Cyanogen Inc veut libérer Android de Google, en s’offrant à d’autres

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Mobilité 9 min
Cyanogen Inc veut libérer Android de Google, en s’offrant à d’autres

Cyanogen Inc, l’entreprise derrière la célèbre version non-officielle d’Android se rêve en Robin des bois face à l’empire Google. Elle cherche ainsi des investisseurs afin de construire un écosystème alternatif à celui du géant de Mountain View qui, dans le même temps, renforce son emprise sur son système, y compris sur AOSP (Android Open Source Project).

Il faut sauver Android de Google ! C’est en substance le message porté par Cyanogen Inc ces derniers mois. L’entreprise, qui s’est formée à partir de la version « amateure » d’Android, est en croisade pour combattre Google sur son propre terrain. Selon Re/code, Cyanogen Inc démarcherait de nombreuses entreprises, comme Microsoft et Amazon en quête d’investissements. La société se présenterait comme une (future) alternative solide à l’Android par Google, à même de proposer un système complet, libéré de la dépendance au groupe de Mountain View. Certains acteurs démarchés se seraient d’ailleurs retiré des discussions, « par peur de représailles par Google », ajoute Re/code.

Cyanogen Inc espère ainsi mener un tour de table qui le valoriserait à plusieurs centaines de millions de dollars, contre 100 millions lors d’un tour précédent, selon des sources du site américain. Le Wall Street Journal rapportait fin janvier que Microsoft était prêt à prendre une part d’une valeur de 70 millions de dollars (62 millions d’euros) dans la jeune pousse. Un ordre de grandeur confirmé par Re/code. Mais quel est vraiment ce besoin de se détacher de Google ?

L’étau Google se resserre autour d’Android

« Aujourd’hui, Android et iOS sont essentiellement des coques pour les services de Google et Apple. Le reste du monde vit dans ces ‘sandboxes’ sans accès au noyau des systèmes » affirmait fin janvier Kirt McMaster, le directeur général de Cyanogen Inc, lors d’une conférence organisée par The Information. Sur les versions d'Android et d'iOS du commerce, les applications tierces sont effectivement limitées aux fonctions permises par le système. Impossible, par exemple, pour deux applications de communiquer sans passer par la fonction de partage imposée par l'OS. De même, les accès aux informations de l’utilisateur dépendent des permissions régies par Apple et Google. Des limites qui sont parfois vécues comme des obstacles à la monétisation par les entreprises dépendantes des deux géants.

Un autre problème se pose chez Google : pour utiliser Android avec les services du groupe, entre autres le Play Store, il faut accepter ses règles. Les partenaires de Google font ainsi partie de l’Open Handset Alliance, qui leur permet d’intégrer les logiciels made in Mountain View. Les règles en question sont draconiennes, avec des obligations techniques et commerciales, comme l’interdiction de proposer des produits sous Android sans les services de Google. Acer l’avait appris à ses dépens en septembre 2012, quand il avait voulu commercialiser des smartphones équipés d’une version conçue par Alibaba, livrée sans les Google apps.

Les systèmes concurrents, comme Windows Phone ou BlackBerry, ne représentent qu'à peine quelques pourcents des ventes, sans réussir à attirer les développeurs... Une part des services populaires compris. Leur principal souci est que les applications existantes, sur Android et iOS, sont bien souvent incompatibles avec leurs moteurs. Microsoft développe certaines applications elle-même, tandis que BlackBerry intègre un « runtime » Android, mais dans les deux cas, le résultat serait plus un compromis qu'une réelle alternative. Reste le cas particulier de Sailfish OS utilisé par Jolla. La solution serait donc d’utiliser Android, sans Google. En clair, d’utiliser la version libre du système : l’Android Open Source Project (AOSP) que Google développe avec ses partenaires.

