La France peut-elle vraiment confier aux sociétés de gestion collectives l’exploitation des livres indisponible du XXe siècle en vue de leur numérisation ? C’est la question qu’a soumise le Conseil d’État à la Cour de justice de l’Union européenne. Next INpact diffuse l’arrêt de la haute juridiction administrative.
La loi du 1er mars 2012 relative à l’exploitation numérique des livres indisponibles du XXe siècle a été votée afin de faciliter la valorisation du patrimoine écrit devenu inaccessible, faute de diffusion commerciale. Elle concerne les livres publiés en France avant le 1er janvier 2001 et permet de faciliter leur numérisation dès lors qu’ils ne font plus l’objet d’une diffusion commerciale par un éditeur.
Concrètement, ce sont les sociétés de gestion collective qui se voient reconnaitre le droit d’autoriser la reproduction ou la représentation de ces livres sous une forme numérique. Elles doivent simplement attendre un délai de six mois à compter de l’inscription des ouvrages dans une base de données accessible au public gérée par la Bibliothèque nationale de France (ReLIRE ou Registre des livres indisponibles en réédition éléctronique). Dans ces six mois, l’auteur d’un livre indisponible ou son éditeur peut s’y opposer. Au-delà, ce droit est réservé au seul auteur, seulement si la reproduction ou la représentation du livre est susceptible de nuire à son honneur ou à sa réputation. Il peut par ailleurs décider à tout moment de retirer à la SPRD le droit d’autoriser la reproduction et la représentation du livre dans des conditions précisées par le Code de la propriété intellectuelle.
Une législation nationale compatible avec le droit européen ?
Comme signalé par Actualitté, en mai 2013, deux personnes ont cependant réclamé l’annulation du décret appliquant ces dispositions et l’un de leurs arguments a fait mouche. Techniquement, l’article 2 de la directive de 2001 sur le droit d’auteur et les droits voisins prévoit une série d’exceptions ou limitations au droit exclusif reconnu aux créateurs. Seulement, on a beau lire et relire, le régime des livres indisponibles n’en fait pas partie.
Du coup, ce 6 mai, le Conseil d’État a adressé une question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union européenne pour savoir si la directive s’oppose « à ce qu’une réglementation (…) confie à des sociétés de perception et de répartition des droits agréées l’exercice du droit d’autoriser la reproduction et la représentation sous une forme numérique de « livres indisponibles », tout en permettant aux auteurs ou ayants droit de ces livres de s’opposer ou de mettre fin à cet exercice, dans les conditions qu’elle définit ». Nous reviendrons dans les prochains mois sur la réponse apportée par la CJUE, laquelle pourrait menacer l’ensemble du mécanisme. Inversement, si la CJUE considère que la liste des exceptions et limitations est ouverte, cela ouvrira un champ du possible à ceux qui veulent raboter le terrain des droits exclusifs en Europe.