarifs majorés éviteraient la cannibalisation des marchés primaires... Ne la faciliteraient-ils pas davantage ?