Semaine chargée dans le domaine de la presse, puisque les conférences sur son financement et son avenir se sont succédé. Mais finalement, c'est une annonce autour de Facebook qui a retenu toute l'attention. De quoi nourrir une préoccupation pour ce secteur en mutation, qui devrait plutôt se préoccuper de la bataille d'après.
Cette semaine, la presse évoquait son avenir en partie financé par Google à travers le Fonds pour l’Innovation Numérique de la Presse (FINP), à l'occasion de la conférence Vers les médias de demain. Une initiative conjointe avec l'association mondiale d'éditeurs WAN-IFRA. Dans le même temps, le secteur revenait sur ses pratiques en termes de modèles économiques et de nouvelles écritures à l'occasion du forum Entreprendre dans la culture organisé par trois de nos ministères. Nous reviendrons d'ailleurs dès lundi sur ces deux évènements.
Mais c'est tout autre chose qui a monopolisé l'attention de ceux qui s'intéressent à ce qui attend le journalisme pour les années à venir. Ce n'est pas les fameux « robots journalistes » du Monde qui n'en sont pas (ni robots, ni journalistes), bien que le sujet ait eu son heure de gloire sur Twitter et chez quelques confrères. Non, ce qui a inquiété toute la profession au point de voir des dizaines d'articles s'intéresser au sujet, c'est Facebook.
Facebook is the new Internet
En effet, à travers un article du New York Times, le monde a découvert avec effroi que le réseau social de Mark Zuckerberg voulait dévorer internet, et ce, jusqu'à absorber le contenu de la presse en ligne. Le « deal » est présenté de la sorte : les journaux fournissent leurs articles à Facebook qui pourra ainsi désormais les diffuser directement dans son interface à ses utilisateurs. Ces derniers verront de la publicité. Les revenus issus de cette publicité seront en partie reversés aux éditeurs. Bien entendu, ceux qui joueront le jeu seront mis en avant, un peu comme ceux qui publient désormais leurs vidéos directement sur Facebook plutôt que via Youtube. L'utilisateur, lui, restera dans l'univers confortable et bleu dont il pourra penser qu'il s'agit d'Internet dans son ensemble.
Mais voilà, cela fait du réseau social le kiosque numérique ultime : celui qui détiendrait à la fois l'audience, les contenus, et les moyens de les monétiser. Comme toujours face à ce genre de situation, il y a deux écoles. Ceux qui veulent foncer dans cette opportunité afin d'en profiter, quitte à devoir regretter ensuite (et demander la création d'un fond validé par la présidence de la république, sous peine de modifier le fameux fichier robots.txt). Mais aussi ceux qui freinent des quatre fers, voyant leur position dégringoler dans la chaîne de valeur, alors que ce sont eux qui supportent tous les coûts (en grande partie fixes) qu'implique la création de l'information. Une information qui, lorsqu'elle est de qualité, est un besoin vital pour nos démocraties.
Comme un air de déjà-vu
Et il faut dire que les risques sont nombreux. Mais ils ne sont ni nouveaux, ni méconnus. Et c'est d'ailleurs la bataille suivante qui devrait inquiéter tout le monde, car celle de la récupération des contenus par les GAFA, qu'il s'agisse de Google ou de Facebook, est déjà perdue.
Elle est déjà perdue parce que des médias ont déjà goûté au contenu produit pour Facebook. Comme certains avaient déjà goûté avant eux au contenu produit pour Google. Les règles ne sont pas les mêmes, mais les pratiques sont identiques : une source d'audience se forme, elle devient capable de drainer des dizaines ou des centaines de milliers de lecteurs sur des pages d'éditeurs fournies en publicités, qu'il faut écouler chaque mois pour assurer la pérennité du service. Pour en profiter, il faut se conformer aux exigences de la source en question :

C'est ce qui explique le pouvoir pris par Google face aux médias dans les dix dernières années, et la présence du géant dans une bonne partie des conférences et autres remises de prix du secteur. Des écoles de journalisme aux réunions de patrons de presse, le moteur de recherche est partout.
Google en perte d'influence face au virage social de la distribution de l'information
Mais les experts en SEO ont perdu de leur aura face aux experts de la viralité sociale. Les titres à mots-clefs sont délaissés au profit des titres qui font appel à nos émotions, accompagnés de photos qui accrochent l'œil. Le tout est surveillé par Chartbeat en permanence. Toute une partie de la chaîne de production de l'information est désormais accroc à ce besoin de « likes », qui peuvent fournir jusqu'au tiers de l'audience d'un site pour peu que l'on sache s'adapter aux nouveaux codes. Un poids que Google+ ne sera jamais capable d'atteindre, alors que le moteur de recherche de Google perd en influence chez les plus agiles.
