Dans un article paru hier, le Wall Street Journal révèle que la Federal Trade Commission avait en main de nombreuses informations pointant vers un abus de position dominante par Google. Malgré les recommandations de son propre bureau de la concurrence, la FTC a finalement décidé il y a deux ans de ne pas poursuivre le géant de la recherche. Elle s’attire désormais les foudres de la concurrence.
Un rapport du bureau de la concurrence qui en disait long
Le Wall Street Journal n’aurait pas dû recevoir le rapport interne de la FTC qui a alimenté son article. Il s’agissait initialement d’une simple requête adressée à la FTC et qui s’appuyait sur la loi FOIA (Freedom of Information Act). Mais la Commission, dans sa réponse au Journal, a introduit par erreur un document de 160 pages réunissant de précieuses informations sur la manière dont avait été dirigée l’enquête contre Google pour abus de position dominante. Enquête qui s’est conclue en 2013, la FTC ne déposant finalement pas plainte.
Or, cette décision avait été prise à l’unanimité par les cinq commissaires. Une union qui contraste singulièrement avec la recommandation officielle du bureau interne de la concurrence, pour qui le dépôt d’une plainte était l’étape logique suivante. C’est cette information qui provoque un feu nourri de critiques contre la FTC, accusée désormais de s’être montrée particulièrement laxiste, voire d’avoir sciemment ignoré le danger représenté par la position dominante de Google.
Des abus caractérisés de position dominante
Car le rapport du bureau de la concurrence parlait bien de cette position et de plusieurs abus. Plusieurs points étaient précisément soulignés par le bureau. D’une part, les pratiques de Google ont bien causé du tort à la concurrence en favorisant ses propres produits au sein de son moteur de recherche. D’autre part, le rapport indique que la firme n’a pas hésité à puiser dans les données des concurrents, notamment chez Amazon, TripAdvisor et Yelp, pour alimenter ses services, en récupérant par exemples les avis et critiques sur les produits. Google aurait même menacé ses concurrents en les forçant à offrir ces données sous peine de voir leurs sites déréférencés.
En outre, toujours selon le rapport, Google aurait volontairement gonflé les tarifs de diffusion des publicités pour les annonceurs qui souhaitaient également publier sur d’autres plateformes. Enfin, le bureau signale que Google a inclus dans ses contrats des restrictions visant à bloquer les sites qui publiaient ses résultats de recherche de travailler avec d’autres technologies, notamment le moteur Bing de Microsoft.
Évidemment, ce rapport court-circuite les déclarations de Google en 2013, qui aimait à dire que la Commission n’avait trouvé aucun problème dans ses méthodes commerciales. En outre, l’un des arguments massue de la firme était que les internautes pouvaient très facilement se tourner vers la concurrence, et pour cause : elle n’était située qu’à un clic. Une ficelle qui avait des airs de corde, comme les soucis relevés le montrent.
Les cinq commissaires étaient d'accord : pourquoi ?
Mais pourquoi une décision à l’unanimité sur l’absence de plainte ? On peut citer plusieurs facteurs. Premièrement, le fait que les commissaires n’étaient pas tous d’accord sur chaque problème soulevé. Par exemple, trois d’entre eux se sont montrés inquiets sur la question de la récupération des données des concurrents, mais un manque de preuves a été souligné sur le blocage des moteurs concurrents. Deuxièmement, le rapport du bureau de la concurrence n’était pas le seul reçu par les commissaires. Le bureau de l’économie avait pour sa part recommandé de ne pas attaquer Google, mais on ne dispose pas de l’argumentaire et des détails de cet avis.
Mais le Wall Street Journal avance surtout que Google est l’un des alliés commerciaux les plus proches de l’administration Obama. Un procès antitrust aurait au moins eu la même envergure que le célèbre procès contre Microsoft dans les années 90. Ce à quoi une porte-parole de la Maison-Blanche a simplement répondu que la FTC « est une agence indépendante » dont le processus de décision est respecté.
Pour Google, c'est déjà de l'histoire ancienne
Reste que le rapport, que le Wall Street Journal ne publie pas, est extrêmement clair : la conduite de Google « l’a aidée à entretenir, préserver et développer sa position monopolistique dans les marchés de la recherche et de la publicité liée à la recherche ». Et la concurrence n’a pas tardé à réagir. Luther Lowe, vice-président, retient pour sa part que « ce document semble montrer que la FTC avait la preuve directe qu’il avait bien un biais intentionnel dans la recherche Google ». La possibilité de nouvelles plaintes n’est d’ailleurs pas écartée.
La FTC, de son côté, ne peut que déplorer que le document ait été envoyé par erreur au Wall Street Journal. Google, pour sa part, reste fermement ancré sur le résultat de l’enquête de 2013 : « les spéculations autour des dégâts sur les consommateurs et concurrents s’étaient révélées entièrement fausses. Puisque l’enquête a été clôturée il y a deux ans, les manières dont les gens accèdent à l’information ont considérablement augmenté, offrant aux consommateurs plus de choix que jamais ». En clair, puisque le contexte a changé, pourquoi rouvrir la porte du passé ?
L’Europe pourrait prendre le relais
La Commission européenne pourrait rebondir sur les révélations de ce rapport, puisque l’enquête, bien que commencée en 2010, n’est toujours pas terminée, malgré de nombreux rebondissements. Le Parlement européen a même invité la Commission à scinder Google en deux, en mettant à part les activités liées à la recherche.
On rappellera également que Barack Obama a, il y a moins d’un mois, largement critiqué l’attitude protectionniste de l’Europe face aux grandes entreprises américaines : « En défense de Google et Facebook, la réponse européenne suit parfois plus une logique commerciale qu’autre chose. Pour certains pays comme l’Allemagne, par son histoire avec la Stasi, [la vie privée] est un sujet sensible. Mais par moments, certains éditeurs – leurs fournisseurs de services qui, vous le savez, ne peuvent pas rivaliser avec les nôtres – essaient de mettre des barrages à nos entreprises, pour les empêcher de fonctionner efficacement ».
Quand on sait que les États-Unis se battent bec et ongle pour mettre des accords de libres- échanges, à l’instar de TAFTA, on peut se demander si le président américain n’a pas été un peu vite en besogne.