Pierre Lecourt est le responsable du blog MiniMachines. Désormais, il tiendra de manière régulière une chronique dans nos colonnes pour nous livrer son analyse sur le marché des nouvelles technologies. Une vision intéressante et différente des pratiques des revendeurs, un monde qu'il connaît depuis son passage chez Eurisko (qu'il a cofondé) et LDLC, à celles des constructeurs.
Aujourd'hui pour un euro on a plus rien, vraiment plus rien. Encore moins qu'hier et cela ne sera probablement pas mieux demain. Il y a quelques mois encore, avec un euro, on pouvait au moins se dire que l'on avait largement plus qu'un dollar. Mais depuis le cours de la monnaie américaine est revenu à son niveau de 2003. Un pas de plus de 10 ans en arrière et un vrai changement pour ce qui est de l'import de matériel informatique.
À 1,082 dollars pour 1 euro à l'heure où nous écrivons ces lignes, les 2 monnaies fonctionnent désormais dans un parallèle de conversion quasi parfait. Une parité nouvellement établie qui constitue un bouleversement énorme pour un marché européen des nouvelles technologies qui ne fonctionne que dans un sens, celui de l’importation.
Baisse de l'euro continue, parité avec le dollar : reste à payer la note
Fini de jouer au nabab et de dépenser sans compter sur les sites américains ou d’acheter en Asie directement en dollars. Fini de considérer cette monnaie si faible comme un bon plan permanent. L'avenir nous réserve de vilaines surprises sur les tarifs des produits informatiques pour les prochains trimestres. Car cela fait 6 mois que la hausse du dollar est continuelle et cela commence à se sentir.
Comme d'habitude c’est la mémoire qui a commencé a flamber en premier. Et si elle est constamment soumise à la spéculation de la part des acteurs qui la produisent ou qui l'importent. À la vue de l'augmentation du dollar, certains revendeurs ou grossistes ont ainsi décidé de stocker en masse, de grandes marques ont signé des contrats d'achat leur garantissant un prix moyen pour les mois à venir et enfin certains constructeurs ont ajusté leurs tarifs à la hausse.
Stocker une partie de leur production en espérant profiter de cette fluctuation. Le résultat a été rapide et spectaculaire avec une augmentation importante des prix dès le début de la hausse. Mais cette anticipation s’est assez vite essoufflée et beaucoup d'acteurs ont senti que le marché n'allait pas s'envoler autant que prévu. Malheureusement, au fur et à mesure que le cours de la mémoire baissait, celui du dollar, centime après centime, augmentait.
De la découverte de la véritable parité entre le dollars et l'euro en France
Tout le reste de la gamme informatique a déjà été ou va être impactée à la hausse. La parité euro-dollar est un phénomène bien connu en France puisque les tarifs des appareils vendus dans nos contrées sont souvent les mêmes que ceux proposés aux US. Et cela quel que soit le niveau de taux de change. Cette situation qui a souvent été décriée par le client final, rageant devant un produit au même tarif en euros et en dollars oubliant souvent l'absence de taxes dans la commercialisation outre Atlantique. Une fois la TVA française rétablie et les intermédiaires payés, les tarifs s'accordent le plus souvent. Enfin, s'accordaient.
Les annonces des dernières semaines nous confirment une flambée qui va aller en s'accentuant dans les mois à venir. Premier élément visible de ce mouvement, la politique de prix d'Apple. Les nouveaux Macbook Air et Macbook Pro ne respectent plus la fameuse parité euro/dollar. Apple propose des engins aux prix réajustés pour le marché européen. D'autres produits de la marque, pourtant déjà présents à son catalogue et dans les stocks Français, sont également en hausse par la simple mécanique du change entre les deux monnaies.
Apple est sans complexe sur ce problème pourtant abordé avec prudence par ses concurrents. Cupertino ne veut pas perdre un seul centime du fait de cette évolution monétaire, et adapte donc ses nouveaux tarifs publics pour répercuter la hausse du dollar directement sur le portefeuille de ses clients. Un signe assez fort de la hausse de la monnaie américaine qui devrait encourager de nombreux acteurs concurrents à se laisser aller à cette même politique : Si Apple le fait, pourquoi pas nous ?