Nouveau problème : sous couvert de lutter contre la fragmentation, Google veut peu à peu reprendre la main sur son écosystème, au sens large du terme. Pour cela, il s'appuie sur un élément-clé : les « Google Play Services » qui ne sont pas présents dans AOSP. Pour rappel, il s'agit d'un ensemble d’outils propriétaires pour développeurs, qui ne sont fournis que sur les terminaux adoubés par la société. Ces services comprennent des éléments essentiels pour le fonctionnement des applications du groupe, palliant même certains manques de l'OS. Fin 2013, Ars Technica avait publié une longue analyse de cette prise de contrôle, qui passe également par l’arrêt du développement des applications par défaut, comme le navigateur ou le lecteur de musique.

L’alternative est pour l’instant tout aussi fermée

Intégrer ces services propriétaires aux applications est même devenu une pratique courante et recommandée. Les Play Services incluent par exemple le « Google Cloud Messaging », qui groupe les échanges de données en arrière-plan, pour économiser la batterie. Une application qui l'exploite ne fonctionnera pas correctement sur un téléphone sans les services Google. C’est notamment le cas de l’application de messagerie libre et sécurisée TextSecure, qui n’est disponible officiellement que sur le Google Play Store, justement pour cette raison.

Toutes ces limites n’ont pas empêché des entreprises d’utiliser cette fameuse version « AOSP », à la surface de plus en plus réduite. Cela pour en tirer un nouveau système, retravaillé. La plus connue de ces entreprises est Amazon, avec ses tablettes Kindle et son Fire Phone, annoncé en juin dernier. Une version qui est encore très loin de détrôner l’offre de Google, malgré la puissance du géant de la vente en ligne et la présence d’un « AppShop » avec la majorité des applications populaires.

Amazon Kindle Keff Bezos
Crédits : David McNew/Getty Images News/Thinkstock

C’est également le cas de Microsoft, avec sa gamme de smartphones d'entrée de gamme Nokia X. Ils sont équipés d’une version dérivée d’Android, sans contrôle de Google, mais sans la majorité des fonctions qui en font l’intérêt. Lancée il y a peu de temps, celle-ci a rapidement été abandonnée, sans doute aussi parce que Microsoft a préféré se focaliser sur Windows Phone. De son côté, ce qui reste de Nokia hors de Microsoft a décidé de rejoindre le clan Google, avec la N1, une tablette de 8 pouces sous Android 5.0, équipée des services de Mountain View. Lancée début janvier en Chine, elle est censée arriver dans les prochains mois dans d’autres pays, sans plus de précisions pour l’instant.

Une autre piste d’émancipation est d’ajouter ses propres services à côté de ceux de Google. C’est ce que pratique massivement Samsung, qui dispose d'une version alternative à l’ensemble des services de l’américain, jusqu’au streaming musical. Comme le notait encore Ars Technica, à propos du premier smartphone sous Tizen, Samsung propose bien plus de services maison sur Android que sur son propre système. Le groupe démarche même activement les développeurs d’applications pour qu’ils conçoivent des fonctions spécifiques à ses appareils équipés de l'OS Google.

Les « forks » représenteraient plus d’un tiers du marché Android

Pendant ce temps, les performances des industriels ayant misé sur Android sont en train de s’effriter. Alors qu’Apple affiche un dernier trimestre 2014 « record », son principal concurrent Samsung est à la peine. Le conglomérat vient d’enregistrer sa première chute des ventes en 9 ans, principalement due aux mobiles et à la concurrence des constructeurs chinois. Les ventes de terminaux Android auraient même chuté pour la toute première fois au dernier trimestre. En outre, le prix des terminaux baisserait également note le journaliste Charles Arthur, la croissance se situant désormais dans les pays en développement. Mais ce n'est pas tout...

Les versions « dérivées » d’Android seraient un vrai danger pour Google, comme le relève Business Insider. Au troisième trimestre 2014, les « forks » représentaient 37 % des livraisons de terminaux Android selon Strategy Analytics. Au quatrième trimestre, c'est 41 % des produits livrés en magasin qui n'auraient pas reçu de validation de Google selon un autre institut, ABI Research, soit 85 millions de terminaux. L’explication réside en partie dans le marché chinois, qui a été jusqu’ici assez hermétique à Google, alors qu’Android est utilisé librement par la grande majorité des constructeurs du pays. C’est par exemple le cas de Xiaomi, dont le système MIUI est bien connu des bidouilleurs.

