Le site islamic-news.info est parmi les premiers bloqués par le ministère de l’Intérieur, comme l’autorise désormais la loi sur le terrorisme. Une tentative de visite se solde désormais par un message de la Place Beauvau arborant une grande main rouge pour imager ce blocage administratif, sans juge.
« Vous avez été redirigé vers ce site officiel, car votre ordinateur allait se connecter à une page dont le contenu provoque à des actes de terrorisme ou fait publiquement l'apologie d'actes de terrorisme ». Voilà le message du gouvernement placardé désormais sur islamic-news.info, l’un des premiers sites à avoir fait l’objet d’une mesure de blocage administratif, comme l'a déniché hier, le journaliste de RFI David Thomson. Le dispositif est précédé d’une main rouge dont on connait l'emplacement et surtout l’origine : une icône proposée dans le domaine public sur la page de ce graphiste. Le signe a aussi été épinglé pour ses relents historiques puisque « la main rouge » était une officine, une organisation armée française qui dans les années 50 fut soupçonnée de meurtres et attentats « contre des militants de l’indépendance du Maroc, de l’Algérie et de la Tunisie » (voir la fiche Wikipedia).
Le blocage initié par la loi sur le terrorisme
Cette mesure est en tout cas l’une des conséquences de la loi sur le terrorisme votée fin 2014. Elle permet à l’Office central de lutte contre la criminalité liée aux technologies de l'information et de la communication (OCLCTIC) de dresser une liste des sites à bloquer, transmise aux éditeurs ou aux hébergeurs voire directement dans les mains des FAI quand certains détails techniques sur l’hébergement manquent à l’appel. Tous doivent alors agir sans délai afin d’empêcher l’accès à ces contenus.
Ces actions exceptionnelles visent l’apologie ou la provocation au terrorisme (votée en 2014, activée en 2015) et la pédopornographie (votée en 2011, activée en même temps en 2015). C’est un blocage administratif, donc sans l’intervention préalable d’un juge. En somme, l’Intérieur est seul à qualifier et décider quels sont les sites répondant aux critères afin d'être bloqués.
Concernant ce site pro-jihad (qualifié comme tel par David Thomson), plutôt que se pencher sur les discours politiques, il faut revenir à la lettre de l’article 421-1 du Code pénal. Selon cette disposition, le terrorisme est une série d’infractions qui ont été menées « intentionnellement en relation avec une entreprise individuelle ou collective » avec pour objectif « de troubler gravement l'ordre public par l'intimidation ou la terreur ». Leur apologie vise alors à porter sur elles un jugement moral favorable et la provocation, à placer l’auditeur dans un état qui porte à la commission de ces infractions (voir notre actualité détaillée) .
Conformément au décret d’application relatif au blocage, une fois le blocage décidé, les internautes seront redirigés vers une page d'information du ministère de l’Intérieur indiquant notamment les motifs de la mesure de protection. Sur cette page d’accueil remaniée, on ne trouve rien sur le fond, simplement un strict minimum d’explications : volonté de protéger les internautes « afin qu'ils ne se trouvent pas confrontés à des contenus violents et contraires à la loi », nécessité de faire prendre conscience à ceux qui veulent les consulter « de la gravité de tels actes », enfin, lutter « contre les sites qui font l'apologie ou qui provoquent directement à la commission d'actes de terrorisme. »
Des DNS menteurs
Techniquement, selon Stephane Bortzmeyer, architecte systèmes et réseaux, et spécialisé dans les questions de DNS, ce dispositif de censure fait appel à un résolveur DNS menteur, c’est-à-dire « qu’ils ne renvoient pas le résultat correct, mais un mensonge tel que demandé par le gouvernement » précise de son côté Taziden, membre notamment de la Fédération FFDN (voir également cette page.)
Les visiteurs sont en effet redirigés vers l’adresse http://90.85.16.52 dont un whois nous apprend qu’elle appartient à Orange. « C’est donc chez Orange Business Services qu’est hébergée la page vers laquelle on arrive quand on est chez un FAI pratiquant la censure gouvernementale » poursuit Taziden.
Bortzmeyer a déjà déniché de son côté l’adresse de la page qui sera désormais placardée sur les sites accusés de diffuser du contenu pédopornographique (http://90.85.16.51/), laquelle ne contient pas de conseils médicaux comme ce fut pourtant promis dans le passé. On remarquera également l’adresse http://90.85.16.50, taillée pour être exportée à de futurs autres motifs infractionnels (comme le voudrait par exemple ce député, agacé d'être insulté, ou plus vraisemblablement le gouvernement à l'encontre des messages racistes.)
