Jeux vidéo : les géants de l'édition innovent-ils encore ?

La réponse n'est pas si évidente
Jeux vidéo : les géants de l'édition innovent-ils encore ?

Tous les éditeurs de jeux « AAA » fonctionnent sur le même principe : ils disposent d'un catalogue de franchises à succès qu'ils déclinent régulièrement avec des titres à gros budget. Mais est-on condamnés à n'avoir de leur part qu'un Assassin's Creed et un Call of Duty tous les ans, ou peut-on s'attendre à ce qu'une nouvelle bonne idée, réellement innovante soit aussi au programme de temps en temps ?

Si on regarde quatorze ans en arrière, un géant du jeu vidéo comme Ubisoft était loin d'avoir la même aura qu'aujourd'hui. Certes, l'éditeur français rencontrait déjà un certain succès, mais entre le 31 mars 2000 et 31 mars 2014, le nombre d'employés de la société a été multiplié par plus de 5, passant de 1 650 personnes alors à plus de 9 000. Une boulimie qui lui a permis de se concentrer sur des projets toujours plus gros, certains comme Assassin's Creed Unity pouvant monopoliser les équipes de sept studios, ce qui ne représente pas loin d'un millier de personnes.

À côté de ces projets pharaoniques, on trouve également des jeux de plus petite envergure. Mais au milieu de tous ces titres « AAA », ils peinent à éclore, tant les obstacles en interne peuvent être importants. C'est en tout cas ce qu'a expliqué Yoan Fanise, notamment à nos collègues de Gamekult, alors qu'il vient de quitter l'éditeur après 14 ans de collaboration. Si son nom ne vous dit rien, sachez que c'est à lui que l'on doit l'un des titres les plus surprenants sortis en 2014 : Soldats Inconnus, Mémoires de la Grande Guerre.

Avoir des idées chez un grand éditeur, ce n'est pas facile

Ces derniers temps Ubisoft a en effet lancé plusieurs titres très éloignés de ce que l'éditeur propose d'habitude. Outre Soldats Inconnus, nous avons eu le droit en 2014 à Child of Light, un RPG avec une narration toute en rimes et cette année à Grow Home, dont nous vous parlions il y a quelques semaines.

Si ce genre d'initiatives peut aboutir chez Ubisoft, cela ne se fait pas sans difficultés. La société d'Yves Guillemot est un énorme paquebot, et la faire sortir des chantiers battus n'est pas chose aisée. Lors d'une entrevue accordée à Kotaku, Yoan Fanise explique qu'il n'est jamais simple de travailler avec un gros éditeur « L'un des problèmes, c'est que l'on doit faire face à un flot continu de suggestions "tu devrais faire ça, change ce truc..." et ainsi de suite. Le plus gros défi que l'on a dû relever avec Soldats inconnus, c'est d'écouter ces retours, tout en essayant d'en filtrer assez pour faire en sorte que le projet reste proche de la vision que l'on avait initialement ». 

Soldats Inconnus

Les grands éditeurs voient en effet le jeu vidéo plus comme un produit qu'en tant qu'œuvre, et dans ces conditions ils peuvent être tentés d'influer sur le processus de développement afin de rendre leur jeu plus « bankable », en appliquant des recettes qui ont fonctionné sur d'autres titres. Pour garder l'exemple d'Ubisoft, on peut retrouver de fortes similitudes entre les systèmes de Far Cry 4, Assassin's Creed Black Flag et The Crew pour ce qui est des « points hauts » qui permettent de dévoiler la carte.

Le thème des jeux a également son importance pour les éditeurs, en termes de retour financier. « Par exemple, la première guerre mondiale, ce n'est pas un thème qui parle à un large public. C'est encore moins aguichant en 2D et même pire quand on n'a pas d'arme entre les mains. Du coup nous devions constamment remuer ciel et terre pour ne serait-ce qu'exister au milieu des blockbusters d'Ubisoft », se souvient ainsi Yoan Fanise.

Quand les portes s'ouvrent les opportunités se montrent

S'il est difficile pour les gros éditeurs d'oser se lancer dans de nouveaux domaines, il n'empêche que certains parviennent encore à prendre une certaine dose de risque, à divers degrés. Le premier consistant tout simplement à reprendre une recette qui a marché ailleurs, afin de l'adapter à sa manière, et sur ce point Activision-Blizzard est probablement l'un des éditeurs les mieux placés.

