Le ministre délégué en charge des relations avec le Parlement, Alain Vidalies, a dénoncé ce week-end les effets « dangereux voire pernicieux » de l’initiative NosDéputés sur l'activité parlementaire. Pour rappel, ce site constitué de données publiques établit depuis trois ans un travail de veille, d’archivage et de classement des députés en pointant leur activité parlementaire et donc leur assiduité dans l’hémicycle. Le ministre a accordé une interview à PC INpact.
Alain Vidalies
Ce week-end, vous avez évoqué les effets « dangereux voire pernicieux » du site NosDéputés.fr. Pourquoi une telle critique ?
J’ai souhaité porter le débat, de manière décidée et volontariste, sur la mesure de l’activité parlementaire. Le site en question a mis en place un système de compteur. Député de longue date et désormais Ministre chargé des Relations avec le Parlement, j’ai pu constater qu’avec ses modalités actuelles, ce compteur ne reflétait pas fidèlement la réalité de l’activité parlementaire. Je souhaite donc que nous puissions discuter de ses paramètres.
En effet, la création d’un tel compteur a abouti à modifier le comportement de certains parlementaires, qui agissent désormais au regard de l’existence même de ce compteur. C’est cette situation, que tout le monde connaît mais dont personne ne parle, que j’ai décidé de porter dans le débat public.
Afin de rendre plus efficiente encore la transparence promue par ce site, je souhaite ainsi mettre en place une sorte de pôle de réflexion sur cette question, qui pourrait avoir lieu en début d’année prochaine, de manière à ce qu’un dialogue puisse exister avec cette initiative citoyenne dans le cadre d’un objectif commun : refléter le plus justement possible le travail parlementaire.
Quels problèmes avez-vous observé avant d’en arriver à cette réflexion ?
Je vais vous donner un exemple précis : plus le site prenait de l’importance et était utilisé dans le débat public, plus le nombre d’interventions des parlementaires, notamment en commission, s’est démultiplié. Autrement dit, le fait qu’un site internet produise des statistiques a eu une incidence directe sur les conditions du débat parlementaire.
Où est le mal me direz-vous ? Le problème est que ces comportements induits sont contre-productifs. Le fait que certaines interventions, de plus en plus nombreuses, soient uniquement destinées à alimenter le compteur est une vraie difficulté aujourd’hui. Les débats sont ralentis par ces interventions répétitives, parasitant la bonne marche du débat démocratique. Le temps parlementaire, déjà limité, se trouve alors raccourci : plus le débat est pollué, moins il reste de temps pour travailler sur d’autres textes.
Autre exemple, les questions écrites. Des parlementaires posent des milliers de questions écrites, ce qui semble démontrer une forte activité. Or les questions écrites sont généralement écrites de manière très rapide par des collaborateurs ! Il n’est donc pas pertinent de placer tous les paramètres dans un même registre.
Dernier exemple : qui peut deviner que la comptabilisation des interventions des députés dans l’hémicycle, notamment celles qui ne sont pas prévues à l’avance, dépend en partie de la place qu’ils occupent ? En effet, il est plus facile d’être entendu et comptabilisé lorsque l’on siège dans les premiers rangs de l’hémicycle que lorsque l’on est placé tout en haut !
À l’inverse, à l’heure actuelle, certains travaux qui sont faits ne sont pas mis en évidence. Lorsqu’un parlementaire est rapporteur d’un texte de loi, c’est souvent un travail absolument considérable. Or le nombre d’interventions qu’il va faire ensuite ne traduit pas tout ce travail.
Les statistiques publiées par ce site jouent désormais un rôle important dans les campagnes électorales. Toutefois, alors qu’elles visent à rendre compte de l’activité des députés, elles sont parfois réutilisées sans la précaution nécessaire. Tout le monde doit en être conscient, puisque l’objectif est de rendre compte du travail parlementaire et non pas simplement d’avoir un compteur manipulable. C’est une question qui est majeure et je pense que cela peut être partagé avec les concepteurs du site.
La télévision a pu elle aussi être pointée du doigt pour ses effets vis-à-vis de l’activité parlementaire, et l’opposition use régulièrement de différentes tactiques d’obstruction législative. Pensez-vous que l’internet joue également un rôle ?
Il est certain qu’Internet a une incidence directe en pratique. S’agissant des interventions en commission par exemple, l’effet d’amplification est évident. Lors du travail en commission, les interventions sont normalement faites par les parlementaires qui ont effectivement suivi le texte, qui ont travaillé en amont, qui ont participé aux auditions, et cela qu’ils soient dans la majorité ou dans l’opposition. Aujourd’hui, on constate une démultiplication du nombre d’intervention lors de ces réunions de commissions. Il s’agit plus pour les parlementaires en question de voir leurs statistiques augmenter que d’apporter une vraie pierre à un débat sur lequel ils auraient travaillé.
Quels sont vos projets pour limiter ce phénomène ?
Il ne s’agit en aucun cas de limiter l’open data. L’existence de ce site a indéniablement apporté un plus dans la transparence, dont je suis tout à fait conscient. Cette qualité n’exclut toutefois pas le débat ! Il s’agit donc de lever le tabou sur ce sujet afin d’avoir un débat de qualité, auquel tout le monde puisse participer. Je souhaite donc commencer par discuter avec eux afin de voir s’il est possible de différencier leurs paramètres, ainsi que de préciser à l’opinion publique qu’il s’agit d’un compteur et non pas d’un indice qualitatif. Le site ne dit d’ailleurs pas autre chose : c’est un compteur. C’est l’utilisation qui en est faite, que ce soit dans la presse locale ou sur les réseaux sociaux, qui mériterait plus de précaution. Une fois ces données complexes compilées, il importe donc de faire de la pédagogie s’agissant de leur lecture.
Ce sont les limites du compteur : il existe un décalage entre ce qui en ressort et la réalité du travail effectué. Nous devons donc débattre de la hiérarchisation des paramètres, car ils n’ont pas tous la même portée. Il faut parfois être averti pour comprendre ce que cela veut dire, connaître la réalité du travail parlementaire pour savoir que cette situation-là existe. C’est ce décalage que je souhaite contribuer à combler, en engageant le dialogue et faisant part de mon expérience.
Dans le passé, le site a déjà été amené à modifier ses critères pour distinguer et exclure certaines interventions. Afin d’obtenir une juste appréciation, il existe d’autres paramètres qui pourraient être introduits parce qu’ils sont de mon point de vue plus pertinents, mais qui ne sont pas utilisés à l’heure actuelle car ils sont incompatibles avec un simple compteur. Il s’agirait par exemple de comptabiliser les interventions des parlementaires dans les discussions générales. Ce paramètre-là n’existe pas aujourd’hui, puisque les compteurs ne distinguent pas la nature des interventions, alors que le document initial, lui, existe.
Tout cela me parait intéressant, si l’on veut progresser sur la connaissance du travail parlementaire.