Le rapport de l’eurodéputée du Parti Pirate, Julia Reda, a subi une nouvelle salve d’assauts. Après les ayants droit ou Fleur Pellerin, cette fois l’attaque a eu lieu la semaine dernière au Sénat, dans la bouche de Pierre Sirinelli, professeur à l'Université Paris-I-Panthéon Sorbonne et membre du Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique (CSPLA)
Les propositions de Julia Reda visant à réviser la directive relative « au droit d'auteur et des droits voisins dans la société de l'information » en prennent une nouvelle fois pour leur grade. L’éminent juriste, qui a justement rédigé un rapport au CSPLA sur le sujet, a lui aussi démultiplié les critiques, en pleine harmonie avec les ayants droit.
Des critiques en phase avec celles des ayants droit ou de Jean-Marie Cavada
Ces derniers, considère-t-il, « ont eu le sentiment que la réouverture n'irait que dans le sens d'un affaiblissement des droits d'auteur » (voir notre interview d'Hervé Rony). Comme l'eurodéputé Jean-Marie Cavada, celui-ci s’oppose à ce que la fameuse directive ne soit rouverte, déjà parce que « pour justifier une réouverture, il conviendrait de démontrer que les solutions élaborées en 2001 doivent être modifiées » et surtout parce cette réouverture ne devrait aller de pair qu’avec celle d’autres textes majeurs, et spécialement la directive sur le commerce électronique qui encadre la responsabilité des intermédiaires. « Cette dernière paraît dépassée : aujourd'hui, YouTube est à l'origine d'un débit égal à tout Internet lors de l'adoption de ce texte ». Problème, la Commission européenne n'est pas très chaude pour lancer une telle réforme, accusant dans le même temps le droit d'auteur d'installer des barrières aux frontières.
Le rapport Réda provoque trop de trous dans le droit d’auteur
Dans le détail, Pierre Sirinelli reproche surtout au rapport Reda, son trop-plein d’exceptions : or, selon lui, « à force de « trous », le droit d'auteur ressemblerait à un gruyère ! » (plus exactement à un emmental, NDLR). Ces exceptions permettraient par exemple aux utilisateurs de s’adonner dans la joie et la bonne humeur aux oeuvres transformatrices, sans l'inévitable autorisation des créateurs initiaux. Une horreur pour les addicts du droit d'auteur ! Autre chose, l'eurodéputée du Parti Pirate (apparentée écologiste) voudrait aussi que les consommateurs puissent profiter du fair use, un mécanisme d’exceptions d'inspiration américaine, nettement plus ouvert que notre actuelle liste limitative. Mais là encore, fin de non recevoir de Sirinelli : « le CLSPA estime que l'Europe ne doit pas adopter un système d'exception à l'américaine, de type fair use. »
De la même façon, Reda voudrait rendre les exceptions obligatoires dans toute l’Europe. Un choix malvenu selon le professeur de droit : « Il existe, en Italie, une exception au profit des fanfares militaires ; nul besoin de l'imposer aux vingt-huit ». Celui-ci attend surtout qu’on lui démontre là encore « la nécessité absolue » d’un tel changement de régime et surtout que l’on jauge bien les impacts économiques et sociaux qu’il entrainerait. Selon lui, d'ailleurs, le débat est avant tout politique, plus que juridique. « La présidence et la vice-présidence actuelles sont dans une logique du tout-consommateur », griffe-t-il, alors que d’après lui, « le droit d'auteur n'entrave pas la circulation des idées ». Les ayants droit français peuvent être soulagés : le rapport Sirinelli a été pris sous le bras par Fleur Pellerin, en route pour le champ de bataille bruxellois.