Crédit d'impôt jeu vidéo : le Québec met les bouchées doubles

« It's dangerous to go alone, take this ! »
Droit 7 min
Crédit d'impôt jeu vidéo : le Québec met les bouchées doubles
Crédits : Nastco/iStock/ThinkStock

Coup de tonnerre dans l'industrie du jeu vidéo ! Le Québec vient de déposer son budget pour l'année et il prévoit une large hausse des aides apportées au secteur. Celles-ci dépasseront largement le montant prévu par le dispositif français, qui fait pourtant partie des plus généreux en Europe.

Comme la plupart des industries culturelles, le jeu vidéo est assez largement soutenu par de nombreux États. Les aides accordées varient fortement d'un pays à un autre, mais toutes ont le même objectif : favoriser le développement d'une industrie à forte valeur ajoutée sur leur territoire. Le marché du jeu vidéo devant atteindre la barre des 100 milliards de dollars à l'échelle mondiale d'ici quelques années, plusieurs nations font tout leur possible pour profiter au mieux de cette future manne financière.

37,5 : la fièvre des aides touche le Québec

La province de Québec, au Canada, fief de studios et d'éditeurs comme Ankama, BioWare, Eidos, Gameloft, Square-Enix, Ubisoft et Warner Bros Games, vient de déposer son budget pour l'année, et un des chapitres y figurant va réjouir bon nombre de ces acteurs de l'industrie. Alors qu'un assèchement des aides et un durcissement de leurs conditions étaient pendant un temps envisagés, le gouvernement local a finalement décidé d'ouvrir en grand les caisses de la province, pour y attirer toujours plus d'entreprises.

Et les Québécois savent être très généreux avec leur industrie locale. Dès cette année, le « Crédit d'impôt pour la production de jeux vidéo » ou « Crédit multimédia » va voir ses plafonds augmenter de façon spectaculaire. Il sera désormais question d'un taux de 30 % pour la production d'un jeu, et de 37,5 % si celui-ci dispose d'une version française. Cela représente une hausse de 20 % par rapport aux taux en vigueur l'an passé, mais surtout un retour au taux qui était appliqué dans la province en 1998.

62,4 millions d'euros d'aides pour Ubisoft l'an passé

Pour vous donner une idée de l'importance de ces aides, sachez qu'Ubisoft a collecté au total 62,4 millions d'euros d'aides diverses de la part du gouvernement canadien. 49,7 millions proviennent du « Crédit multimédia » sur l'exercice fiscal précédent (voir p144), sur un chiffre d'affaires d'un milliard d'euros et des pertes nettes de 65,5 millions d'euros. Sur la même période, l'ensemble des aides françaises s'élevait à 7,2 millions d'euros, dont 1,9 million au titre du Crédit d'impôt jeu vidéo. 

Ubisoft CanadaUbisoft Canada 

Source : Rapport Annuel 2014 d'Ubisoft, pages 143 a 144.

Un plafond a été mis en place pour limiter le montant du crédit d'impôt québécois, à raison de 37 500 dollars canadiens (27 700 euros) par employé. Comme l'expliquent nos confrères de La Presse, cela correspond grosso modo à une exonération de charges pour les salaires inférieurs à 100 000 dollars canadiens (73 900 euros) bruts par an. Une exception est également prévue pour les hauts salaires, puisque jusqu'à 20 % des employés d'une entreprise pourront être exemptés de ce plafond. Si la limitation existe bien, elle est donc surtout virtuelle.

Et ce n'est pas fini™

Les aides québécoises ne se limitent pas aux crédits d'impôts, la province s'autorise également à investir directement dans certaines productions. Un fonds destiné à investir dans les entreprises de jeux vidéo va être ainsi crée dans les mois à venir. Le montant confié au fonds n'est pas encore connu, mais on sait déjà qu'il pourra investir de 175 000 à 3 millions de dollars canadiens (de 130 000 à 2,2 millions d'euros) dans la production d'un jeu vidéo, dans la limite de 35 % du budget total. 

En contrepartie, le fonds serait considéré comme un actionnaire tout à fait ordinaire et percevrait donc une part des bénéfices générés par les titres financés. Un mode de fonctionnement qui pourrait tout aussi bien coûter assez cher au gouvernement, tout comme lui rapporter d'importantes sommes si, par chance, il finance le futur Candy Crush Saga.

