Sigmar Gabriel, ministre allemand de l’Économie et vice-chancelier, a indiqué hier lors d’une conférence que les États-Unis avaient directement menacé l’Allemagne de représailles si le pays devait donner l’asile politique à Edward Snowden. Une révélation qui illustre les rapports tendus entre les deux puissances, si toutefois les menaces sont bien réelles.
Des relations particulièrement tendues entre les deux pays
Les révélations d’Edward Snowden ont débuté en juin 2013 avec le scandale du programme de surveillance PRISM. Ce dernier, alimenté par la Section 702 de la loi FISA (Foreign Intelligence Surveillance Act), a pour objectif de stocker les données des internautes dès lors qu’elles appartiennent à des personnes non-américaines et qu’elles sont hébergées sur des serveurs américains. Ces informations mettaient directement en cause les grandes entreprises du cloud que sont Microsoft, Google, Apple et autres, tenues légalement de fournir ces précieuses données à la NSA notamment.
Bien que les documents dérobés par Snowden à l’agence américaine de renseignement aient provoqué de nombreuses discussions et réactions dans le monde de la sécurité, elles ont également eu un lourd impact politique. C’est particulièrement le cas en Allemagne, dans lequel les scandales ont été nombreux et les critiques exacerbées. On a ainsi appris l’année dernière que l’un des téléphones de la chancelière Angela Merkel avait été directement espionné (parmi 122 chefs d'États au total) par la NSA. Un analyste du renseignement allemand était même un agent double, fournissant des informations à l’agence américaine. Il avait même été question de faire venir Edward Snowden pour répondre directement aux questions du Parlement (Bundestag). L’Allemagne est d’ailleurs allée jusqu’à décréter le rejet des produits réseaux américains si les constructeurs ne se livraient pas à un examen approfondi, notamment en fournissant de nombreux codes sources.
Une coupure des renseignements en cas d'asile politique
Il est toujours délicat de savoir quels sont exactement les rapports entre deux pays, mais une interview du vice-chancelier allemand hier a permis d’en avoir une idée. Durant les premiers temps de l’affaire Snowden, quand le lanceur d’alertes n’avait pas encore d’asile politique en Russie, l’Allemagne s’est posée la question d’une invitation. Une réflexion qui n’était clairement pas au goût des États-Unis : « Ils nous ont déclaré qu’ils arrêteraient de nous avertir des complots et d’autres sujets du renseignement » a ainsi déclaré récemment Sigmar Gabriel.
L’Allemagne aurait donc été menacée directement : si elle accueillait Edward Snowden sur son sol pour lui offrir l’asile politique, elle serait écartée de précieuses sources de renseignement. Car en dépit des discours très critiques à l’égard de la NSA, l’Allemagne reste une alliée proche des États-Unis. Or, le monde du renseignement fonctionne en partie via des échanges entre nations, le plus connu des regroupements étant les fameux Five Eyes : États-Unis, Canada, Royaume-Uni, Australie et Nouvelle-Zélande. Hors de question pour l’Allemagne de passer à côté d’informations si critiques.
Mais pourquoi une menace aussi directe ? À cause des chefs d’accusation qui pèsent sur Snowden, dont celui de trahison. L’Allemagne et les États-Unis disposent d’un accord d’extradition, dans lequel ils s’engagent à se renvoyer tout criminel appartenant à l’autre pays. Si l’Allemagne accueillait le lanceur d’alertes, elle violerait l’accord. Ce qui n’empêche pas Sigmar Gabriel de regretter que Snowden ait finalement atterri dans « la Russie autocratique de Vladimir Poutine ».
Menaces véritables ou volonté de couper court aux questions embarrassantes ?
Pour The Intercept, qui revient sur les déclarations du vice-chancelier allemand, il ne peut y avoir que deux explications à ces commentaires. Le gouvernement d’Angela Merkel peut ainsi avoir voulu faire taire un flot de critiques ininterrompu pour ne pas avoir accueilli Edward Snowden. Des critiques qui se sont encore matérialisées durant la conférence par la question d’un journaliste après les regrets que le lanceur d’alerte soit finalement resté en Russie : pourquoi alors ne pas lui avoir demandé de venir ?
Mais Glenn Greenwald, auteur de l’article et connu pour avoir été le premier à interviewer Snowden, donne une autre piste : un accord entre les deux pays, dont la finalité serait d’effrayer le peuple allemand pour en finir avec les questions embarrassantes sur l’asile politique. Greenwald se demande d’ailleurs laquelle des deux hypothèses serait la pire.
On rappellera dans tous les cas que selon Snowden, tous les pays ont des services de renseignement, dont l’efficacité dépend en grande partie des moyens investis. La France n’y échappe pas et on a pu voir récemment comment Kaspersky et des chercheurs en sécurité ont pointé du doigt plusieurs malwares qui seraient issus de la DGSE ou d’un groupe de pirates soutenu plus ou moins directement par le gouvernement français. Il nous avait été alors répondu que « la DGSE, service de renseignement extérieur, ne peut s'exprimer sur ses activités, qu'elles soient réelles ou supposées ».