Dès lors, la diffusion dans l'univers de Facebook n'est que la prochaine étape. Le navigateur est de toute façon déjà intégré à l'application mobile du réseau social. Le but est simplement de nettoyer le contenu de sa publicité et son ergonomie pour la remplacer par celle pensée par les équipes de Mark Zuckerberg, et y placer les sources de revenus maison. Les producteurs de médias récupéreront une partie du bénéfice généré pour remerciement dans leur participation à la captation de l'attention de l'utilisateur, nouvel or noir des internets.
On s'affole d'ailleurs de cette pratique alors qu'elle n'a rien de nouveau. Avec Flux d'actu, devenu Play Kiosque, Google propose déjà depuis longtemps l'intégration du contenu de ses partenaires, même en France. Des partenaires qui bénéficient alors d'une bonne mise en avant. D'autres se sont déjà associé avec des éditeurs pour récupérer et diffuser leur contenu dans des applications maison. Mais voilà, presque personne n'utilise Play Kiosque, et les autres solutions qui existent çà et là n'arrivent pas au centième de la cheville de Facebook en termes d'audience ou de puissance de frappe.
Les articles de 20 minutes sont déjà proposées complètement dans Google Play Kiosque. Pourquoi pas sur Facebook ?
Facebook va-t-il devenir le Blendle de la presse en ligne ?
Mais c'est ce qui se prépare ensuite qui devrait inquiéter les éditeurs. Car Facebook n'est pas plus bête qu'un autre, bien au contraire. Et la tendance du moment chez tous les grands services américains se focalise autour d'une seule et même pratique : le paiement mobile. Twitter dispose de son bouton « Acheter », Tumblr propose directement d'intégrer des actions payantes vers des services tiers, Snapchat propose de transférer de l'argent tout comme... Facebook Messenger.
Un Messenger qui va désormais devenir une plateforme à part entière, cela a aussi été annoncé cette semaine. Un centre névralgique pour des applications qui pourront ainsi profiter de son audience et de son usage, comme cela est déjà le cas pour Facebook. Et à l'heure où Blendle débarque outre-Atlantique, avec Axel Springer ainsi que le New York Times comme investisseurs, et des titres prestigieux au catalogue pour ce qui est de l'achat à l'acte, il est impensable de croire que Facebook n'a aucune intention de se placer sur un tel marché.
Ainsi, l'opération visant à récupérer le contenu et à devenir un point d'audience et de revenus toujours plus vital pour la presse pourrait à terme passer aussi par l'offre payante, et non pas le simple partage de revenus issus de la publicité. Là où Apple n'a pas réussi à apporter des lecteurs en masse à la presse numérisée avec ses iPad (voir cette émission d'ASI), Facebook cherchera sans doute à permettre l'achat de contenus à l'unité (et pourquoi pas d'abonnements, voire d'offres à la Netflix) pour une presse qui a encore du mal à comprendre les nouveaux besoins, et à trouver une manière de se monétiser efficacement en ligne.
Dès lors, la toute-puissance de l'algorithme de Facebook par rapport à la vie ou la mort d'un média n'en sera que renforcée, à un point dépassant sans doute celui du « terrible » Google News. Actuellement, plusieurs sites américains ont décidé de sauter le pas dans l'aventure de Facebook. D'autres suivront sans doute.
Résister ou succomber, chacun va devoir faire ses choix... lecteur compris
En France, si toutes les rédactions évoquent le sujet, les dirigeants et décideurs restent pour le moment assez silencieux. Interrogée sur cette question lors d'une table ronde du forum Entreprendre dans la culture, Isabelle André, du Monde, n'a pas souhaité prendre position pour le moment, tout en précisant néanmoins que cela n'était pas dans les projets actuels ou les habitudes du journal. Une attitude qui pourra sans doute changer. Il sera d'ailleurs intéressant de voir ce qu'il ressortira des rencontres à venir entre Facebook et les médias, et des pratiques qui en découleront. Car c'est sans doute cette année que tout va se jouer.
Et entre ceux qui miseront pour la résistance face à ce nouvel ogre qui veut prendre la place de Google dans le cœur des médias grand public, et ceux qui se laisseront séduire pour mieux en profiter à court terme, un fossé va sans doute se creuser. Un fossé pour ce qui est de la production de contenu, des pratiques mais aussi des modèles économiques. Et comme toujours, ce sera au final au lecteur, aussi utilisateur de ces plateformes, de décider. Et éventuellement de payer les pots cassés.