Parmi ses récents succès on retrouve ainsi Destiny, que l'on pourrait assez facilement qualifier de « Borderlands dans un space-opera ». Même si Activision a dans ce cas précis investi d'énormes sommes d'argent, autour de 500 millions de dollars, le risque lui, était bien calculé. Dans le même registre, Hearthstone, l'autre grand succès de 2014 pour l'éditeur américain, n'est ni plus ni moins qu'une version adaptée de son jeu de cartes à collectionner lancé en 2006 par Upper Deck et ne faisait que surfer sur le succès de titres similaires, comme Duel of Champions. Rebelote avec Heroes of the Storm cette année qui profite de l'engouement des joueurs autour des MOBA.

Dans certains cas, les gros éditeurs sont capables de chercher à innover lorsqu'ils pensent qu'une idée peut devenir rentable financièrement parlant. Pour rester sur le cas d'Activision Blizzard, remontons en 2005 quand l'éditeur lançait Guitar Hero. Les jeux de rythme existaient depuis bien longtemps, quelques-uns disposaient même de leurs propres accessoires, comme Dance Dance Revolution, mais aucun ne permettait vraiment aux joueurs d'avoir l'impression de jouer d'un instrument, à l'exception peut-être de Donkey Konga, lancé fin 2003 sur GameCube. La recette a fonctionné quelques années, avec un certain succès, puisque les ventes de la franchise Guitar Hero dépassent les deux milliards de dollars.

Skylanders Trap Team pièges

Six ans plus tard, le géant américain a récidivé avec la franchise Skylanders, dont nous vous contions la genèse en fin d'année dernière. Cette fois-ci, l'idée n'avait jamais été explorée avant, et cela a plutôt bien souri à l'éditeur, qui en a rapidement compris le potentiel. Preuve que le modèle fonctionne, Disney, puis Nintendo se sont rapidement engouffrés dans la brèche avec Disney Infinity et les fameux Amiibo.

L'innovation n'est pas gage de réussite

Si l'on a tendance à se souvenir des innovations qui ont trouvé leur public, il ne faut pas oublier que les gros éditeurs ont parfois tenté leur chance avec des idées originales, mais mauvaises. L'exemple le plus emblématique de ces dernières années est à mettre à l'actif de feu THQ, qui s'est lancé sur un terrain qu'aucun autre n'avait exploré avant lui, mais dont il n'est jamais revenu.

L'éditeur américain a tenté en 2011 de développer un périphérique pour consoles de salon, prenant la forme d'une tablette graphique : uDraw. Le principe de ce produit était enfantin. Le joueur reliait une tablette à sa console, lançait le jeu fourni avec l'ardoise, et avec tout ceci, il pouvait se mettre à dessiner sur sa télévision. Le jeu proposait alors diverses activités, avec des dessins à colorier, des points à relier, des labyrinthes à parcourir. Bref tous les jeux que l'on pouvait retrouver dans un album de coloriage ou dans un Super Picsou Géant étaient au rendez-vous. 

uDraw THQuDraw THQ

Si le titre a rencontré un petit succès sur Wii, lors de son portage sur PlayStation 3 et Xbox 360, l'éditeur a eu les yeux plus gros que le ventre. Début 2012, il expliquait avoir vendu 1 million d'exemplaires de son jeu et de sa tablette aux grossistes, qui n'ont pas réussi à les écouler, sans compter les 1,4 millions d'unités invendues qu'il restaut sur les bras de l'éditeur.

Résultat de la tentative : 80 millions de dollars de stock, et une perte de 55 millions de dollars au cours du quatrième trimestre de 2012, dont 30 millions de dollars directement imputable au titre. Au total, THQ aurait perdu plus de 100 millions de dollars avec sa tablette, ce qui n'a fait que précipiter la société dans sa chute. « Nous voyions uDraw comme un pont vers le futur, et finalement ce pont n'était qu'une planche, de laquelle nous sommes tombés », expliquait Brian Farrell, alors PDG de THQ, à ses actionnaires.

