L’association de défense des libertés La Quadrature du Net a annoncé ce matin avoir déposé, aux côtés des fournisseurs d'accès associatifs de la fédération FFDN, un recours à l’encontre du décret relatif au blocage administratif des sites « terroristes » et pédopornographiques. Cette procédure engagée devant le Conseil d’État pourrait cependant durer plusieurs mois, sinon années.
Après le décret d’application de l’article 20 de la loi de programmation militaire, au tour du décret du 5 février 2015 « relatif au blocage des sites provoquant à des actes de terrorisme ou en faisant l'apologie et des sites diffusant des images et représentations de mineurs à caractère pornographique » (ouf !). La Quadrature du Net et FFDN estiment que « ce dispositif de censure administrative conduit inévitablement à bloquer de nombreux contenus parfaitement licites sans aucune intervention de l'autorité judiciaire, et fait peser un grave risque d'arbitraire absolument indigne d'une démocratie ».
Prévu par la LOPPSI de 2011 et par la dernière loi anti-terroriste de novembre 2014, ce dispositif inédit en France a été mis en œuvre au lendemain des attentats de Charlie Hebdo, alors que le PS fustigeait le blocage administratif lorsqu’il était encore dans l’opposition. Concrètement, les gendarmes et policiers de l’Office central de lutte contre la criminalité liée aux technologies de l'information et de la communication (OCLCTIC) transmettent désormais aux fournisseurs d’accès à Internet une liste de sites à bloquer, à charge pour eux de prendre « tout moyen approprié » pour arriver à cette fin dans un délai maximum de 24 heures. À aucun moment un juge ne se prononce sur l’illicéité avérée – ou non – de ces mêmes sites.
Un recours déposé en début de semaine devant le Conseil d’État
Contactée, la porte-parole de La Quadrature du Net Adrienne Charmet-Alix nous informe que le recours, d’une « cinquantaine de pages », a été déposé devant le Conseil d’État en début de semaine. L’objectif ? Arriver à faire annuler ce décret, et donc la mise en œuvre du dispositif de blocage administratif des sites « terroristes » et pédopornographiques.
Pour cela, les deux organisations comptent tout d’abord faire valoir devant le juge administratif que « le blocage sans juge judiciaire s'oppose à tout un tas de jurisprudences européennes sur la liberté d'expression ». D’autre part, Adrienne Charmet-Alix explique que « les fournisseurs d’accès à Internet doivent en quelque sorte dénoncer indirectement leurs clients qui se rendent sur des sites bloqués », via leur adresse IP. Un point qui avait été mis en exergue voilà plusieurs semaines par la CNIL, l’autorité administrative ayant prévenu le ministère de l’Intérieur que « le cadre juridique actuel ne permet ni la collecte ni l’exploitation, par l’OCLCTIC, des données de connexion des internautes ».
La procédure s’annonce néanmoins relativement longue... « Ça peut prendre jusqu'à deux ans » concède ainsi Adrienne Charmet-Alix. En cas d’issue défavorable, La Quadrature du Net se dit même prête à aller jusque devant la Cour européenne des droits de l'Homme.
Il est à noter que ce recours ne porte pas sur le décret du 4 mars relatif cette fois au déréférencement administratif de ces mêmes sites au sein des moteurs de recherche et autres « annuaires » (voir notre article). Un dispositif dont on devine qu’il pourrait tout autant être contesté devant les juridictions administratives.