Le 16 février, John Chambers, numéro un de CISCO, signait avec Manuel Valls un accord visant à investir 100 millions de dollars dans plusieurs start-ups françaises. Ce rapprochement agace quelque peu la députée UMP Laure de la Raudière, qui craint que la France ne se fasse finalement « acheter » par les géants américains.
Cet accord est riche : on évoque des coopérations dans le domaine des villes intelligentes, l’éducation et la cybersécurité. Il comprend également un volet formation de 200 000 personnes en trois ans et le financement de plusieurs chaires d’excellence. Sont comprises également des expérimentations dans des zones rurales afin d’offrir pour de nouveaux modes d'accès numériques aux services publics. Bref, voilà selon le Premier ministre « une opportunité de développement et un levier de croissance, de compétitivité et d’emploi pour le Pays. »
Menace sur la souveraineté numérique française ?
Seulement cette pluie de cotillons cache difficilement les grimaces. C’est spécialement le cas de Laure de la Raudière (UMP) qui craint pour la stratégie française en matière « de souveraineté numérique ».
Il faut dire que le terreau est très fertile. Le lendemain de cette signature, rappelle l’élue d'Eure et Loir, « une société de sécurité informatique de renommée mondiale, Kaspersky, avançait que la NSA aurait placé un malware sur les disques durs des 12 plus gros constructeurs mondiaux » (notre actualité). Une nouvelle qui ne faisait que confirmer selon elle « les révélations d'Edward Snowden qui nous apprenaient en 2014 que la NSA plaçait des logiciels espions sur les composants réseaux d'équipementiers, notamment CISCO » (voir cette actualité d'Infoworld, par exemple).
L’interview de Barack Obama par le site Re/Code le 18 février 2015 n'a évidemment rien arrangé. Le président américain « s'est élevé contre les enquêtes menées par la commission européenne sur les positions anti-concurrentielles des grands fournisseurs de services internet, et a jugé qu'Internet est américain, qu'il est normal qu'il soit sous leur contrôle quasi exclusif et que l'essentiel des bénéfices tombe entre les mains de leurs champions, lesquels sont injustement harcelés par les pays membres de l'UE », résume la députée.
Les bonnes intentions des entreprises américaines
La députée s'interroge sur les vraies mobiles des entreprises américaines qui pactisent ainsi avec la France. « Rien n'indique aujourd'hui qu'elles sont toutes animées de bonnes intentions. Plusieurs désormais ont une capitalisation boursière qui égale le PIB de pays développés, qui leur donne la trésorerie les moyens de s'offrir nos talents et nos graines de champions. »
À l’Assemblée nationale, elle a ainsi questionné Axelle Lemaire pour savoir si elle avait préalablement pris conseil auprès de l’Agence nationale pour la sécurité des systèmes d’information (ANSSI) avant de parapher l’accord avec CISCO. Le cas échéant, elle demande copie de l'avis.
Et 42, OVH, Atos, Orange ou Cap Gemini ?
Sur sa lancée, elle considère que le chapitre formation de cet accord constitue « un investissement rentable pour les grands constructeurs et éditeurs qui fidélisent ainsi les futurs décideurs à leurs produits ». La démarche est connue, notamment du côté de Microsoft qui, par ses multiples accords avec les administrations françaises a pu se constituer un marché de première main...
Cependant, la France est-elle si démunie ?, questionne Laure de la Raudière. Pourquoi le Premier ministre a souhaité confier ce programme de formation à une entreprise américaine « plutôt que par exemple à des partenaires français tels que l'École 42, OVH, Atos, Orange, Cap Gemini... en capitalisant sur nos laboratoires publics (CNRS, INRIA... ) » ?
La France doit elle se laisser « acheter » ?
Enfin, toujours sur la corde de la souveraineté numérique, la députée constate que « les 100 millions de financement de nos start-ups offerts en contrepartie, représentent la 20ème levée de fonds aux États-Unis du 4ème trimestre 2014 et font le même effet que les 60 millions « offerts » par Google aux éditeurs de presse en janvier 2013, à l'Élysée ».
Du coup, « la France doit-elle se laisser « acheter » par les géants américains du numérique ou doit-elle au contraire, se transformer à partir de ses forces, notamment les grands groupes du CAC40 ? ». Là encore, elle veut des explications : « comment le partenariat avec CISCO s'inscrit dans l'objectif de transformation numérique de nos grands groupes ou dans la création de nouveaux grands groupes français de l'industrie numérique ». Nous reviendrons sur le sujet une fois les réponses obtenues.