En marge de son passage à Paris, Julia Reda nous a accordé une interview. L’occasion de revenir sur son projet de résolution européenne sur la réforme du droit d’auteur, mais également sur les reproches qui lui sont adressés en boucle par les ayants droit, notamment quant à son étiquette du Parti pirate.
On reproche à votre rapport de ne faire que des propositions, sans évaluation de la situation actuelle de la directive sur le droit d'auteur. Que répondez-vous sur ce point ?
Le rapport dont la rédaction m'a été confiée par le Parlement européen - mes pairs eurodéputés, tous partis confondus, m'ayant désignée - a pour but d'évaluer la Directive de 2001 sur le droit d'auteur et les droits voisins. Cette Directive avait pour objectif d'harmoniser le droit d'auteur en Europe: 14 ans après son adoption, après la généralisation des réseaux numériques, qu'en est-il ? La Commission a déjà commencé l'évaluation de la mise en œuvre de cette Directive en menant une consultation publique qui s'est clôturée en 2014. Cette consultation a enclenché une énorme participation publique, toutes parties intéressées confondues, y compris les utilisateurs et les internautes. Mon travail n'est pas celui de la Commission, qui est déjà en possession d'analyses chiffrées, sur lesquelles je me base d'ailleurs. En tant que membre du Parlement européen, ma mission est de faire des propositions non législatives, mais qui donnent une indication à la Commission de ce que peuvent attendre les citoyens européens sur ces questions. Je participe au rôle du Parlement en tant qu'organe législatif, en complément de la Commission. Celle-ci aura ensuite le rôle de faire des propositions législatives, qui seront ensuite soumises, en fin de parcours législatif, au vote du Parlement. D'où l'importance de la position du Parlement européen, à laquelle la Commission est déjà attentive.
Les ayants droit français sont très remontés contre votre projet de résolution. Est-ce que vous entendez des critiques similaires dans les autres pays ? Comment les expliquez-vous ?
Il est vrai que les critiques venant de France peuvent être virulentes parfois, de manière surprenante. Cependant, j'ai rencontré des gens tout à fait ouverts à la discussion lors de mon déplacement à Paris début avril. En Allemagne par exemple, des organisations représentantes d'auteurs comme Initiative Urheberrecht, ont manifesté leur soutien au rapport. Même si nous pouvons être en désaccord sur certains points, certains reconnaissent que je propose une base de discussion sérieuse.
Ils disent aussi que vous ne les avez rencontrés que tardivement, voire évités… Est-ce vrai ?
J'ai reçu beaucoup de gens dans mon bureau pour discuter de mon projet de rapport. La majorité des demandes de rencontre sont venues de la part d'ayants droit, et pas que des Français. J'ai notamment reçu des représentants de la SACEM, dont Monsieur Jean-Noël Tronc. En tant qu'eurodéputée et rapporteure, j'ai la responsabilité d'écouter les divers intérêts en présence, et d'être transparente à cet égard. Ces informations sont publiques, disponibles sur mon site web depuis janvier 2015.

Fleur Pellerin, notamment, vous a reproché aussi votre passé au « Parti Pirate »… Cette étiquette vous porte-t-elle préjudice ?
Le Parti Pirate a une histoire particulière. Son nom provient d'une réaction citoyenne aux accusations disproportionnées de contrefaçon au droit d'auteur, dans un contexte où le vocabulaire usité était à connotation criminelle. Cependant, cela ne veut pas dire que le Parti Pirate ne respecte pas les autres et leurs droits, notamment les créateurs et titulaires de droits d'auteur. D'ailleurs, je connais des auteurs sympathisants du Parti Pirate.
Avez-vous pu échanger d’ailleurs avec la ministre de la Culture ?
Je n'ai pas encore eu cet honneur. Je lui ai écrit pour solliciter une rencontre et j'espère que cela pourra se produire dans un futur proche. Cela ne m'empêche pas de rencontrer des représentants politiques français, dont les membres de la commission culture du Sénat qui m'ont auditionnée - bien qu'en petit comité - la semaine dernière (2 avril). J'étais notamment très heureuse de pouvoir rencontrer la sénatrice Catherine Morin-Desailly, qui a des positions intéressantes sur l'économie numérique et la gouvernance d'Internet, ou encore la sénatrice Corinne Bouchoux qui est sensible à la modernisation du droit d'auteur.
La plus grosse partie de votre rapport se focalise sur les exceptions. Est-ce bien là la clef de la réforme du droit d’auteur en Europe ?
Il ne peut s'agir d'un reproche, car la Commission elle-même a fait des exceptions un sujet central de sa consultation sur la modernisation du droit d'auteur. Les exceptions font partie intégrante du système du droit d'auteur. Il s'est toujours agi de trouver un équilibre entre droits exclusifs et exceptions. Outre réaffirmer l'importance de la protection par le droit d'auteur, ce que je fais d'ailleurs dans mon rapport, le travail de modernisation doit porter sur cet équilibre, et donc sur les exceptions.
Les ayants droit militent eux, pour une réforme de la directive de 2000 sur la responsabilité des intermédiaires. Quelles sont vos positions sur ce point ?
Il s'agit d'un autre sujet que celui de l'évaluation de la Directive de 2001. Cependant, j'entends les préoccupations sur la juste répartition des gains dans la chaîne de valeurs, mais je pense que cela peut se résoudre non pas par le droit d'auteur, mais par des mesures économiques, dont des mesures d'imposition qui fassent participer à l'économie européenne les géants américains que tout le monde a en tête en évoquant cette question. Mais revenir sur des principes aussi essentiels que ceux régissant les réseaux numériques et la responsabilité de leurs acteurs reviendraient à remettre en question le fonctionnement même d'Internet. Une autre conséquence de cela irait à l'inverse des objectifs affichés par ceux appelant cette révision de la Directive E-commerce : la position dominante des acteurs les plus puissants serait renforcée par des règles plus strictes qui ne peuvent faire le jeu que de ceux qui sont déjà en place et en force. Je doute que cela soit au bénéfice de notre société numérique et du développement de l'innovation européenne...
De nombreux amendements ont été déposés pour revenir sur vos propositions. Que se passera-t-il si votre rapport en ressort totalement dénaturé ?
Des amendements apportent aussi des choses positives à mes propositions. La variété des amendements, et les discussions qui s'en suivent, montrent à quel point les groupes politiques sont divisés sur la façon d'appréhender mes propositions. Je travaille avec mes collègues eurodéputés pour trouver un accord sur des amendements de compromis. Je proposerai autant de réunions que nécessaires pour permettre une vraie discussion au sein du parlement. Une réforme du droit d'auteur est nécessaire. C'est le bon moment pour donner l'orientation de cette réforme aux rédacteurs de la loi européenne.