Les gros innovent surtout... sur les modèles économiques

Par contre, s'il y a bien un domaine dans lequel tous les éditeurs excellent et savent trouver de bonnes idées, c'est bien dans le domaine de la monétisation de leurs jeux et de leurs plateformes. Dès 2009, Electronic Arts s'essaye avec succès à l'ajout de micro-transactions optionnelles dans certains de ses jeux dits « AAA », pourtant déjà vendus au prix fort.

C'est à ce moment-là que le mode Utimate Team fait son apparition sur FIFA 09. Au départ il n'était question que d'une simple extension gratuite. Depuis, ce principe a été intégré dans toutes les autres itérations du jeu mais aussi sur d'autres franchises (Madden, NHL, etc.) avec un certain succès. En mai 2014, il était ainsi question d'un chiffre d'affaires annuel de 380 millions de dollars, juste pour ce mode de jeu, toutes franchises confondues. Depuis, tous les éditeurs ou presque ont suivi le mouvement et proposent des transactions optionnelles dans leurs jeux, parfois vendus jusqu'à 70 euros, avec plus ou moins de réussite.

Forza 5 Microtransactions

Valve aussi fait office de précurseur en matière de modèles économiques, et parvient même à tirer des revenus à partir de jeux que la société n'a même pas produits, le tout sans que le joueur n'ait l'impression de se faire plumer. Cela tiendrait presque du génie. Le secret tient tout simplement en deux mots : Steam marketplace.

En effet, cette place de marché permet aux joueurs d'échanger et de vendre entre eux des cartes et des objets qu'ils obtiennent lors de leurs parties. Ces objets ont pour Valve un coût négligeable. Assembler des cartes par famille de 8 permet de débloquer divers bonus comme des fonds d'écran ou des émoticônes, et étant donné que les joueurs ne peuvent en collecter que quatre par jeu, il devient indispensable de passer par la case échange pour enrichir sa collection.

Valve Caisses

Du coup, les joueurs se vendent entre eux des cartes, mais aussi d'autres objets trouvés en jouant pour des prix dérisoires, parfois 3 ou 4 centimes d'euros, mais sur chacune des ventes, l'éditeur prélève sa dîme, de 2 centimes minimum par transaction. Or il se vend chaque jour des centaines de milliers d'objets sur le Steam marketplace, et sur certains d'entre eux, la commission de Valve peut atteindre quelques euros, à l'aide d'une commission fixe de 15 %.

Rien qu'en comptant les caisses pour Counter-Strike : GO et Team Fortress 2, vendues une poignée de centimes, présentes sur les deux premières pages du catalogue du marché (et il y en a près de 7000) 4 millions d'objets sont prêts à être échangés, et Valve touchera environ 2 centimes sur chacun d'eux, soit 80 000 euros. De quoi amasser quelques petits millions à la fin de l'année.

Enfin, la démocratisation des DLC et autres season pass est-elle aussi à mettre à l'actif des éditeurs de titres AAA. Chaque année, leurs plus gros blockbusters débarquent sur le marché et déjà, toute une suite de contenus additionnels est programmée. La recette ayant fait ses préuves, certains studios indépendants n'hésitent plus à en faire de même. Democracy 3, développé par la petite équipe de Positech Games profite ainsi déjà de trois DLC à 5 euros l'unité. Certains titres indépendants comme Dungeon Defenders n'ont d'ailleurs plus rien à envier aux jeux AAA en termes de politique tarifaire. Ce dernier dispose de pas moins de 25 DLC différents, d'une valeur de 62 euros.

L'innovation n'est pas toujours là où on l'attend

Les quelques grands éditeurs regroupant au total une centaine de studios ne peuvent forcément pas avoir autant d'idées nouvelles que des milliers de structures indépendantes plus nombreuses donc, mais surtout plus agiles. Nul besoin au sein d'un petit studio de devoir passer le filtre de plusieurs couches hiérarchiques pour donner naissance à une idée, cela facilite grandement le travail de création.

Il ne faut toutefois pas oublier que ces dernières années, tous les gros du secteur ont eu leur petit coup d'éclat, et ont su créer de nouveaux genres de jeux, ou bien tirer le meilleur (et parfois le pire) de genres déjà bien établis tout en créant de nouveaux modèles économiques. Si ces coups de génie ne sont pas fréquents, et pas toujours appréciés par les joueurs ils font en règle générale beaucoup de bruit par leur succès, ou leur échec retentissant.

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