Maintes fois repoussé, le procès de l’administrateur du site eMule Paradise s’est ouvert cette semaine devant la 31ème chambre du tribunal correctionnel de Paris. Les ayants droit lui réclament à lui et à ses complices près de 8 millions d’euros de dommages et intérêts. Le Parquet a requis des amendes et même, fait rare, une peine de coupure de son accès à Internet.
L’affaire date d’il y a presque dix ans, à une époque où la Hadopi n’existait pas encore. Elle nous renvoie à une période où le peer-to-peer avait le vent en poupe et où la justice commençait tout juste à se pencher sur le cas un peu particulier de ces sites qui mettent à disposition des liens permettant de télécharger des fichiers grâce à un logiciel tiers, sans qu’ils n’hébergent eux-mêmes d’œuvres contrefaites...
eMule Paradise était de ceux-là. Créé en 2004 par Vincent Valade, ce site se voit aujourd’hui reprocher d’avoir proposé plus de 7 000 liens à ses utilisateurs, lesquels permettaient pour la plupart de récupérer des films et des séries grâce au célèbre logiciel de peer-to-peer, eMule. En septembre 2006, il enregistrait près de 300 000 visiteurs par jour. L'Association de lutte contre la piraterie audiovisuelle (ALPA) estime selon Le Monde qu’eMule Paradise aurait ainsi été à l'origine de 6,1 millions de téléchargements illicites entre 2005 et 2006.
6,1 millions de téléchargements, pour plus de 400 000 euros de gains
Pour Vincent Valade, les ennuis ont véritablement commencé en décembre 2006, lorsqu’une perquisition fut menée à son domicile. Et pour cause. Au fil de leurs investigations, les enquêteurs ont découvert que le jeune homme, alors âgé de 20 ans, avait perçu plus de 400 000 euros en deux ans, lesquels ont été encaissés via des sociétés offshores. Des revenus provenant notamment des publicités intégrées sur eMule Paradise.
Ce n’est toutefois qu’en avril 2009 que le juge d’instruction en charge de l’affaire décide de renvoyer le dossier devant le tribunal correctionnel. Les charges pesant à l’encontre de Vincent Valade sont alors très lourdes. Il est tout d’abord poursuivi pour contrefaçon par reproduction (à cause de 19 films trouvés sur son ordinateur) et par mise à disposition – cette fois en raison des milliers d’œuvres accessibles « par des chemins et guides d’accès sur le site emule-paradise », précise l’ordonnance, révélée dans nos colonnes. Un tel délit est passible de 3 ans de prison et 300 000 euros d’amende.
Le magistrat estime également que le jeune homme aurait pu se rendre coupable de mise à disposition de logiciel en vue du téléchargement illicite d’œuvres protégées, et ce pour avoir proposé et invité « sciemment » à l’utilisation d’eMule. L’article L335-2-1 du Code de la propriété intellectuelle punit également de 3 ans d'emprisonnement et de 300 000 euros d'amende de telles infractions.
Des peines d’amende requises contre les prévenus, outre 8 millions de dommages-intérêts
Lundi et mardi, Vincent Valade s’est donc retrouvé devant le tribunal correctionnel de Paris, aux côtés de quatre complices et du responsable de la régie publicitaire Net Avenir (voir notamment les comptes rendus d’audience du Monde et de Rue89).
Les ayants droit s’étant portés parties civiles (la SACEM, Fox, Disney, Universal, Paramount, etc.) réclament huit millions d’euros de dommages et intérêts aux prévenus. De son côté, le Parquet n’a pas requis de peine de prison, mais « simplement » une amende de 80 000 euros à l’encontre de Vincent Valade, comme le rapporte Le Figaro. La confiscation des biens du fondateur d’eMule Paradise a également été demandée, de même qu’une peine complémentaire de suspension de son accès à Internet d’une durée d’un an. Ceci permet de rappeler que contrairement à ce qu'a pu affirmer le gouvernement, cette sanction jamais appliquée a certes été supprimée du dispositif Hadopi, mais reste possible pour les affaires de contrefaçon (art. L335-7 du CPI).
Quant aux complices, le ministère public a plaidé pour une amende de 8 000 à 10 000 euros à l’encontre d’un d’entre eux, et 5 000 euros pour les trois autres. 75 000 euros d'amende ont été requis s’agissant de la régie publicitaire Net Avenir, et « de 40 000 à 50 000 euros d'amende pour son PDG » ajoutent nos confrères. Le verdict est attendu pour le 12 mai prochain.
La jurisprudence est désormais « bien établie » en matière de sites de liens
Si la question se posait en 2006 de savoir si l’administrateur d’un site de liens pouvait être tenu responsable des téléchargements qu’il avait simplement facilité, ce n’est aujourd’hui plus vraiment le cas. Plusieurs décisions ont effectivement été prononcées entretemps, à l’image de celle relative au site « Tracker-Surfer », qui proposait quant à lui des liens Torrent. En janvier 2013, le tribunal correctionnel d’Agen a condamné son responsable à cinq mois de prison avec sursis et à 4 000 euros d’amende, outre 70 000 euros d’indemnités à verser aux ayants droit (notre article). Les juges en charge du dossier avaient d’ailleurs bien insisté, affirmant qu’il était « de jurisprudence désormais bien établie (...) que le seul fait de favoriser l’accès et l’usage de sites de téléchargement permettant de visualiser et éventuellement de reproduire des œuvres de l’esprit au mépris des droits des auteurs et de leurs ayants droit [constituait un] délit de contrefaçon par diffusion ou mise à disposition ».
Au rang des condamnations similaires, on pourra citer :
- Les six mois de prison avec sursis, 1 000 euros d’amende et 300 000 euros de dommages-intérêts prononcés en 2012 à l’encontre du responsable du site « Mamie Tracker » ;
- Les deux mois de prison avec sursis dont a écopé le responsable du site Le-Divx.com, outre 13 604 euros d’indemnités alloués aux ayants droit en 2013 ;
- Les dix mois de prison avec sursis et 1 175 000 euros de dommages et intérêts alloués aux ayants droit en 2013 dans le cadre de l’affaire « Forum-DDL ».
Soulignons enfin que même si eMule a pu connaître une certaine forme de déclin, notamment suite à l’arrivée des logiciels BitTorrent, la Hadopi expliquait en 2012 qu’un abonné sur deux pris dans ses filets utilisait le célèbre programme.