Le chef de l’État tenterait-il d’amadouer les opposants au projet de loi sur le renseignement, qui ne baissent pas les bras à un peu moins de trois semaines du vote solennel devant l’Assemblée nationale ? Hier, François Hollande a en effet annoncé qu’il saisirait lui-même le Conseil constitutionnel avant la promulgation du texte. Un geste politique risqué, mais qui permet à l'exécutif de montrer qu'il est capable de mettre un peu d'eau dans son vin.
Rassurer. Tel fut le maître mot de la prestation du président de la République, hier sur Canal+. Invité à se positionner sur le texte du gouvernement Valls, François Hollande a sans grande surprise déroulé les discours habituels : « Cette loi est faite à la fois pour nous protéger tous (...) et pour nous permettre d’être en liberté » ; « Personne ne pourra écouter votre conversation, aucun service, sans demander une autorisation » ; « Personne ne vous écoutera, sauf s’il y a eu un certain nombre de suspicions sur vos activités terroristes ou sur vos liens avec des personnes terroristes », etc.
Mais pour bien enfoncer le clou, le chef de l’État a surtout promis qu’il déférerait lui-même le projet de loi sur le renseignement aux « Sages » de la Rue Montpensier, une fois que celui-ci aura été définitivement adopté par le Parlement. « Pour que vous soyez bien convaincus que cette loi ne mettra pas, en aucune façon, en cause les libertés, je vais saisir, au terme de la discussion parlementaire, le Conseil constitutionnel. Et le Conseil constitutionnel pourra regarder lui aussi en fonction du droit si ce texte ou certaines de ses dispositions sont bien conformes à la Constitution – donc cette garantie sera également apportée. »
Pour rappel, la saisine de l’institution n’est pas obligatoire. Elle peut intervenir à l’issue des débats parlementaires à l’initiative soit de 60 députés, de 60 sénateurs, du Premier ministre, du président de l’Assemblée nationale, du président du Sénat ou du président de la République.
Un geste politique à la fois risqué et potentiellement avantageux
Politiquement, le geste est fort, d’autant que les présidents de la Vème République ne saisissent d’habitude guère le Conseil constitutionnel. La manoeuvre est clairement destinée à donner des gages aux opposants du texte, puisque toute disposition inconstitutionnelle serait censurée par l’institution. Ce fut le cas d’une grande partie de la loi Hadopi par exemple. Le gouvernement Fillon avait ainsi dû préparer un second texte et le faire voter au pas de charge, fin 2009. Les « Sages » pourraient également émettre des « réserves d’interprétation », des sortes de conditions qui s’imposeraient pour que le texte s’applique dans le respect du droit.
François Hollande reprend dans le même temps la main sur ce dossier, alors que l’opposition commençait à l’attaquer de manière de plus en plus marquée. Le prétendant à la présidentielle de 2017, l’ancien Premier ministre François Fillon, a en effet annoncé la semaine dernière qu’il saisirait le Conseil constitutionnel si l’exécutif ne le faisait pas.
Une gestion à contrepied de celle de la loi de programmation militaire
Une saisine préalable à la promulgation du texte a enfin un avantage sur un plan plus juridique : toute disposition ayant été jugée conforme à la Constitution ne peut plus être déférée au Conseil constitutionnel dans le cadre d’une « question prioritaire de constitutionnalité », cette procédure qui permet à un justiciable de demander à ce qu’on examine la conformité de la loi qu’on lui oppose durant un procès. Pour la contestée loi de programmation militaire, où le législateur fut vivement critiqué pour ne pas avoir saisi le Conseil constitutionnel, les opposants ont justement commencé à déposer des recours afin que les « Sages » se prononcent sur certaines mesures. Ces mêmes « QPC » ne seront plus possibles si le projet de loi sur le renseignement est jugé constitutionnel.
Restera maintenant à voir si seul le chef de l’État saisit le Conseil, ou si certains parlementaires tenteront eux aussi l’aventure. Avec une différence de taille, comme l’explique le juriste Rubin Sfadj sur Twitter : le président « se contente de "déférer" le texte aux Sages, charge à ces derniers de soulever les moyens pertinents », alors que « les parlementaires développent des arguments constitutionnels, auxquels le Conseil fait droit ou pas ».
#LeSupplément @fhollande : "je saisirai le conseil constitutionnel" à la fin des débats. Bon, au cas où, moi aussi, avec 59 autres. IA
— Députée Attard et al (@TeamIsaAttard) 19 Avril 2015
Une fois saisi, le Conseil constitutionnel dispose d’un mois pour rendre son arrêt, voire huit jours en cas d’urgence. Pendant ce laps de temps, le texte déféré ne peut être promulgué.