L’Assemblée nationale a introduit hier, aux alentours d'une heure du matin, un nouveau délit réprimant les discours pro anorexie. Des dispositions qui ont tout particulièrement vocation à s’appliquer sur Internet.
Dans le cadre de l’examen du projet de loi sur la santé, les députés ont examiné deux amendements ayant un objectif commun : lutter contre toutes les incitations à l'anorexie. Sur les bancs de la majorité, la socialiste Fanélie Carrey-Conte souhaitait que le Code pénal punisse d'un an de prison et 10 000 euros d’amende « le fait de provoquer une personne à rechercher une maigreur excessive en encourageant des restrictions alimentaires prolongées ayant pour effet de l’exposer à un danger de mort ou de compromettre directement sa santé ». Du côté de l’opposition, l’UMP Valérie Boyer avait déposé un amendement afin que des peines plus lourdes s'appliquent : 2 ans de prison et 30 000 euros d’amende, voire davantage en cas de décès (3 ans de prison et 45 000 euros d’amende).
« Certaines personnes, à travers différents moyens comme des sites Internet, des blogs, des magazines, incitent des personnes à se priver de nourriture pour maigrir de manière excessive, voire font ouvertement l’apologie de l’anorexie. Ces dérives, comme le mouvement pro-ana, doivent être sanctionnées » s’est justifiée Valérie Boyer dans l’hémicycle, tout en rappelant qu'elle était à l'origine de cette proposition, déjà portée devant l'Assemblée en 2008. Fanélie Carrey-Conte l’a rejointe en expliquant qu’étaient « notamment visés les fameux sites dits « pro-ana » qui peuvent entraîner des personnes, et en particulier des jeunes filles, dans le cercle vicieux de l’anorexie sans être inquiétés par l’autorité publique ».
Une frontière poreuse entre l'exutoire et l'incitation
Sollicité pour avis, le rapporteur socialiste Olivier Véran s’est dit favorable à l’introduction de ce nouveau délit. « Contre l’incitation, nous devons aller de l’avant, mais il faudra faire attention à la manière de combattre les sites pro-ana, a-t-il prévenu. Certains sont tenus par des jeunes femmes souffrant elles-mêmes d’anorexie et coupées de leur environnement, qui se servent d’un blog comme d’un exutoire et d’une façon de communiquer. En revanche, il y a d’autres sites qui font clairement l’apologie des méthodes à utiliser pour maigrir le plus possible jusqu’à disparaître, ce qui doit poser un certain nombre de questions. » Aucun des textes soumis aux députés ne fait cependant de telle distinction. Il appartiendra donc au juge de se prononcer en cas de litige.
L’élu a néanmoins donné un avis favorable uniquement à l’amendement de sa collègue Carrey-Conte (aux peines plus légères). Il a d’ailleurs été suivi par la ministre de la Santé, Marisol Touraine, qui a expliqué face à l’agacement de Valérie Boyer qu’au « regard du droit pénal, la disproportion est totale entre le montant des sanctions et des peines [prévues par son amendement] et la nature de ces dernières ». Résultat, l’amendement défendu par les socialistes a sans grande surprise été adopté.
Une mesure qui fait réagir
Fait intéressant, les députés PS s’étaient opposés en 2008 à la proposition de Valérie Boyer, alors qu’ils étaient dans l’opposition. Jean-Marie Le Guen, l’actuel secrétaire d’État en charge des Relations avec le Parlement, n’avait d’ailleurs pas mâché ses mots contre ce nouveau délit envisagé par l’élue UMP : « Nous avons l’impression que, du fait même de son inutilité, cette nouvelle incrimination pénale, loin de résoudre le problème posé par l’anorexie, n’est qu’un simple exutoire venant masquer les véritables causes, enfouies dans notre société, de la montée, d’abord chez les jeunes, mais pas seulement, des comportements violents, y compris contre soi-même – automutilations, suicide ou toxicomanie. » Des propos tenus sous les applaudissements d’une certaine... Marisol Touraine (voir le compte rendu sur le site de l’Assemblée nationale).
Ces derniers jours, différentes voix se sont par ailleurs élevées pour critiquer cette nouvelle mesure, jugée inefficace. « Nous savons aujourd’hui que les créateurs de contenus des forums et des sites web axés sur l'anorexie et la boulimie sont surtout les jeunes qui souffrent eux-mêmes, qui expriment leur malaise en quête de compréhension et de soutien par leurs pairs. Ils n’ont pas l’intention d’inciter les autres à les suivre – et il n’est pas prouvé que leurs comportements déclenchent des effets d’émulation chez leurs lecteurs. Nous savons aussi que la répression et la censure n’arrivent pas à freiner la prolifération de contenus controversés » font par exemple valoir le diététicien Nicolas Sahuc et la sociologue Paola Tubaro dans une tribune publiée sur Slate.
Les débats devraient reprendre de plus belle sur ce sujet lorsque le projet de loi sur la santé arrivera au Sénat, une fois voté par l'Assemblée nationale.