Pendant ce temps, en France

La France est également dotée d'un dispositif de soutien à la création de jeux vidéo et celui-ci a justement été amélioré dernièrement, sous l'impulsion de Fleur Pellerin et d'Axelle Lemaire. Le Crédit d'impôt jeu vidéo, ou CIJV, prévoit d'accorder une aide correspondant à 20 % du budget de production (hors marketing) d'un jeu vidéo produit en France.

En octobre dernier, lors de l'annonce par la secrétaire d'État chargée du Numérique de nouvelles conditions d'accès plus souples pour le CIJV, les acteurs de l'industrie vidéoludique française saluaient la mise en place d'un des dispositifs les plus généreux en Europe. Parallèlement, dans une étude commanditée par le SNJV parue le même jour, on pouvait lire que 76 % des responsables de studios français trouvaient que le Canada était une terre plus accueillante que l'Hexagone pour leurs affaires. 62 % d'entre eux considéraient par ailleurs que la France n'était pas un pays très attractif.

L'annonce de l'arrivée de conditions encore plus favorables à l'industrie au Canada n'a donc pas fait que des heureux dans l'Hexagone, comme le montre ce tweet publié par Julien Villedieu, le secrétaire général du Syndicat National du Jeu Vidéo.

Les aides sont le nerf de la guerre

Lors d'un entretien téléphonique, Julien Villedieu nous confie que le nouveau dispositif québécois pose un certain nombre de problèmes pour la filière française : « Grâce à ces évolutions, les meilleurs talents seront attirés de façon encore plus forte au Canada et comme les talents français sont réputés à travers le monde, les entreprises établies au Québec savent où venir prospecter... Nous sommes jaloux de ce dispositif car il est plus lisible, prévisible et automatique que les dispositifs français actuels, bien que de gros progrès aient été faits ces derniers mois en France. Nos dispositifs sont moins généreux, plus complexes, moins prévisibles et cette incertitude entraîne parfois une auto-censure des entreprises qui préfèrent malheureusement renoncer plutôt que de dépenser une énergie importante à lever des soutiens publics pour financer leurs productions », estime-t-il. 

Et justement, le nerf de la guerre dans l'industrie consiste à attirer le plus grand nombre de talents dans ses équipes. En laissant filer des développeurs à l'étranger, la production française pourrait s'affaiblir, ce qui n'est évidemment pas souhaitable pour le SNJV. « Le Canada l'a bien compris, avec leurs aides ils ont réussi à créer un écosystème très favorable à la production, et le gouvernement québécois a finalement constaté en revenant en arrière que cela était vertueux tant en matière de création d'emplois qu'en matière de recettes fiscales ».

Julien Villedieu Baromètre SNJV 2014
Julien Villedieu, secrétaire général du SNJV - Crédits : Kevin Hottot

Que faudrait-il faire pour renverser la vapeur et faire face à la machine de guerre canadienne ? « La situation n'est pas non plus catastrophique, le gouvernement actuel a compris qu'il ne s'agissait pas de faire des cadeaux aux industriels mais bien d'accompagner l'émergence de leaders européens et mondiaux et que le retour sur investissement des dispositifs pour l'État était réel », tempère le responsable. « Nous avons un écosystème qui devient de plus en plus attractif au fil du temps, mais il y a un gros effort à faire en termes d'accessibilité des aides, les démarches administratives sont très lourdes et le succès n'est pas garanti, les instances chargées d'attribuer les aides pouvant très bien rendre un jugement négatif. À côté de ça, au Canada les choses se font de façon plus fluide, plus automatique ». Côté financier, un taux de remboursement un peu plus élevé serait également bien vu par le syndicat. 

L'idée québécoise consistant à laisser la province investir directement dans la production d'un titre trouve également un écho assez favorable auprès de Julien Villedieu. Le syndicat a quant à lui imaginé un système dans lequel les investissements publics iraient plutôt dans le développement à long terme des studios (embauche, locaux etc.) sous la forme de fonds d'avance participatif alimenté par l'industrie, le CNC et la Caisse des Dépôts, opéré par une banque spécialisée, l'IFCIC et qui permettrait aux studios d'accéder à des financements dans des conditions acceptables. Ce projet devrait « bientôt » voir le jour. En parallèle, le SNJV soutient le projet de fonds de production permettant de financer des titres, qui est à l'étude chez Capital Games, le cluster francilien du jeu vidéo.

Contacté, le cabinet d'Axelle Lemaire n'a pas été en mesure de répondre immédiatement à nos questions. Le dispositif canadien étant récent, Bercy n'a pas encore eu l'occasion de l'étudier en détail. On nous promet toutefois un point sur le sujet une fois le texte analysé.

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