Délit d'obsolescence programmée : la copie du Sénat revue à l'Assemblée nationale

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Droit 5 min
Délit d'obsolescence programmée : la copie du Sénat revue à l'Assemblée nationale
Crédits : Anrodphoto/iStock/Thinkstock

La semaine dernière, les députés de la commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi relatif à la transition énergétique ont profondément revu l’article visant à réprimer les pratiques dites d’obsolescence programmée, par lesquelles les fabricants limiteraient la durée de vie de leurs produits (imprimantes, smartphones...) afin que ceux-ci soient remplacés plus fréquemment par les consommateurs. Explications.

Si les parlementaires semblent décidés à vouloir réprimer davantage les pratiques dites d’obsolescence programmée, députés et sénateurs sont cependant en profond désaccord sur la manière d’atteindre cet objectif sur un plan législatif... L’automne dernier, à l’occasion de l’examen du projet de loi sur la transition énergétique, l’Assemblée nationale a commencé par élargir le champ des pratiques commerciales trompeuses aux produits dont la durée de vie aurait été « intentionnellement raccourcie lors de [leur] conception ». Les contrevenants à ces dispositions du Code de la consommation se seraient ainsi exposés à une peine maximale de deux ans de prison ainsi qu’à une amende de 300 000 euros (voire davantage, en fonction du chiffre d’affaires de l’entreprise).

Les députés avaient également souhaité graver dans la loi une définition de l’obsolescence programmée :

« L'obsolescence programmée désigne l'ensemble des techniques par lesquelles un metteur sur le marché vise, notamment par la conception du produit, à raccourcir délibérément la durée de vie ou d'utilisation potentielle de ce produit afin d'en augmenter le taux de remplacement. Ces techniques peuvent notamment inclure l'introduction volontaire d'une défectuosité, d'une fragilité, d'un arrêt programmé ou prématuré, d'une limitation technique, d'une impossibilité de réparer ou d'une non-compatibilité. »

Mais arrivé au Sénat, où la droite est désormais majoritaire, le texte a été revu de fond en comble en début d’année. Les élus du Palais du Luxembourg ont en effet préféré faire table rase de ce qui avait été voté par les députés, pour introduire un nouveau délit spécifique à l’obsolescence programmée. Reprenant une définition proposée en juillet 2012 par l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME), les sénateurs voulaient que les fabricants usant d’un « stratagème par lequel un bien voit sa durée de vie sciemment réduite dès sa conception, limitant ainsi sa durée d'usage pour des raisons de modèle économique », risquent jusqu’à deux ans de prison et 300 000 euros d’amende.

Nouveau round de débats à l’Assemblée nationale

Sauf qu’après l’échec de la commission mixte paritaire (composée de sept députés et sept sénateurs) censée permettre un accord entre les deux chambres, l’Assemblée nationale a été saisie pour une nouvelle lecture. Examiné dans un premier temps par une commission spéciale, le projet de loi sur la transition énergétique a donc fait l’objet de nouveaux amendements de la part des parlementaires.

D’un côté, se trouvaient les députés Tardy, Saddier et Hetzel (UMP), qui continuent de penser que la législation actuelle est suffisante et qu’il est donc inutile de légiférer. « L’obsolescence programmée reste une théorie qui n’est pas prouvée et la création d’un délit afférent pose un certain nombre de problèmes d’application. En effet, comment prouver que la durée de vie du produit a été intentionnellement raccourcie ? » s’interrogeaient-ils au travers de leur amendement de suppression pure et simple des dispositions votées au Sénat. Celui-ci a cependant été rejeté.

De l’autre côté, les écologistes et la rapporteure Sabine Buis voulaient réintroduire la définition initialement retenue par l’Assemblée nationale, celle votée par le Sénat étant à leurs yeux « moins ambitieuse et limitée à certaines catégories de produits ». La députée Buis proposait également que des sanctions plus lourdes soient prévues pour les entreprises reconnues coupables d’obsolescence programmée, avec une amende qui pourrait atteindre « 10 % du chiffre d'affaires moyen annuel » du contrevenant (de la même manière que ce qui est prévu en cas de pratiques commerciales trompeuses).

C’est surtout cette seconde mesure qui a vivement fait réagir les députés de l’opposition. « Il faut savoir raison garder ! On ne parle pas ici de 10 % du résultat, mais de 10 % du chiffre d’affaires moyen annuel, ce qui équivaut à la confiscation totale pour une entreprise d’une rentabilité normale. Qui peut se permettre de perdre 10 % de son chiffre d’affaires ? Vous voulez la mort de l’entreprise ! » s’est ainsi interloqué Julien Aubert (UMP). Sabine Buis lui a alors rétorqué que son amendement n’avait pas vocation à fixer le montant des amendes à venir, « mais simplement de définir un plafond ».

Risque de censure du Conseil constitutionnel ?

Si ces amendements ont été votés, le président socialiste de la commission spéciale François Brottes a bien mis en garde ses collègues : « Je me souviens pour ma part que des dispositions de la « loi Florange » ouvrant la voie à des pénalités pour les entreprises fermant un site rentable ont été supprimées de la loi, le juge constitutionnel estimant que ces pénalités n’étaient pas proportionnées. D’ici à la lecture définitive, nous devons bien réfléchir à une peine qui ne conduise pas le Conseil constitutionnel, s’il était saisi, à censurer l’article concerné ». Il est donc fort probable que les discussions reprennent lors des débats dans l’hémicycle, qui débuteront le 19 mai.

En attendant, voici les dispositions retenues en fin de semaine dernière par les députés de la commission spéciale :

« Art. L. 213-4-1. – I. –  L’obsolescence programmée désigne l’ensemble des techniques par lesquelles un metteur sur le marché vise, notamment par la conception du produit, à raccourcir délibérément  la durée de vie ou d’utilisation potentielle de ce produit afin d’en augmenter le taux de remplacement.

Ces techniques peuvent inclure l’introduction volontaire d’une défectuosité, d’une fragilité, d’un arrêt programmé ou prématuré, d’une limitation technique, d’une impossibilité de réparer, en raison du caractère indémontable de l’appareil ou de l’absence de pièces détachées essentielles au fonctionnement de ce dernier, ou d’une incompatibilité.

II. – L’obsolescence programmée est punie d’une peine de deux ans d’emprisonnement et de 300 000 € d’amende. Le montant de l’amende peut être porté, de manière proportionnée aux avantages tirés de la mise en œuvre de ces techniques, à 10 % du chiffre d’affaires moyen annuel, calculé sur les trois derniers chiffres d’affaires annuels connus à la date des faits. »

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