C’est dans cette morosité globale que s’insère Cyanogen Inc : redonner du pouvoir aux constructeurs et aux entreprises tierces, là où Google les bride. L’objectif affiché est de redonner aux entreprises ce contrôle « perdu » sur les terminaux mobiles. Cela grâce à la version d’Android qu’ils développent depuis plusieurs années, améliorée par rapport à celle de Google, avec des applications par défaut à jour ou des paramètres plus poussés. Selon Cyanogen Inc, 50 millions de personnes utiliseraient leur système, en majorité installé à la place de la version fournie par le constructeur.

Sur un de leurs smartphones, un constructeur pourrait ainsi remplacer l’ensemble des services de Google par les siens, voire négocier l’installation par défaut d’applications tierces. Cela avec le contrôle du système, sans le poids de Google ni la nécessité de tout redévelopper. Cyanogen Inc prévoit en outre d’ouvrir sa propre boutique d’applications d’ici la mi-2016, a indiqué Kirt McMaster lors de la conférence de The Information début janvier, cité par Android Authority. « Dans trois à cinq ans, nous n'utiliserons plus un dérivé de Google » prophétise-t-il.

Cyanogen, sauveur d’un Android libre ? Pas si vite

« Cyanogen pourrait avoir une meilleure chance que Microsoft de construire un troisième écosystème mobile » concordait fin janvier Rajeev Chand, directeur à Rutberg & Co., une banque d'investissement spécialisée dans le mobile, au Wall Street Journal.

Malgré tout, Google est un interlocuteur fiable. Ce qui n’est peut-être pas encore le cas de Cyanogen. En avril, OnePlus dévoilait son premier appareil, le OnePlus One sous CyanogenMod, un smartphone de 5,5" à 300 euros. Après plusieurs mois de collaboration avec Cyanogen Inc, la jeune entreprise chinoise a eu une mauvaise surprise. En Inde, le « One » devra être livré sans CyanogenMod. La raison ? En novembre, Cyanogen Inc a signé un contrat d’exclusivité avec le constructeur indien Micromax, pour équiper sa gamme Yu. Cela sans prévenir OnePlus qui venait tout juste de lancer son smartphone dans le pays.

Oneplus One

La conséquence : Micromax a porté plainte fin décembre devant la Haute Cour de New Delhi, pour empêcher OnePlus de vendre ses smartphones. « Nous ne pouvons pas expliquer la décision de Cyanogen, parce que nous ne la comprenons pas vraiment nous-mêmes » déclarait l'entreprise chinoise dans un billet de blog, alors que son partenariat avec Cyanogen  Inc s’étend à 17 autres pays.

OnePlus a donc dû développer sa propre version d’Android, prévue pour être finalisée en février et installée sur les smartphones vendus en Inde, en lieu et place de CyanogenMod. Pour l’instant, seule une version « AOSP » nue, sans fonction supplémentaire, est disponible. Les téléphones fournis avec CyanogenMod jusqu’ici ne recevront pas de mise à jour. Les utilisateurs devront donc installer manuellement la version concoctée par OnePlus.

Après un an et demi d’existence, Cyanogen Inc n’a donc pas la meilleure des historiques. Microsoft et d’autres entreprises semblent pourtant croire à la promesse de la jeune pousse, à savoir reprendre la main sur la base technique du système de Google. Avec une croissance du marché mobile qui s’est déportée sur les pays émergents et la concurrence des constructeurs asiatiques, le modèle imposé par Mountain View semble bien mis à mal. Reste pourtant à Cyanogen Inc de trouver des partenaires, sur un marché où la différence est d’or, et d’être digne de confiance. Son premier partenariat avec OnePlus, ainsi que d’autres mésaventures, n’y contribuent pas encore.

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