Hier en marge d’une conférence organisée par la SCAM, la société civile des auteurs du multimédia (voir l'interview d'Hervé Rony), Fleur Pellerin a esquissé ses prochaines pistes de réforme visant les gros acteurs du Net.
Pour l'occasion, la ministre de la Culture nous a redit son souhait de revoir à Bruxelles le statut de l’hébergeur. Seulement, un tel objectif, qui permettrait de responsabiliser plus directement les intermédiaires sur les contenus mis en ligne par les tiers, suppose la révision d’une directive de 2000. Pas simple, d'autant qu'une telle révision pourrait avoir des effets telluriques dans de nombreux secteurs, pas seulement celui du droit d'auteur qu'elle défend.
Aussi dans un second axe, elle envisage de contraindre les acteurs du Net installés à l’étranger à désigner un représentant en France. Le prétexte, l’enjeu ou le motif ? Faire en sorte que l’État dispose d’un interlocuteur officiel pour lutter déjà contre la présence de certains contenus en ligne. Cette présence guidée par l’impératif de sécurité publique (lutte contre les infractions, etc.) n’aurait pour l’heure aucune conséquence fiscale, mais elle pourrait être une première étape vers l’imposition plus robuste de ces opérateurs, grâce à leurs activités en France.
Le grain de sable bruxellois
Cette idée n’est pas bien novatrice puisqu'elle est calquée sur l’ARJEL. La loi instituant l’autorité de régulation des jeux en ligne oblige déjà les opérateurs du secteur voulant opérer auprès du public français, à désigner un tel représentant. Surtout, elle avait déjà été portée au Sénat. Dans sa proposition de loi sur la fiscalité du numérique, le sénateur Philippe Marini rêvait en 2012 d’obliger les acteurs de services en ligne basés à l’étranger à désigner ce fameux représentant fiscal dans notre pays, afin de reterritorialiser les revenus.
Seulement, la Commission européenne surveille ce plan comme le lait sur le feu. Et pour cause, imposer de telles contraintes équivaut à un chemin de croix, en raison du sacrosaint principe de liberté d’établissement en Europe.
La lutte contre l'optimisation fiscale agressive à l'OCDE
Une autre issue pourrait venir de l’OCDE, qui a développé un « plan d’action concernant l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices ». L’idée serait cette fois de trouver des pistes visant à endiguer les pratiques d’optimisation fiscale agressives des GAFA (BEPS ou Base Erosion and Profit Shifting en anglais). Celles-ci sont nombreuses, l’une d'elles suggère par exemple de rattacher fiscalement un acteur du numérique à un État à partir d’un certain seuil d’exploitation de données. Cette acrobatie permettrait de contrarier les acteurs du numérique installés loin de nos frontières dans lesquelles ils n'ont pas d'établissement et donc de point d'ancrage.
Seulement, là encore les marges de manœuvre sont serrées et pas seulement en raison des paramètres techniques : l’Organisation de Coopération et de Développement Économique refuse en effet de considérer le numérique comme un secteur à part, isolé des autres branches. Tout est numérique aujourd’hui, impossible donc de charpenter une fiscalité ciblée. Autre délicatesse, pour le plus grand soulagement des GAFA, ce chantier exigerait de revoir une partie des nombreux accords fiscaux passés entre des États à l’ADN très différents, repoussant d’autant sa finalisation. Lors de la conférence de la SCAM, un conseiller fiscal de l’OCDE a malgré tout promis l’arrivée prochaine de solutions concrètes qui pourront être mises en place par chaque État.