Le cabinet de Fleur Pellerin a démultiplié ces derniers temps les réunions avec les membres actuels et passés de la Commission copie privée pour tenter de reformer cette instance. Tour d’horizon des pistes en cours.
Depuis fin 2013, la commission copie privée est au point mort. Agacés des règles internes à leur défaveur, cinq des six industriels ont claqué la porte de cette instance tripartite qui intègre aussi 6 consommateurs, mais surtout 12 ayants droit.
Pourquoi ça bloque ? Les démissionnaires, mais également plusieurs représentants des consommateurs, dénoncent notamment les règles de gouvernance. Dans cette excroissance du ministère de la Culture, chargée d’établir les montants de la redevance copie privée sur les supports, les textes réglementaires sont limpides : « la commission se détermine à la majorité de ses membres présents » et « en cas de partage des voix, le président a voix prépondérante ». Seulement, avec 12 ayants droit, il est mécaniquement très simple pour l’industrie culturelle de déterminer l’assiette et les taux de leurs choix. Il suffit de trouver un appui dans l’un des autres collèges ou celui du président, et c’est l’autoroute.
Après la démission de la quasi-totalité des industriels, les ayants droit aimeraient malgré tout reformer au plus vite cette instance pour revoir les barèmes ou pourquoi pas les étendre (jusqu’à 100 millions d’euros en plus, dans le cœur de la SACEM). Le sujet fait donc l’objet de réunions séparées entre le ministère de la Culture et les membres, anciens ou encore présents. Elles vont se poursuivre jusqu’aux portes de l’été. Problème, les marges de manœuvre ne sont cependant pas multiples : pour injecter démocratie et équilibre, il est d’abord possible de jouer sur deux leviers actuels.
Les leviers actuels : la composition et le vote
Celui de la composition d’abord. Si dans d’autres pays, on a préféré fixer les barèmes par voie législative (Danemark, Portugal, Suède) ou réglementaire (Belgique, Espagne, Finlande, Hongrie, Italie, Pologne), en France comme en Allemagne ou en Autriche, ils sont déterminés par les parties intéressées elles-mêmes.
Certains suggèrent du coup une répartition plus équilibrée (1/3, 1/3, 1/3) « mais les ayants droit n’en veulent pas » nous indique une source. Et pour cause, ceux-ci sont bien contents de profiter de la moitié des 24 sièges disponibles pour faire voter les sommes qu’ils vont finalement empocher.
Autre levier, les règles de la majorité. À ce jour, les décisions sont votées à la majorité simple, le Code de la propriété intellectuelle indique certes que le président peut demander une seconde délibération à la majorité des deux tiers, mais la possibilité est restée toute théorique. Les non-ayants droit aimeraient donc la rendre obligatoire. Seulement, là encore, les bénéficiaires de la ponction, glanant plus de 200 millions d’euros chaque année, rechignent à laisser du terrain aux redevables, naturellement poussés à limiter leurs appétits rémunératoires.
Un avantage indéniable : les règles de majorité sont fixées par décret, facilement modifiables par le gouvernement sans passer par un lourd véhicule législatif. Cette issue ouvre le champ du possible à des variations sur ce même thème : « on pourrait par exemple réserver la majorité des deux tiers pour certaines typologies des décisions, par exemple les nouveaux barèmes ou pour voter les études d’usages qui servent au calcul de la redevance » nous confie une autre source.
Les pistes complémentaires du rapport Lescure
D’autres pistes complémentaires ont déjà été proposées par Pierre Lescure dans son rapport sur l’acte 2 de l’exception culturelle. Par exemple, élargir la commission pour y introduire des experts des ministères principalement concernés « par exemple deux représentants du ministère de la Culture, un du ministère chargé de l’industrie, et un du ministère chargé de la consommation. »
Il recommandait également d’associer un représentant des distributeurs détaillants, de plus en plus impactés par la redevance. La mission Lescure préconisait tout autant de confier l’adoption des barèmes au Gouvernement, sous la forme d’un décret pris sur avis conforme de l’actuelle Commission copie privée. Mieux : « la loi pourrait limiter l’impact de la RCP sur le prix des supports, en plafonnant [son] niveau (…) par rapport au prix moyen de référence des supports de copie », histoire d’éviter les surpoids de prélèvements, carburant à marché gris. « La Commission, déchargée de sa compétence règlementaire au profit d’un rôle de proposition, verrait son fonctionnement apaisé » espérait Lescure dont toutes les pistes ont été poliment rangées dans une lointaine chambre froide.
La question du cloud
Une certitude : les ayants droit reluquent avec gourmandise l’assujettissement d’autres supports et même l'univers du cloud, arguant les nombreuses copies privées d’œuvres sur ces serveurs distants. Pour les acteurs du secteur, c’est l’agacement : ils craignent en effet que la copie privée ne soit que le prétexte pour reterritorisaliser en France les revenus des GAFA. « Il essaye de faire faire à la redevance copie privée (RCP) des choses qui sortent de sa compétence » regrette l’un d’eux. L’inquiétude est d’autant plus vive qu’Hervé Ferron, député, a récemment lancé le sujet via une question parlementaire, alors qu’il siège au sein de la mission à l’Assemblée chargée d’établir un rapport pour les trente ans de la copie privée.