La France vient de transmettre à Bruxelles son projet de décret relatif au déréférencement administratif des sites « terroristes » et pédopornographiques. Les moteurs de recherche et autres « annuaires » seront tenus de procéder à une purge sous 48 heures, loin des regards du juge.
Moins d’un mois après les terribles attentats ayant frappé notre pays, le gouvernement parachève la mise en œuvre de la dernière loi anti-terroriste de novembre 2014. Il manquait en effet plusieurs décrets d’application pour que certaines mesures entrent réellement en vigueur. Après avoir publié au Journal officiel le décret relatif au blocage administratif des sites « terroristes » et pédopornographiques, l’exécutif a notifié hier à la Commission européenne celui portant sur le déréférencement de ces mêmes sites.
Ce projet de décret a été transmis à Bruxelles dans le cadre d’une procédure d’urgence, justifiée selon Paris par « l’accélération des phénomènes constatés de radicalisation par l’usage d’internet ». Ceci permettra surtout au gouvernement de Manuel Valls de le publier au Journal officiel dans une quinzaine de jours, dès qu’un tour de table des États européens aura été effectué. Le Premier ministre s’était d’ailleurs engagé à la suite des attentats à ce que tous les textes d’application de la dernière loi contre le terrorisme soient pris avant la mi-mars.
Avec ce dispositif, les pouvoirs publics veulent faire en sorte que les sites faisant l’apologie du terrorisme (telle que réprimée par l’article 421-2-5 du Code pénal) ou diffusant des images pédopornographiques (art. 227-3 du même Code) ne soient plus affichés parmi les résultats proposés par les « moteurs de recherche » ou bien dans les « annuaires ».
Les moteurs et annuaires auront 48 heures pour procédérer au déréférencement
Dans la pratique, le texte proposé par le ministère de l’Intérieur est intimement lié à celui relatif au blocage administratif des mêmes sites. À aucun moment, un juge n’interviendra.
Première étape : l’Office central de lutte contre la criminalité liée aux technologies de l'information et de la communication (OCLCTIC), ce service composé de gendarmes et de policiers, transmettra « aux exploitants de moteurs de recherche ou d’annuaires les adresses électroniques » à déréférencer. Une personnalité qualifiée désignée par la CNIL sera pour l’occasion mise dans la boucle, puisqu’elle recevra également cette liste de sites à censurer.
Deuxième étape : une fois avertis, les moteurs et annuaires devront prendre « dans un délai de 48 heures suivant la notification » « toute mesure utile destinée à faire cesser le référencement de ces adresses ». En clair, à charge pour eux de se débrouiller pour que les sites litigieux n’apparaissent plus... Très peu bavard sur ce point, le projet de décret ajoute simplement que ces intermédiaires ne devront par modifier « les adresses électroniques, que ce soit par ajout, suppression ou altération ». Ils seront par ailleurs tenus de « préserve[r] la confidentialité des données qui leur sont ainsi confiées ».
Les sites déréférencés seront vérifiés tous les trimestres
Afin de s’assurer que les sites déréférencés méritent toujours d’être écartés des Google & co, l’OCLCTIC vérifiera « au moins chaque trimestre que les adresses électroniques notifiées ont toujours un contenu présentant un caractère illicite ». Si jamais ce n’était pas le cas, les intermédiaires seraient avertis, de telle sorte que ceux-ci « rétablissent par tout moyen approprié le référencement des adresses électroniques [en question] ». Et ce dans un délai de quarante-huit heures suivant la notification.
Quant au contrôle exercé par la personnalité qualifiée désignée par la CNIL, la loi de novembre dernier prévoit des pouvoirs identiques à ceux qui prévalent pour les blocages de sites. En l’occurrence, celle-ci pourra « recommander » à l’OCLCTIC de mettre fin à une mesure de déréférencement « si elle constate une irrégularité ». Et au cas où les forces de l’ordre ne suivraient pas cette recommandation ? Ce membre de la CNIL (dont on ne connaît pas encore le nom) pourra « saisir la juridiction administrative compétente, en référé ou sur requête ».
L’État remboursera aux moteurs et annuaires leurs seuls « surcoûts justifiés »
S’agissant enfin du coût que représente la mise en œuvre de ce dispositif pour les intermédiaires, le projet de décret prévoit une compensation identique à celle posée par le décret de ce matin sur le blocage administratif. Seuls les « surcoûts » éventuels seront pris en charge par l’État, ceux-ci étant entendus comme les « investissements et interventions spécifiques supplémentaires » résultant de ces nouvelles obligations.
La procédure de remboursement ne sera cependant pas simple... Les moteurs et annuaires devront tout d’abord envoyer à l’OCLCTIC « un document détaillant le nombre et la nature des interventions nécessaires ainsi que le coût de l'investissement éventuellement réalisé ». Ce récapitulatif sera ensuite passé au peigne fin par le Conseil général de l'économie, de l'industrie, de l'énergie et des technologies. Et ce n’est qu’au vu de cette analyse que l’État procèdera au paiement des « surcoûts justifiés », et ce sur présentation d'une facture.
Le mystère demeure sur les « annuaires » concernés
Par contre, le projet de décret ne précise jamais quels sont les « annuaires » visés par ce dispositif. Cette notion semble pourtant extrêmement vague et quelque peu périmée... À notre connaissance, il s’agit d’ailleurs de la première fois que ce terme est utilisé dans notre droit.
Il faudra désormais attendre la publication définitive du décret (vraisemblablement dans les toutes prochaines semaines) pour voir si le gouvernement aura revu quelque peu sa copie. En procédant ainsi, c’est-à-dire en publiant un premier décret pour le blocage, puis un second pour le déréférencement, l’exécutif prend en fait des précautions. En cas d’annulation du premier texte, le second pourrait espérer passer entre les gouttes en étant adapté... Rappelons au passage que les parlementaires n’ont pas souhaité soumettre la dernière loi anti-terroriste au Conseil constitutionnel. Celui-ci pourra cependant être appelé à intervenir en cas de question prioritaire de constitutionnalité, une fois le texte publié au Journal officiel.