En bout de chaîne : le revendeur face à ses dilemmes
Le premier réflexe des constructeurs et importateurs est souvent celui-là : toucher au MSRP (Manufacturer's Suggested Retail Price), c'est à dire le prix public. Levier technique le plus évident pour les fabricants, l'achat des machines étant effectué systématiquement en dollars, augmenter le tarif public permet de compenser facilement les fluctuations monétaires importantes. Mais au lieu de redescendre sur des taux plus faibles, elle n’a pas cessé d’augmenter et s’est stabilisée à la hausse au fur et à mesure que le dollar augmentait. Le revendeur reste donc face à un dilemme, il se retrouve en première ligne avec un prix public – et un prix d'achat – à la hausse. Il doit alors choisir entre une augmentation des tarifs de son catalogue d'un côté ou une baisse drastique de sa marge de l'autre.
Effet pervers de cette situation, le produit qui a augmenté est stocké en moins grande quantité puisque le commerçant a peur d'une réaction négative de ses clients qui voient les prix flamber. Le fait d'acheter moins de pièces n'aide évidemment pas à négocier un meilleur tarif.
Un exemple ? Prenons un fabricant de boîtier qui propose le best-seller de sa gamme au prix public de 99 euros le fait subitement grimper à 119 euros pour compenser la hausse du dollar. Ce tarif se traduit également par une hausse du prix d'achat pour les revendeurs. Ces derniers doivent donc composer entre achat et vente tout en surveillant le positionnement de la concurrence. En règle générale le résultat est assez simple, la première enseigne qui répercute la hausse sur son catalogue sera suivie par l'ensemble de ses concurrents. En quelques heures la nouvelle offre sera totalement homogénéisée sur le web, puis dans les boutiques physiques.
Cette pratique d'ajustement semble brutale mais elle a également ses bons côtés, le fabricant peut très bien décider d'utiliser cette souplesse tarifaire pour proposer un prix public plus bas lorsque la conjoncture l'autorise. Et le prix conseillé au public de ce boîtier a ainsi pu retomber à 75 euros. Ce genre de manipulation est assez courante même si elle reste totalement taboue. Si tout le monde le fait, personne ne veut en témoigner publiquement du fait d'une réaction négative du public. Les revendeurs surveillent les prix à la hausse comme à la baisse et réagissent souvent de concert.
Un ajustement qui mène à différer certains achats
Certaines marques procèdent à ce type d'ajustement plusieurs fois par an, à l'occasion d'un nouveau trimestre où à l’annonce d’une nouvelle gamme de produit. Il n’y a aucune raison qu’un nouveau boîtier débarquant sur le marché ne fasse baisser le prix d’un ancien d’un point de vue technique. Mais cette apparition peut permettre d'établir une nouvelle gamme et produire un effet de nouveauté qui incitera à l’achat. Dans le cas de notre boîtier, le public est donc habitué à des baisses continuelles des produits. Et la hausse sera probablement très mal comprise.
Car cet épisode haussier met en déroute les savants calculs des clients qui tentent en général de faire tenir leurs achats dans un budget précis. Et lorsque l'on interroge les revendeurs sur l'épisode actuel, cela se traduit déjà par une nette baisse des achats sur certaines gammes de produits : Portables, tablettes et autres composants sont boudés par des clients qui suivent de plus en plus précisément les fluctuations tarifaires. Des clients qui, à moins d'y être contraints par une panne matérielle, ont souvent pris l'habitude d'attendre le moment le plus propice pour un nouvel investissement, quitte à le différer de plusieurs mois.
Et nous ne sommes clairement pas sous les meilleurs auspices pour mettre à jour un PC. Un exemple très parlant, l'achat d'un composant. Là aussi on se retrouve avec un exemple récent assez parlant : la GeForce GTX Titan X de NVIDIA annoncée à 999 dollars, mais à plus de 1200 euros en Europe. Une hausse déjà répercutée sur des modèles qui visent un public plus large comme les GeForce GTX 970. Et si l'on trouve encore des modèles à moins de 330 euros, ceux-ci commencent à se faire de plus en plus rares et les prix moyens augmentent.
Un autre exemple ? Le barebone Zotac EN760 intégrant un processeur Intel Core i5-4200U et une GeForce GTX 860M. Il était lancé en mai 2014 à 499,90 euros. Aujourd’hui, impossible de le trouver à moins de 600 euros… On comprend que les étrennes de certains patientent depuis lors sur des comptes épargne.
999 dollars mais 1200 euros : tu la sens la parité ?
Les effets de bords d'une hausse des tarifs...
L'autre conséquence de ce type de décision pour un fabricant c'est la réapparition de produits dont les gammes pouvaient avoir été abandonnées ou dont le stock était dérivé vers d'autres marchés que l'Europe. Un engin disparu des catalogues des revendeurs Européens peut à nouveau faire surface pour un temps donné afin de combler le vide laissé par une hausse de tarif. Dans notre exemple, la barrière symbolique des 99 euros sera comblée par la réapparition d'un autre produit plus ancien qui viendra reprendre sa place.
