Sans grande surprise, le projet de loi sur le renseignement a été adopté par l'Assemblée nationale, par 438 voix « pour », 86 « contre » et 42 abstentions. Le texte sera donc transmis au Sénat.
C’est aujourd’hui que le projet de loi sur le renseignement sera soumis au vote solennel des députés, probablement aux alentours de 16 heures 45. L’occasion de faire le point sur les nombreux opposants à ce texte, ainsi que sur le parcours qu’il lui reste à accomplir.
Que va-t-il se passer cet après-midi ?
Après avoir adopté il y a plus de deux semaines le projet de loi sur le renseignement, article par article, les députés doivent se réunir cet après-midi à 16h15 pour les traditionnelles « explications de vote ». À tour de rôle, chaque groupe politique (socialiste, UMP, écologiste, UDI...) enverra un orateur qui, durant cinq minutes, donnera une position sur l’ensemble du texte. Passé ce moment habituellement très fade, le scrutin pourra avoir lieu, aux alentours de 16h45. Chaque parlementaire reste bien entendu libre de son vote, même si dans la pratique, les élus d’un même camp suivent généralement une ligne commune.
Une vague de mobilisation considérable
Au cours des dernières semaines, nous avons eu l’occasion de revenir sur le contenu de ce vaste projet de loi qui permettra aux services secrets d’user de nombreuses techniques très intrusives (voir cet article, nos comptes rendus des débats ici, là et là, ainsi que notre émission du 14h42). Contrairement au précédent de la loi de programmation militaire, le texte a suscité une forte vague de mobilisation, qui ne s’est pas essoufflée dans le temps.
Voici une liste (non exhaustive) des organisations ayant appelé à se mobiliser contre cette loi ou émis de fortes critiques à son égard :
- La Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL)
- Le Défenseur des droits
- Le Conseil national du numérique
- Le Syndicat de la Magistrature
- Amnesty International
- La « Commission numérique » de l’Assemblée nationale
- La Ligue des droits de l’Homme
- 800 acteurs du numérique signataires de l’appel « #NiPigeonsNiEspions », et parmi lesquels se trouvent de grandes entreprises françaises de l’internet telles qu’OVH, Gandi, Online.net (Scaleway), Blablacar ; ainsi que des organisations comme l’INRIA, la fédération FDN, le Syntec Numérique, VideoLAN/VLC, l’AFDEL, etc.
- La Quadrature du Net
- L’Association française des victimes du terrorisme
- Reporters sans frontières
- Le Syndicat national des journalistes (SNJ)
- La CGT Police Paris
- ATTAC
- Le Syndicat de la presse d’information indépendante en ligne (Spiil) et le Groupement des éditeurs de contenus et services en ligne (GESTE), qui comptent parmi leurs rangs Mediapart, l’AFP, Libération, Le Figaro, Next INpact...
De plus en plus de députés annoncent qu’ils voteront « contre »
Après leur manifestation du 13 avril, les opposants au projet de loi sur le renseignement ont encore une fois donné de la voix, hier soir à l’occasion d’un rassemblement sur l’esplanade des Invalides. Pour autant, il semble extrêmement peu probable – sinon impossible – que le texte soit rejeté cet après-midi par l’Assemblée nationale.
Le gouvernement devrait effectivement pouvoir compter sur le soutien des députés de la majorité (même si certains ont annoncé qu’ils s’abstiendraient), ainsi que sur celui de nombreux élus UMP et UDI. Quelques rares parlementaires ont néanmoins fait savoir qu’ils voteraient contre, à l’image du frondeur Pouria Amirshahi, de Lionel Tardy ou de Pierre Lellouche (UMP ), des écologistes Cécile Duflot et Sergio Coronado, d’Isabelle Attard (Nouvelle Donne), etc.
Jusqu’au vote de cet après-midi, les opposants vont continuer d’essayer de convaincre les députés, bien souvent par téléphone (voir ces reportages du Monde et de FranceTV Info).
Un vote par l'Assemblée nationale, et après ?
En cas d’approbation, le projet de loi sera transmis au Sénat, où le texte ne pourra vraisemblablement pas être examiné avant le mois de juin. Il faudra attendre la Conférence des présidents du 13 mai pour connaître le calendrier législatif exact de la Haute assemblée, tout en sachant que le gouvernement voulait aller au plus vite sur ce texte. La procédure d’urgence avait d’ailleurs été décidée par l’exécutif, ce qui signifie qu’il n’y aura en principe qu’une lecture par chambre.
Les sénateurs pourront ainsi amender à leur tour le projet de loi sur le renseignement, avant que le texte ne fasse très probablement l’objet d’une commission mixte paritaire (composée de sept députés et sept sénateurs), afin qu’un accord soit trouvé entre les deux assemblées. Faute de quoi, la navette parlementaire pourrait reprendre.
Le Conseil constitutionnel en guise de dernier rempart
Une fois les débats parlementaires terminés, le président de la République devrait saisir le Conseil constitutionnel, afin que l’institution se penche sur la conformité du texte à la norme suprême. Les parlementaires solliciteront également les « Sages » de la Rue Montpensier, la députée Laure de La Raudière (UMP) ayant annoncé hier avoir obtenu le soutien d’un nombre suffisant de parlementaires à cette fin.
Avec @LellouchePierre ce soir, nous avons le soutien de 72 députés pour la saisine du conseil constitutionnel #PJLRenseignement
— Laure de La Raudière (@lauredlr) 4 Mai 2015
À l’issue de ce contrôle, toute disposition inconstitutionnelle serait censurée par la juridiction. Ce fut le cas par exemple en 2009, où une grande partie de la loi Hadopi fut réduite à néant par le Conseil, ce qui avait contraint le gouvernement Fillon à préparer et faire adopter au pas de charge un second texte « rustine ». Les Sages pourraient d’autre part émettre des « réserves d’interprétation », des sortes de conditions qui s’imposeraient pour que le texte s’applique dans le respect du droit. Ou bien valider le texte dans son ensemble...