Le Sénat américain pourrait se pencher sur la décision de la FTC de ne pas déposer plainte contre Google en janvier 2013, alors que de nombreux éléments pointaient vers des infractions aux lois antitrust. Une conséquence directe des révélations faites par le Wall Street Journal, malgré plusieurs erreurs.
Initialement, ces informations n’auraient pas dû être révélées. Elles avaient été envoyées par la Federal Trade Commission par erreur, sous la forme d’un document contenant les conclusions du bureau interne de la concurrence durant l’enquête sur Google, en 2011 et 2012. On y apprenait notamment que le bureau avait relevé de nombreuses infractions ainsi que des preuves d’une attitude particulièrement agressive à l’égard de la concurrence.
Le rapport de la discorde
Pourtant, le Wall Street Journal avait fait plusieurs erreurs dans le sillage desquelles Google et la FTC se sont engouffrées. L’article affirmait par exemple que le bureau de la concurrence avait recommandé de déposer plainte contre Google, un conseil qui n’avait pas été suivi par les cinq commissaires de la FTC : ils avaient voté à l’unanimité contre le dépôt de plainte. En réalité, on ne sait pas ce qu’a recommandé le bureau, puisque le dossier transféré ne comporte que les pages paires, la conclusion étant donc amputée de moitié.
D’un autre côté, ni la Commission ni Google ne peuvent nier les informations contenues dans le document, dont l’authenticité n’a d’ailleurs pas été démentie. L’attitude de Google envers la concurrence y est dépeinte de manière crue, avec notamment le pillage des données de sites comme Amazon, Yelp et TripAdvisor pour gonfler ses propres doses. Le tout en menaçant ces entreprises de les déréférencer de son moteur de recherche si elles protestaient un peu trop. Un cas manifeste d’abus de position dominante. Difficile pour Google de continuer à claironner que ses méthodes étaient bonnes pour la concurrence, conclusion de la firme en janvier 2013 après l'annonce de la FTC.
La réaction officielle de la FTC est que ses trois bureaux (commerce, concurrence et procureur général) étaient unanimes : il n’était pas nécessaire de déposer plainte. Pourquoi ? Sans doute parce que les bénéfices apportés aux utilisateurs étaient grands, un point capital dans la grille de lecture des évènements. Le rapport du bureau de la concurrence pointait ainsi vers des risques d’effets négatifs sur le consommateur si des sanctions devaient être prises.
Des sénateurs pointent vers des soucis de fonctionnement
Une commission d’enquête sénatoriale pourrait plonger bientôt dans cette affaire. Elle s’attarderait sur un aspect particulier des évènements : l’éventuelle implication de la Maison Blanche dans la décision finale de la FTC. Cette dernière répète qu’elle est indépendante et que l’exécutif n’a pas sa place dans son processus de réflexion. Pourtant, on sait qu’Eric Schmidt s’est lourdement impliqué dans la campagne de réélection de Barack Obama et que des représentants de Google se sont rendus environ 230 fois à la Maison Blanche depuis la première élection de l’actuel président américain.
Google s’est justifié en précisant dans une attaque assez véhémente contre le Wall Street Journal que ces réunions avaient des objets très variés : voitures autonomes, réforme du dossier patient, cloud, sécurité et autres. D’ailleurs, sur la même période, Microsoft avait visité 270 fois les mêmes lieux, et Comcast 150 fois. Même si pour la firme l’article du Journal est un signe évident de la vendetta personnelle de Rupert Murdoch, le sénateur Mike Lee se demande : « En résumé, nous aimerions savoir comment la FTC a pu permettre la publication d’un rapport confidentiel et quelles conversations, s’il y en a, la FTC ou Google ont eu avec la Maison Blanche sur l’enquête en cours ».
Mais comme le sénateur l’a indiqué au National Journal, il n’est pas question de rouvrir la boîte de Pandore. La commission sénatoriale ne va pas se pencher sur les détails de l’enquête sur Google, mais sur la manière dont elle a été menée : « Nous ne réexaminerons sans doute pas les mérites sous-jacents de cette enquête, qui a été fermée. Notre but est la supervision ». Il se pourrait donc que la Commission ait à répondre de certaines irrégularités, ne serait-ce que sur les évènements qui ont permis à un tel rapport de fuiter vers le Wall Street Journal, même si la moitié des pages manquaient.
La Commission européenne serait sur le point de déposer sa plainte contre Google
Selon le Wall Street Journal encore une fois, Google n’est pas prête de sortir du regard scrutateur de certaines instances. La Commission européenne devrait en effet communiquer d’ici deux semaines la liste complète des griefs contre l’entreprise, une étape d’autant plus majeure qu’elle fait suite à cinq ans d’enquête.
À la lumière des éléments révélés par le rapport, les regards se tournent donc vers l’Europe. Les espoirs des concurrents, déçus en janvier 2013 par la conclusion de l’enquête de la FTC, sont que Google soit dûment épinglée pour ses abus de position dominante supposés et les pressions que la firme aurait exercées, notamment sur la négociation des contrats publicitaires.
Il se pourrait cependant que la plainte soit déposée avec peu de marge pour négocier. Margrethe Vestager, nouvelle commissaire à la concurrence, s’est en effet déjà signalée par sa préférence pour les procès allant jusqu’à leur terme. Dans tous les cas, l’annonce semble imminente : elle a demandé aux entreprises qui avaient déposé plainte contre Google dans le passé si certaines informations, auparavant confidentielles, pouvaient maintenant être révélées. Selon des experts interrogés par le Wall Street Journal, ce type de demande n’intervient qu’avant un dépôt de plainte en bonne et due forme.
De là, il y aurait alors trois sorties possibles principalement. D’abord, Google pourrait chercher à régler l’affaire à l’amiable, en proposant une série de mesures, comme elle l’a fait avec la FTC, qui avait d’ailleurs accepté. Cette voie a été tentée trois fois déjà avec l’ancien commissaire à la concurrence, Joaquin Almunia, mais sans succès. Ensuite, Google pourrait se défendre et gagner la partie. Enfin, elle pourrait tout aussi bien la perdre, comme ce fut le cas pour Microsoft en 2012, avec des amendes record à la clé (un total de 1,7 milliard d’euros environ).