Internet.org s’ouvre aux développeurs tiers, mais à la sauce Facebook

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Internet.org s’ouvre aux développeurs tiers, mais à la sauce Facebook

Le groupe californien propose depuis février une trentaine de services dans une partie de l’Inde à ceux qui ne disposent pas de connexion Internet, via son initiative Internet.org. Une démarche vertement critiquée par les politiques et les défenseurs de la neutralité, qui dénoncent une mainmise sur les usages. Le groupe a revu sa copie, en ouvrant officiellement Internet.org aux développeurs, avec quelques contraintes de taille.

Connecter les deux tiers de l’Humanité qui ne disposent pas d’Internet, voilà une cause noble en apparence. C’est l’objectif d’Internet.org, une initiative lancée par Facebook en 2013 qui fournit gratuitement des services sélectionnés à des populations qui ne disposent pas d’Internet. Le système couvre actuellement plusieurs pays d’Afrique, d’Amérique latine et d’Asie en partenariat avec des opérateurs. Une application « Internet.org » est fournie sur smartphone, par laquelle sont disponibles les services validés par Facebook, sous forme de sites web mobiles.

Depuis la disponibilité de l’offre en Inde en février, les critiques se sont multipliées, pointant la mainmise du groupe américain, qui impose ses choix aux utilisateurs. Pour mettre fin à la polémique, Facebook a annoncé l’ouverture de la plateforme aux développeurs qui le souhaitent, pour peu qu’ils suivent quelques règles. Mais le mal semble plus profond qu’une simple ouverture d’Internet.org à plus de sites web, la critique ne concernant pas que l’initiative du groupe américain.

Jusqu’ici, l’application permet d’accéder en Inde à une trentaine de services triés sur le volet par le groupe californien, en partenariat avec l’opérateur Reliance. La majorité des services sont spécifiques au public indien (actualités, administrations, résultats de cricket...), quand d’autres sont fournis plus globalement, comme Wikipédia ou Facebook Messenger. Hors de ces services, point de salut : l’accès est tout simplement interdit à un site non-validé par le groupe américain. Face à cette initiative, une partie de l’opinion indienne a évoqué un Internet au rabais, inutilement limité. Plusieurs entreprises ont quitté l’initiative, dont un groupe média et un voyagiste.

La neutralité du Net, réservée aux riches ?

Cette pratique d’offrir un accès gratuit à certains services, le « zero rating », a également eu mauvaise presse à cause d’un opérateur local. Depuis le mois d’avril, une autre initiative, Airtel Zero d'Airtel, fournit gratuitement sur son réseau les services qui paient pour être disponibles. Ce n’est donc plus l’utilisateur qui paie l’opérateur, mais le service. Cette inversion est accusée de favoriser les acteurs en place qui ont les moyens d’attirer les internautes en leur fournissant gratuitement l’accès. Pour le département indien des télécommunications, cette offre qui lie prix et choix des sites est contraire à la neutralité du Net.

Airtel, lui, présente cet accès gratuit pour l’internaute comme « une plateforme de marketing pour les applications ». L’une des premières entreprises à y adhérer a été le géant de l’e-commerce indien Flipkart, qui s’est retiré après un retour de flamme public quand son fondateur a supporté publiquement le « zero rating » sur Twitter, rappelle Tech in Asia.

« Si les déshérités méritent bien plus que ce qui est disponible, personne ne devrait décider quelles en sont les conditions. Si vous dictez ce que les pauvres doivent avoir, vous leur enlevez le droit de choisir ce qui est mieux pour eux » affirmait à propos d’Airtel Zero et d’Internet.org, Naveen Patnaik, le chef du gouvernement d’Odisha, un État de l’est de l’Inde, cité par Quartz.

