En Allemagne, plusieurs révélations récentes sur les services de renseignement (BND) mettent Angela Merkel dans une posture inconfortable. L’agence aurait coopéré avec la NSA sur l’acquisition d’informations auprès de politiques français et européens, de grandes entreprises et aurait sollicité l’aide de Deutsche Telecom pour renforcer la surveillance de la population. Un problème pour la chancellerie après les réactions exacerbées sur les révélations d’Edward Snowden.
L'Allemagne qui crie, l'Allemagne qui chuchote
En Europe, l’Allemagne fait figure de poing levé en direction des États-Unis et de la NSA pour les différents programmes de surveillance que l’agence américaine a mis en place, surtout depuis les attentats du 11 septembre. Mais au lendemain des évènements, le pays, alors dirigé par Gerhard Schröder, avait proposé à la NSA de participer à la lutte antiterroriste via des échanges d’informations.
Ce sont ces échanges qui, aujourd’hui, causent un véritable problème à Angela Merkel. Plusieurs journaux allemands ont en effet publié des informations assez précises sur les relations troubles entre la NSA et le BND, son équivalent allemand. Bild révélait ainsi le 24 avril que la NSA aurait, dès 2005 et à plusieurs reprises, utilisé la station de surveillance de Bad Aibling (Bavière) pour espionner les activités de plusieurs grandes entreprises telles qu’Eurocopter et EADS.
Les sources du journal allemand ont indiqué que cette opération s’exerçait par la surveillance directe d’adresses IP et lignes téléphoniques de certains employés. Par ce biais, la NSA aurait cherché en fait à obtenir des informations sur des exportations illégales. L’agence américaine aurait agi de son propre chef, en utilisant les infrastructures de son alliée, et sans qu’Angela Merkel ne réagisse. Toujours selon Bild, la chancellerie aurait en effet été avertie au moins deux fois, en 2008 et 2010, préférant finalement laisser faire pour ne pas créer de vagues. Pour les sources du journal, il est impossible que Merkel n’ait pas été informée.
Les journaux allemands accusent la chancellerie d'avoir fermé les yeux
Le 29 avril, c'était au tour du Süddeutsche Zeitung d’y aller de ses révélations, qui montaient d’un cran. Le BND aurait ainsi espionné plusieurs hauts fonctionnaires français, plus particulièrement au sein du ministère des Affaires étrangères et de l’Élysée, ainsi que d’autres à la Commission européenne. La collecte d’informations aurait été faite, là encore, depuis la station de Bad Aibling, mais cette fois à la demande de la NSA. Le quotidien n'a d'ailleurs pas hésité à écrire que le BND avait directement aidé la NSA à réaliser de l'espionnage économique et politique.
Les premières réactions d’Angela Merkel ont été floues, la chancelière promettant alors seulement que des changements seraient apportés dans l’organisation du BND, ce qui rappelle d’ailleurs les réactions de Barack Obama avant qu’il ne propose finalement un remaniement édulcoré par de multiples concessions. Et la dirigeante allemande n’est pas la seule à être visée : quand la chancellerie a été avertie la première fois en 2008 des activités américaines, elle était dirigée par Thomas de Maizière, un proche de Merkel et aujourd’hui ministre de l’Intérieur.
Un ministre à qui on demande des comptes puisqu'il est accusé d'avoir menti le 14 avril dernier. Dans une réponse écrite au parti politique Die Linke, il avait en effet indiqué qu’il n'était au courant d'aucun espionnage économique de la NSA en Allemagne. Mercredi dernier, la chancellerie a volé à son secours, via le porte-parole Steffen Seibert, en affirmant que le gouvernement avait bien dit la vérité.
Wikileaks publie des comptes rendus de l'enquête sur les écoutes de la NSA
En fin de semaine dernière, la chancellerie a cependant réagi de manière plus concrète. Le BND ne donnerait ainsi plus de renseignements à la NSA si ses demandes ne sont précisées et accompagnées des raisons qui les motivent. Insuffisant pour le SPD (Pari social-démocrate), qui réclame des informations beaucoup plus précises, comme la liste complète des critères demandés par le BND. En filigrane, se dessine pour les Allemands un autre problème : « Le parlement en sait trop peu », comme l’a indiqué Christian Flisek, membre de la commission d'enquête parlementaire sur les écoutes de la NSA.
Sur un terrain diplomatique devenu miné (l’Autriche a porté plainte contre X), la situation pourrait devenir encore pire pour une chancelière qui s’était largement insurgée contre la politique de renseignement des États-Unis, surtout après les révélations de l’espionnage de l’un de ses smartphones. WikiLeaks a en effet publié ce matin 1 380 pages de rapports provenant de l’enquête en cours du parlement allemand sur les écoutes de la NSA. Julian Assange justifie cette publication par le fait que « dans cette importante enquête, les Allemands et le public international sont les parties lésées ». Selon lui, ces derniers ont donc le droit de savoir qui est responsable, et comment les choses avancent.
L'Allemagne aurait demandé l'aide de Deutsche Telekom pour sa surveillance
Cette enquête avait été demandée dès 2013 après les premières révélations autour du programme de surveillance PRISM. Elle a officiellement débuté le 18 mars 2014 et avait pour mission de mesurer non seulement le degré de surveillance américaine en Allemagne, mais également celui de participation du BND. Or, d’importantes révélations ont émergé des sessions parlementaires, notamment au cours des auditions de certains témoins clés.
L’exemple le plus notable est celui d’une lettre qui a été envoyée par la chancellerie à Kai-Uwe Ricke, PDG de Deutsche Telekom entre 2002 et 2006. Il lui aurait été demandé de faciliter la surveillance de masse des Allemands, et plus globalement celles des télécommunications internationales, grâce au point d’échange de Francfort. Cette opération « Eikonal » aurait également impliqué la transmission des informations du BND à la NSA. Kai-Uwe Ricke, quant à lui, a indiqué au Bundestag ne jamais avoir reçu cette lettre. WikiLeaks fustige en outre les conditions dans lesquelles les sessions de la commission d’enquête ont pris place. Elles n’étaient pas publiques et les quelques journalistes présents n’avaient pas le droit d’enregistrer, tout en étant « étroitement surveillés par la police ».
La situation ne manque actuellement pas d’ironie, car Angela Merkel, si elle ne refuse pas dans l’absolu la publication complète des sélecteurs (critères) de surveillance réclamés à la NSA, doit tout de même… lui demander la permission. Elle reste cependant ferme sur sa ligne de conduite : « Mener à bien sa tâche face aux menaces terroristes internationales se fait en collaboration avec d'autres agences, à commencer par la NSA. »