Après quasiment une heure et demi de débats, les députés ont adopté vendredi soir l’article censé conduire à la mise en Open Data des données de santé, détenues notamment par l’Assurance maladie. Alors que les discussions s’étaient révélées très succinctes en commission, les élus du Palais Bourbon ont cette fois été amenés à passer en revue une centaine d'amendements.
Au total, ce sont 127 amendements qui avaient été déposés sur l’article 47 du projet de loi sur la santé. Il faut dire que le sujet est hautement sensible, puisque les informations en question concernent la vie privée de millions de Français. Le gouvernement et la majorité socialiste n’ont toutefois lâché guère de lest, puisque la plupart des amendements adoptés sont de simples rustines destinées à corriger de mauvaises formulations ou de petits bugs rédactionnels. L’exécutif avait en effet largement revu sa copie en commission, ce qui explique pourquoi il n’a pas voulu modifier davantage cet article.
Les députés s'alignent sur le texte adopté en commission
Que contient donc la version votée vendredi par l’Assemblée nationale ? La création du Système national des données de santé (SNDS), cette sorte de « super base de données de santé », est bien entendu maintenue. Ont vocation à y être rassemblées :
- Les données issues des systèmes d'information des établissements de santé (publics comme privés), et notamment des hôpitaux,
- Les données issues du système d’information de l’Assurance maladie,
- Les données statistiques relatives aux causes de décès,
- Les données « médico-sociales » issues des systèmes d’information des maisons départementales des personnes handicapées,
- Un « échantillon représentatif des données de remboursement par bénéficiaire » transmis par les mutuelles.
Un décret en Conseil d’État, pris après avis de la CNIL, devra cependant venir préciser les modalités d’alimentation de cette base, et notamment « la liste des catégories de données » qui seront réunies en son sein.
Ouvrir les données de santé tout en préservant la vie privée des patients
Afin de protéger la vie privée des patients, de nombreuses protections ont été apportées par le législateur. Le SNDS ne pourra par exemple contenir « ni les noms et prénoms des personnes, ni leur numéro d’inscription au répertoire national d’identification des personnes physiques, ni leur adresse ».
Ces précieuses informations seront toutefois détenues par un « organisme distinct » désigné par décret, au cas où il y aurait besoin de contacter un individu en particulier. Cette structure, qualifiée de « tiers de confiance » par le gouvernement, devra assurer leur sécurité et éventuellement les remettre en cas de besoin, sur autorisation de la CNIL. Des patients pourront ainsi être réidentifiés, mais dans des cas à la fois exceptionnels et très précis : pour avertir une personne d’un « risque sanitaire grave » auquel elle serait exposée, ou pour proposer à certains patients atteints de maladies rares de contribuer à une recherche, dès lors qu’il n’existe pas de « solution alternative ».
Il est d’autre part expressément interdit d’effectuer un traitement de ces données pour des motifs de prospection commerciale (auprès des hôpitaux de certaines régions où des problèmes ressortiraient par exemple au vu des données), ou bien afin de faire évoluer des primes et contrats d’assurance.
Un mécanisme d’ouverture des données à deux vitesses
Comment pourra-t-on accéder aux informations du SNDS ? Il faudra à nouveau attendre un texte d'application pour savoir comment s’organisera concrètement l’accès à ces données de santé. Le projet de loi en fixe néanmoins les grandes lignes.
Pour les données dont le risque de réidentification des patients est nul ou extrêmement faible (« statistiques agrégées » et données individuelles ayant été anonymisées), il est prévu que la mise à disposition se fasse « gratuitement ». La réutilisation de ces informations sera autorisée, à condition qu’elle n’ait « ni pour objet, ni pour effet d’identifier les personnes concernées ». Par contre, il n’y a aucune mention d’un quelconque format de publication, ce qui signifie que rien ne garanti que les données seront diffusées dans un format ouvert... Signe que la copie du législateur est encore loin d’un véritable Open Data.
Pour les autres données, celles qui contiennent encore des informations à caractère personnel, leur accès sera conditionné à l’autorisation d’une sorte de commission composée de professionnels de santé, de représentants d’usagers... l’Institut national des données de santé. Le demandeur, qu’il soit chercheur, journaliste ou simple citoyen, devra présenter différents éléments justifiant sa démarche et s’engager à suivre une certaine méthodologie pour le traitement des données. Il devra par exemple prouver qu’il cherche à effectuer une enquête ou étude sur les dépenses de santé, tout en suivant « un motif d’intérêt public ». La CNIL devra elle aussi donner son feu vert.
Quelques garanties apportées pour le travail des journalistes
Vendredi, les députés se sont d’ailleurs tout particulièrement arrêtés sur ces dispositions, jugées dangereuses par certains professionnels de la presse. « Le journaliste qui voudra enquêter à partir de ces bases de données pourrait devoir soumettre la pertinence de sa requête, sa méthodologie et même le résultat de son enquête à un comité d’experts à la composition incertaine, ainsi qu’à une nouvelle instance, plutôt constituée de la société civile et d’acteurs économiques, qui jugera du caractère "d’intérêt public" de la demande » déplorait ainsi l’Association des journalistes de l’information sociale (IJIS).
Plusieurs parlementaires, de la majorité comme de l’opposition, avaient de ce fait déposé des amendements d’appel (voir ici et là) afin que les journalistes puissent accéder aux données non anonymisées du SNDS sans avoir besoin de l’autorisation de l’Institut national des données de santé (INDS).
Le gouvernement avait toutefois anticipé ces critiques en faisant adopter un autre amendement précisant que les « organismes de presse » auront le droit d’accéder aux données de santé, au même titre que les citoyens ou les professionnels de santé notamment. Il a surtout été prévu que les auteurs d’études scientifiques ou d’articles de presse puissent attendre la publication de leurs travaux avant de devoir les révéler à l’INDS.

La rapporteure socialiste Hélène Geoffroy a également fait adopter un amendement visant à faire en sorte que les compétences des sections du comité d’expertise de l’INDS soient définies non plus en fonction de la seule « nature » du traitement de données, mais également de sa « finalité ». « C’est ainsi que des modalités spécifiques d’examen seront possibles en fonction des demandes. On peut imaginer en particulier que, si les journalistes le souhaitent, une section spécialisée pourra examiner les traitements ayant pour finalité l’information du public » a-t-elle fait valoir dans l’hémicycle, avant de demander aux députés Bapt (PS) et Robinet (UMP) de retirer leurs amendements. Ce qu’ils ont accepté.
On notera enfin qu’un amendement du député de l’opposition Arnaud Robinet a été adopté, avec l’avis favorable du gouvernement, afin que l’avis de l’INDS soit rendu rapidement. En l’occurrence, il est désormais prévu qu’à « défaut d’avis du comité d’expertise dans le délai d’un mois, l’avis est réputé favorable ». Il a d’autre part été ajouté qu’en cas « d’urgence », ce délai pourrait être ramené à quinze jours.
Examiné article par article jusqu’à samedi, le projet de loi sur la santé sera soumis au vote des députés demain après-midi. Le texte devrait ensuite être transmis au Sénat, où les élus du Palais du Luxembourg auront tout le loisir de l’amender à nouveau...