Un débat important en Inde, attisé par Internet.org

La presse américaine a la dent dure, à l’image de Quartz qui compare Internet.org à « un racisme économique » ou de Wired, qui parle de « FacebookNet ». La presse indienne est également sceptique. C’est le cas du Hindustan Times, qui a ouvert ses colonnes à SaveTheInternet.in, un collectif défendant la neutralité du Net en Inde. « Ni Internet.org, ni Airtel Zero, ni aucun aucune autre plateforme majeure de zero rating offre le choix au consommateur. A la place, les décisions sont prises par de gros opérateurs en partenariat avec d'importantes compagnies Internet. Les plus petites entreprises sont entrainées dans ce lobby commercial et de s'inscrire pour empêcher les concurrents de s'y associer et de les écraser » attaquent les tenants de la neutralité.

Internet.org

Le sujet de la neutralité est brûlant en Inde. Un mois après l’arrivée d’Internet.org, l’Autorité indienne de régulation des télécoms (TRAI) a publié un papier blanc sur la neutralité du Net en demandant les réactions du public. Dans les 118 pages du texte, considérées comme absconses par ses détracteurs, l’autorité propose entre autres d’imposer à chaque application d’obtenir une licence officielle pour exercer en Inde. Les internautes indiens se sont mobilisés contre le texte, à l’image des internautes américains l’été dernier, en contribuant massivement à la consultation publique de la TRAI.

« Si vous ne pouvez pas vous offrir une connexion, il est toujours mieux d'avoir un certain accès et de la voix que rien du tout » a répondu Mark Zuckerberg à l’Hundistan Times à la mi-avril. « C'est un ensemble de sites basiques et de services pour présenter aux gens la valeur d'Internet » explique Internet.org sur son site. L'initiative affirme que la sélection réduite de sites vient du besoin de développer une version spécifique (la plus légère possible) pour intégrer le programme et donc l'application mobile. « Les sites ne paient pas pour être inclus, et les opérateurs ne facturent pas les développeurs pour les données que leurs services utilisent » justifie-t-elle encore.

La question ne se pose pas qu’en Inde, mais dans tous les pays où Internet.org agit. L’Electronic Frontier Foundation s’est publiquement inquiété de l’étendue de la couverture de l’initiative en Amérique latine, qui laisserait ces pays « sans vrai Internet ». De même, l’opérateur indonésien XL Axiata s’est retiré du projet avant son lancement dans le pays, laissant un de ses concurrents se charger de fournir les connexions à Facebook. L’opérateur aurait été rebuté par les polémiques et le fait de supporter les coûts de connexion. Pour le réseau social, le débat sur la neutralité du Net n’a pas lieu d’être ici.

Zuckerberg est pour la neutralité du Net, mais...

« Si un internaute a une vidéo lente sur mobile parce que l'opérateur demande un supplément, c'est mal, et la neutralité du Net devrait l'empêcher. Si un entrepreneur doit payer plus pour atteindre ses clients, c'est mal, et la neutralité du Net devrait l'empêcher » déclare Mark Zuckerberg dans la vidéo introduisant l'accès aux développeurs tiers. « Mais pour que les pêcheurs locaux puissent avoir accès à Internet, qu'ils ne pourraient pas s'offrir autrement, pour l'aider à prendre plus de poisson et soutenir sa famille, c'est bien, et nous ne devrions pas avoir de règles pour l'empêcher » poursuit-il.

Pour Mark Zuckerberg, offrir un accès gratuit à quelques sites Internet pour les gens qui en ont besoin justifie donc de passer outre la neutralité du Net. Il soutient son idée par quelques belles histoires entendues depuis le déploiement d’Internet.org, comme celle d’un éleveur de poulets en Zambie qui vend via Internet, une mère qui apprend comment élever son enfant via Internet ou un étudiant qui s'informe sur Wikipédia.

Sans se passer de la neutralité, il est déjà possible de la redéfinir. « Certains soutiennent une vision extrême de la neutralité du Net, qui dit qu'il est mal de fournir plus de service aux non-connectés. Mais une définition plus raisonnable de la neutralité est plus inclusive. L'accès est une opportunité. La neutralité du Net ne devrait pas empêcher l'accès. Nous avons besoin des deux » affirme encore le fondateur de Facebook, pour qui l'alternative à Internet.org ne doit pas être opposée à un Internet ouvert et gratuit, mais à pas d'accès du tout.

