Sera-t-il bientôt gratuit d’obtenir par voie électronique un extrait Kbis, alors qu’il en coûte aujourd’hui 3,90 euros (dont 78 centimes de « diligences de transmission ») ? C’est en tout cas ce qu’ont souhaité les députés, puisque ceux-ci ont adopté hier l’article 19 du projet de loi Macron « pour la croissance et l’activité ».
La portée de cet article est cependant bien loin de se limiter à cet exemple ! Engagé dans une politique en faveur de l’Open Data, le gouvernement veut tout simplement permettre l’accès libre et gratuit de tous (entreprises, particuliers, associations...) au Registre national du commerce et des sociétés, via Internet. Il s’agit d’ailleurs d’un des engagements pris en 2013 par la France lors de la signature de la Charte du G8 pour l’ouverture des données publiques.
Dans la pratique, la loi Macron prévoit que les greffiers des tribunaux de commerce soient obligés de transmettre à l’Institut national de la propriété intellectuelle (INPI) « par voie électronique », « sans frais », et « dans un format informatique ouvert de nature à favoriser leur interopérabilité et leur réutilisation », toutes les informations collectées actuellement par ces professionnels auprès des entreprises : statuts, comptes annuels, siège social... L’INPI aurait ensuite pour mission d’assurer « la diffusion et la mise à disposition gratuite » de ces données irriguant le fameux registre – également appelé registre InfoGreffe, du nom du groupement d’intérêt économique (GIE) qui en assure actuellement la gestion.
Les greffiers trouvent de nombreux relais parmi les députés
Les greffiers des tribunaux de commerce, qui tirent aujourd’hui des bénéfices de l’exploitation de ces données publiques, sont cependant vent debout contre cette réforme. Ces professionnels, qui sont pour la plupart des salariés, estiment que la fin de cette manne financière conduirait à la suppression de centaines d’emplois. « Nous n'aurons plus les moyens, humains et techniques, pour continuer cette activité – ces moyens étant conditionnés par une rémunération correcte des greffiers » nous expliquait il y a quelques jours Renaud Dragon, porte-parole des greffiers du tribunal de commerce de Paris (voir notre interview).
Les revendications de ces officiers ministériels ont d’ailleurs réussi à trouver de nombreux relais parmi les députés. Des amendements de suppression de l’article 19 avaient été déposés par des élus de quasiment tous les bords politiques –beaucoup d’UMP, mais également quelques parlementaires communistes ou même du PS, comme nous l’avions expliqué.
Deux principaux arguments étaient mis en avant pour mettre à bas cette réforme : la solidité juridique du dispositif (certains craignant une non-conformité, vis-vis du droit européen notamment) et l’absence de compensation financière pour les greffiers, l’étude d’impact étant bien discrète à ce sujet puisque le gouvernement demandait initialement à être habilité à légiférer par voie d’ordonnance. Lors des débats d’hier après-midi, ces points ont bien entendu été soulevés.
Tous les amendements de suppression de l'article 19 rejetés
« L’on peut sérieusement se poser la question de savoir si le projet n’est pas contraire au droit européen et au droit national en matière de propriété intellectuelle. En effet, si les données que les entreprises déposent au greffe leur appartiennent, les bases constituées au fil du temps par les greffiers sont couvertes par le droit de propriété » a ainsi fait valoir le député Marc Dolez (Front de Gauche). Son collègue Jean-Claude Mathis, UMP, a quant à lui prévenu : « La mise en œuvre de cette mesure aura pour conséquence une perte importante des ressources liées à la diffusion de l’information légale. L’équilibre économique des greffes va s’en trouver fragilisé, ce qui portera atteinte à l’organisation de la justice commerciale. »
« Je ne suis pas certaine que la question de la propriété intellectuelle se pose en des termes aussi inquiétants ! » a cependant rétorqué la rapporteure thématique Cécile Untermaier. L’élue socialiste a d’ailleurs émis un avis défavorable quant à ces amendements de suppression, avant de laisser la parole à Emmanuel Macron.
« Toutes les données concernées par cet article appartiennent à l’État » a martelé le ministre de l’Économie, insistant sur le fait que les missions de collecte et de numérisation des informations du RNCS correspondaient d’ores et déjà à une « une obligation légale » incombant aux greffiers. « Pour ces tâches, les greffiers sont rémunérés, soit spécifiquement, soit forfaitairement, au moyen des tarifs réglementés payés par les entreprises ou entrepreneurs individuels. Cela inclut la numérisation et la transmission à l’INPI ou aux particuliers, a poursuivi le locataire de Bercy. Les greffiers ne sont propriétaires que des logiciels mis en place, pas du produit, et de l’infrastructure informatique. »
Emmanuel Macron déterminé à mettre fin à une « aberration »
Alors que les professionnels du secteur ne cessent d’affirmer que leur « équilibre économique » serait mis à bas avec cette réforme, Emmanuel Macron n’a pas reculé, loin de là. « Dans la situation actuelle, les professionnels rémunérés pour collecter des informations et les mettre à disposition du public se sont organisés. Parce qu’ils ont décidé de constituer un GIE, ils bénéficient d’une situation de monopole qui n’est en aucun cas couverte par le droit. C’est cette aberration que nous voulons traiter par ce projet de loi » a-t-il lancé dans l’hémicycle.
Tout en regrettant que les données relatives aux bénéfices générés par l’exploitation du registre InfoGreffe soient « limitées », l’ancien conseiller de François Hollande a brandi un rapport de l’Inspection générale des finances selon lequel le taux de rentabilité moyen annuel d’un greffe de tribunal de commerce serait de 82 %. « On peut ainsi raisonnablement présumer que s’il y a eu un investissement important, il a été amorti. En tout cas, il a largement été intégré dans la tarification actuelle, car une entreprise dont le taux de marge est de 82 % fait rarement des dépenses de recherche et développement inconsidérées ou des investissements hors de propos ! » a-t-il raillé.

Bref, le gouvernement n’a finalement rien lâché, en dépit des réactions de certains parlementaires. « Nous ne savons pas comment le service se développera dans un autre univers, celui de l’INPI, c’est-à-dire l’Open Data pur. Vous risquez de dégrader le service, de décourager les greffiers, et au bout du compte, de parvenir au résultat contraire à celui que vous recherchiez, à savoir améliorer la performance, la croissance et l’activité » a par exemple objecté le centriste Jean-Christophe Fromantin (voir le compte rendu des débats).
Tous les amendements proposés par les députés ont été rejetés. Celui des rapporteures Valérie Rabault et Karine Berger, qui voulaient que le gouvernement remette au Parlement « un rapport sur l’opportunité, le coût et les conditions de création d’un fonds d’indemnisation au titre de la nouvelle obligation faite aux greffiers », n’a même pas été soutenu.
Si cet article a désormais passé son « baptême du feu », il faut encore que le projet de loi Macron soit adopté dans sa globalité par l’Assemblée nationale. Le texte sera ensuite transmis au Sénat, où les débats devraient reprendre de plus belle...