Le gouvernement français multiplie les actions pour tenter une nouvelle fois de lutter contre les discours haineux ou antisémites qui fleurissent sur Internet. Il prépare à cette fin un nouvel arsenal, tout en attendant une plus forte réactivité des intermédiaires, pourtant déjà saluée par les services spécialisés.
Lors de la clôture des assises de la lutte contre la haine sur Internet organisée la semaine dernière par l'Union des étudiants juifs de France (UEJF), Christiane Taubira a réaffirmé hier les pistes de réformes prochainement engagées contre les discours racistes et antisémites sur Internet.
« Tout ce qui est illicite, illégal, infraction dans l’espace physique, doit être reconnu également [comme tel] dans l’espace Internet » a déclaré la Garde des Sceaux (voir BFM). La difficulté, selon la ministre de la Justice, réside dans les réponses techniques qui pourront être apportées. Le27 janvier, le chef de l’État avait demandé Manuel Valls de mettre sur pieds un « plan global de lutte contre le racisme et l’antisémitisme », pour la fin février. Dans l'esprit de la Garde des Sceaux, le véhicule législatif choisi sera finalement la future loi sur le numérique, maintes fois promise et autant de fois reportée par le gouvernement.
L’extension du blocage administratif aux contenus racistes et antisémites
Quelles sont les mesures souhaitées ? C’est d’abord l’extension du blocage administratif aux contenus racistes et antisémites. Le gouvernement est bien décidé à élargir la brèche ouverte par la Loppsi en 2011 (pédopornographie) et la loi sur le terrorisme en 2014 (provocation et incitation à ces actes) pour y faire entrer ces abus de la liberté d’expression.
Sur ce point, dans son avis du 12 février signalé par Le Monde, la Commission nationale consultative des droits de l’Homme (CNCDH) a estimé une nouvelle fois nécessaire l’intervention d’un juge « pour ordonner et contrôler le retrait d’un contenu illicite et le blocage d’un site Internet, dès lors que ces mesures constituent des ingérences graves dans la liberté d’expression et de communication ».
En alternative, cette commission propose qu’un magistrat statue en référé dans un délai de 48 ou 72 h, sur saisine d’une autorité administrative indépendante, qu’il reviendrait de créer pour gérer ces problématiques. Cette intervention du juge ne serait que subsidiaire, après la mise en demeure de l’éditeur ou de l’hébergeur. « Le blocage d’un site doit intervenir en ultime et dernier recours, dès lors que cette mesure n’est pas techniquement fiable, du fait de risques de surblocage et de contournement par duplication en chaîne du contenu illicite de site en site ».
Racisme et antisémitisme, circonstances aggravantes dans le Code pénal
Le 18 février dernier, lors des questions au gouvernement, la même ministre de la Justice a aussi répété sa volonté « de faire du racisme et de l’antisémitisme des circonstances aggravantes dans de multiples infractions ». Sur ce plan, la CNCDH considère au contraire impérieuse la nécessité de maintenir dans la loi du 29 juillet 1881 « toutes les infractions relatives aux abus de la liberté d’expression ». Parmi les raisons évoquées, elle juge très inopportun « l’allongement à trois ans du délai de prescription qui découlerait de l’intégration dans le Code pénal de ces infractions (…). En effet, remettre dans le débat public une injure ou une diffamation 3 ans après sa commission éventuelle peut être contraire à la fonction pacificatrice du procès pénal ».
En contre-proposition, la Commission milite pour un dépoussiérage de la loi de 1881 sur la liberté de la presse en prévoyant, pourquoi pas, « un droit de réponse effectif sur Internet au profit des associations antiracistes » ou une meilleure clarté de ces dispositions notamment afin de « préciser et actualiser les notions d’espace public et d’espace privé dans le web 2.0, au regard des nouvelles formes de communautés et de réseaux numériques ». Seules concessions, les infractions suivies d’effets trouveraient elles toutes leur place dans le Code pénal.
Les pressions du gouvernement sur les intermédiaires
En plus de ces manœuvres franco-françaises, le gouvernement est également allé frapper à la porte des grands acteurs américains. Après le sommet international contre la violence extrémiste organisé à Washington, Bernard Cazeneuve s’est rendu en fin de semaine dernière dans la Silicon Valley afin de rencontrer Facebook, Twitter, Apple et Google.
L’enjeu ? Solliciter des efforts redoublés pour supprimer l’accès aux messages extrémistes. Évoquant une « responsabilité partagée », le ministre de l'Intérieur leur demande particulièrement « de faire en sorte de retirer les contenus qui font l'apologie du terrorisme et d'aider les États à retirer les images abjectes qui circulent ». Tous ont été invités en avril prochain à une réunion à Paris pour tenter d’élaborer « un code de bonne conduite », et donc une série de règles sans aucune valeur juridique (voir Le Figaro).
Des acteurs pourtant déjà réactifs
Fin janvier au Sénat, lors d’une table ronde sur la lutte contre les réseaux djihadistes, Catherine Chambon, sous-directrice de la lutte contre la cybercriminalité à la police judiciaire (OCLCTIC), s’était justement penchée sur la réactivité des plateformes vidéo comme Google, Microsoft, TF1, What’s App, ou Dailymotion, à qui les autorités signalent la présence de vidéos litigieuses (voir notre émission 14h42).
À la vingt-septième minute de cet échange, qui a également concerné le blocage administratif, elle admet bénéficier d’ « un taux de satisfaction assez important à la fois en qualité de réponse et en rapidité. La plupart des vidéos qui ne sont pas sujettes à caution et qui sont appréciées comme manifestement illicites sortent tout de suite. Le délai de réponse des plateformes est de quelques minutes. »
Du côté de Twitter, revenons plus en arrière. Le réseau social avait fini par obtempérer en juin 2013 en transmettant au Parquet « les données susceptibles de permettre l’identification de certains [de ses] utilisateurs ». De même, le réseau social avait dû améliorer son dispositif de signalement puisque la justice l’avait également enjoint à mettre en place « un dispositif facilement accessible et visible permettant à toute personne de porter à sa connaissance des contenus illicites, tombant notamment sous le coup de l’apologie des crimes contre l’humanité et de l’incitation à la haine raciale. »
Des mesures visiblement jugées insuffisantes, sans doute noyées après l’explosion des contenus litigieux constatés depuis les attentats contre Charlie Hebdo.