Une plateforme dont les données appartiennent à Facebook

Le groupe a tout de même ouvert Internet.org aux développeurs lambda pour calmer les tensions. Cette nouvelle version est-elle vraiment « open » ? Pour intégrer le programme, les développeurs doivent suivre certaines règles : limiter la consommation de données, « encourager l'exploration du reste d'Internet » (tout de même inaccessible via Internet.org) et respecter des contraintes techniques. La procédure de soumission est, elle, dans la philosophie des applications Facebook.

« Une fois que vous avez créé votre site, nous le validerons pour nous assurer qu’il respecte bien nos règles. Nous nous réservons le droit de rejeter ou de supprimer les sites qui ne les respectent pas » explique la documentation pour développeurs de Facebook. La validation peut prendre de quatre à six semaines, étant donné le volume de requêtes auquel le service s’attend. À noter que « l’approbation par Facebook ne garantit pas que le service sera disponible via Internet.org ».

Les développeurs qui souhaitent intégrer Internet.org sont aussi éligibiles à FbStart, un programme de Facebook destiné aux services mobiles. Le groupe propose le « Social Good package » pour les services jugés d’utilité publique, qui auront droit à une validation accélérée, de l'aide et des évènements spéciaux. Il est à la charge des développeurs d’entrer dans cette case.

Si l’initiative se dit donc ouverte, elle reste la propriété technique entière de Facebook, qui a le droit de vie ou de mort sur les versions « Internet.org » des services. Les données fournies par Internet.org sont également la propriété de Facebook. « Toute donnée (par exemple, les requêtes proxy) ou rapports que nous fournissons sont considérés comme des informations confidentielles de Facebook et ne peuvent être utilisées par vous pour de la publicité ou partagées avec des tiers » explique encore le réseau social. Les données du service lui-même lui appartiennent, mais tout le reste est la propriété du réseau social californien.

Les négociations entre Facebook et ses partenaires, y compris les opérateurs, restent également à la confidentialité de l’entreprise américaine. De même, la disponibilité des applications dans une zone donnée reste au choix des responsables d’Internet.org, sans que ce processus ne soit vraiment transparent sur le papier.

Un Internet ouvert mais sans chiffrement sur le web

L'une des contraintes techniques les plus importantes pour intégrer Internet.org, mise en avant par l'initiative, est l'interdiction d'imposer le chiffrement des communications. Un service ne pourra donc pas utiliser systématiquement une connexion TLS pour la connexion au compte utilisateur, par exemple.

« SSL/TLS sera supporté pour les services dans l'app Android Internet.org et nous cherchons des moyens de fournir la même sécurité à l'accès web vers Internet.org. Les contenus et services qui s'appuient sur SSL/TLS apparaitront uniquement dans l'application Android Internet.org et non sur le web mobile [via le navigateur du smartphone] tant que nous n'aurons pas trouvé de solution pour cela aussi » détaille la documentation sur l'espace développeurs de Facebook. La société n’avance pas de calendrier pour ce support.

Tout le trafic des services liés à Internet.org est routé via un proxy, « pour permettre aux opérateurs de l'identifier ». L'interdiction du chiffrement hors de l'app est donc une conséquence de la centralisation du système, dont il est difficile de dire si elle est absolument nécessaire. Facebook ajoute que ce fonctionnement peut aider les services à mettre en place des blocages géographiques s'ils le souhaitent.

Cette contrainte semble bien être la plus importante, portée sur l’argument de l’accessibilité. Ce qui est la motivation des autres obligations techniques. Par exemple, les JavaScript ne doivent pas bloquer l’accès au contenu ou aux fonctions du site mobile, comme le veulent les règles habituelles d'accessibilité, parfois oubliées par les développeurs. Reste à voir si ceux-ci viendront en masse quand le programme ouvrira et, surtout, si Facebook fera évoluer sa formule si les critiques contre Internet.org continuent d’affluer.

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