L'autre pratique habituelle du marché est plus subtile, puisqu'elle joue sur les nombreuses variations proposées pour un même produit. Cela concerne surtout les machines assemblées, du type tablette ou PC de marque. Même si les pièces détachées les plus complexes peuvent également être déclinées en de nouvelles gammes qui s’adapteront à la hausse. Ainsi une nouvelle référence de portable aura l'immense bonheur de découvrir la naissance d'un petit frère portant le même nom, mais pas tout à fait la même référence.
Ce dernier sera généralement plus chétif au niveau de sa composition. Les constructeurs joueront ici sur l'appellation et le tarif identique de l'engin pour le positionner de la même manière que le précédent modèle. Mais alors que l'original sera repositionné un peu plus haut (et plus cher) dans la gamme, le nouveau venu reprendra le flambeau du prix psychologique tout en ayant moins de mémoire vive, un stockage plus lent, un processeur moins performant ou une dalle un peu moins bien définie. Quelques giga-octets de stockage en moins, un peu de mémoire sucrée au passage de la nouvelle version ou des composants un peu moins précieux pour construire une carte… et voilà comment un prix public peut rester le même alors que l'ensemble du marché est à la hausse.
Ce type de tour de passe-passe est monnaie courante pour adapter les tarifs des machines aux prix proposés par les concurrents. Pas de raison de ne pas employer la méthode pour compenser les caprices d'un dollar trop fort, quitte à rebaptiser un produit du nom d'une autre gamme dans une appellation incompréhensible dans une simple logique de performances.
... et quelques astuces
Des alternatives existent à ces solutions peu élégantes mais sont de toute façon rarement plus intéressantes pour l'utilisateur final. Intel par exemple, facture directement ses produits en… dollars. Même lorsqu'il vend en France. Tout est basé sur un catalogue de tarif mondial positionné sur des prix en billets verts. La marque laisse ainsi la charge de la conversion à ses clients, fabricants ou grossistes. Dans ce cas de figure la répercussion de toute modification du cours a lieu quasiment en temps réel directement au niveau de l'acheteur final. C'est la valse permanente des ajustements pour faire correspondre le prix en euros à la cotation en dollar tout en gardant bien évidemment un œil sur la concurrence.
Enfin, certains gros acteurs du marché sont tentés de profiter de ces événements monétaires en achetant des devises, ou des produits manufacturés comme de la mémoire vive, en masse et au bon prix. Imaginons un acteur du marché Français qui s'offre quelques millions de dollars lorsque l'euro est au début de sa baisse. Avec un cours aujourd'hui à près de 20 % de moins qu'il y a 6 mois il peut dépenser allégrement ses billets verts pour acheter son stock à un très bon tarif. Ce genre de pratique est évidemment très risqué et ce qui peut être un très bon coup (20 % de hausse multiplié par quelques millions d'euros peut vite constituer une belle somme) peut se révéler un choix catastrophique si la monnaie accumulée décroche et tombe à un cours inférieur sans prévenir.
Une hausse qui est là pour durer, et qui ne va pas enchanter le secteur
Il faut donc s'attendre quoi qu'il en soit à une évolution des tarifs dans les semaines et les mois à venir. L'ensemble des solutions embarquant des composants aux prix volatils comme la mémoire vive ou le stockage électronique bougent chaque jour mais cette spéculation habituelle est largement amplifiée par l'effet euro/dollar actuel.
En scrutant les catalogues produits annoncés pour ces prochains mois, les hausses sur les prix des portables se traduisent par des évolutions à la hausse de 50 à 200 euros sur un matériel identique aux dernières gammes de produits déjà commercialisées. Et ces tarifs-là correspondent à des engins imaginés lorsque le dollar était moins haut de 10 ou 15 centimes par euro. Aujourd'hui les fabricants ajustent déjà les tarifs des machines de la rentrée scolaire 2015.
Une dépréciation de l'euro face au dollar, monnaie mondialement utilisée pour le marché informatique, renchérit mécaniquement toutes les importations sans avoir aucune conséquence positive sur les productions – inexistantes sur ce marché – hexagonales. On importe toutes nos machines et ce n'est pas près de changer.

Si l'euro a probablement été longtemps surévalué face au dollar, cela a largement profité aux acheteurs Français qui ont pu profiter de prix extrêmement bas. Les mouvements actuels des deux monnaies sont un retour de bâton auquel il fallait s'attendre. Un mouvement qui va continuer de plus belle jusqu'à une stabilisation qui va rendre le marché informatique français un peu plus fragile qu'il ne l'est déjà.