Un dispositif facilement contournable
C’est un fait : ce dispositif de blocage n’est pas parfait. « Quelles solutions sont disponibles si on veut quand même voir la propagande djihadiste ? se demande ainsi Bortzmeyer. La seule solution propre techniquement est d'avoir son propre résolveur DNS. En attendant, on peut utiliser un résolveur non-menteur (en supposant qu'il ne soit pas détourné et que le port 53 ne soit pas filtré). Dans tous les cas, il est sûr que la stabilité et la sécurité de l'Internet vont en souffrir. Sinon, on peut aussi s'auto-radicaliser un peu plus et franchement passer à Tor pour naviguer sur le Web. »
Cependant, à quoi bon ? Le contenu de ce site a en effet déjà subi de nombreux coups de burin dans ces pages. C'est une hypothèse : l'un de ses hébergeurs a sans doute dû être tenu d’effacer ces propos jugés par l’administration comme faisant l’apologie ou provocant au terrorisme. On ne sait pas par contre si l’effacement a été réalisé avant le blocage effectif – ce qui serait surprenant puisqu’il aurait réduit à néant sa légitimité – ou après coup - l’hébergeur étant désormais face à un contenu qualifié de manifestement illicite par une autorité administrative. Il est donc très difficile de se déterminer sur les causes exactes de ce blocage, décidé entre les murs du ministère et visant des contenus effacés. Et quand bien même, la sensibilité des uns ne sera pas nécessairement partagées par les autres quant à l'illicéité de tels ou tels propos. Cet outil en ligne indique que le site est hébergé par OVH, mais du côté de cette société, c'est la surprise :
Pq personne ne nous a notifié LCEN pour fermer le site http://t.co/m6A36P26JO ? J'apprends ce matin qu'il a été bloqué par le M Intérieur !?
— Octave Klaba / Oles (@olesovhcom) 16 Mars 2015
Comme le souligne en tout cas Pierre Beyssac, l'un des cofondateurs de Gandi.net, on remarquera en tout cas que ses pages restent accessibles dans le cache Google, preuve que le blocage n’a pas été épaulé par un déréférencement administratif, autre volet de la loi sur le terrorisme désormais possible.
On y découvre la trace de plusieurs titres d’articles (« Centrafrique: les mosquées sont désormais détruites ou transformées en églises », « États unis : 3 étudiants musulmans abattus par un extrémiste chrétien », « Israël a détruit la plus ancienne mosquée de Palestine », « Un bébé palestinien de 9 mois mis en prison par Israël (record du monde) », etc.) et surtout des contenus dédiés à plusieurs groupes armés comme le Hezbollah, le Hamas, le PKK, Boko Haram, etc.
Enfin ceux intéressés par la prose d’islamic-news.info pourront toujours trouver de nombreux messages de sa part sur sa page Facebook qui reste accessible, et donc, faute de preuve contraire, licite.
« Nous ne nous laisserons pas intimider »
Sur Internet, la mesure a déjà fait l’objet de moqueries (une faute d’orthographe dans le robots.txt) voire déjà de détournement en témoigne cette page qui reprend le message officiel, mais avec cette fois un beau doigt d’honneur.
Plus sérieusement, Islamic News nous a promis une réponse détaillée de la part de son administrateur. « Tout ce que nous pouvons vous dire pour le moment, nous a indiqué hier l’éditeur du site, c'est que nous ne nous laisserons pas intimider ».
À l’adresse islamic-news.info/recours.html, le ministère de l’Intérieur décrit d’ailleurs les voies de recours. Celui-ci peut être gracieux, adressé à la direction centrale de la police judiciaire, au sein de l’office central de lutte contre la criminalité liée aux technologies de l'information et de la communication (OCLCTIC) ou hiérarchique auprès du ministre de l'Intérieur. La page en question prévient aussi qu’ « en l'absence de réponse de l'administration dans un délai de deux mois à compter de la date de réception de votre recours, celui-ci doit être considéré comme implicitement rejeté ». Enfin il est possible pour quiconque y trouve intérêt de former un recours contentieux devant les juridictions administratives. « Ce recours juridictionnel doit être déposé au plus tard avant l'expiration d'une durée de deux mois suivant la date de notification contestée ou la date du rejet de votre recours gracieux ou hiérarchique. »