L’ampleur des oppositions à l’inscription d’un « secret des affaires » au sein de la loi Macron semble avoir fait reculer la majorité. Le rapporteur général du projet de loi, Richard Ferrand, a annoncé aujourd’hui à l’AFP que le groupe socialiste à l’Assemblée nationale avait « jugé sage de retirer le texte » – confirmant ainsi des informations du Monde, qui affirmait ce matin que le gouvernement souhaitait finalement la suppression complète du dispositif. Nous y reviendrons lorsque les amendements en question auront été adoptés.
Dans le cadre des discussions relatives à la loi Macron, les députés ont instauré un nouveau délit de violation du « secret des affaires » des entreprises, en direction notamment de ces salariés qui volent certains documents ou fichiers informatiques à leur employeur. Ces dispositions suscitent toutefois de fortes craintes quant à la liberté de la presse et à la protection de ses sources.
Instauration d'un « secret des affaires » pour punir davantage certains vols de données
Les levées de boucliers se multiplient. Hier encore, une pétition a été lancée par de très nombreux journalistes (Mediapart, Le Monde, l’AFP, Libération, L’Équipe, France 2...) qui s’opposent fermement à des dispositions votées par voie d’amendement, le 17 janvier, par la commission spéciale chargée d’examiner la loi Macron. L’objectif ? Introduire dans notre droit des mesures visant à protéger expressément le « secret des affaires » de nos entreprises.
Les députés ont en fait repris en très grande partie une proposition de loi présentée l’été dernier devant l’Assemblée nationale par le groupe socialiste. Concrètement, il est question de punir de 3 ans de prison et de 375 000 euros « quiconque » prendrait connaissance ou révélerait sans autorisation une information protégée au titre de ce fameux secret des affaires. Rentrerait dans ce champ « toute information » (peu importe son support) :
- « Qui ne présente pas un caractère public en ce qu’elle n’est pas, en elle-même ou dans l’assemblage de ses éléments, généralement connue ou aisément accessible à une personne agissant dans un secteur ou un domaine d’activité traitant habituellement de ce genre d’information ;
- Qui, notamment en ce qu’elle est dénuée de caractère public, s’analyse comme un élément à part entière du potentiel scientifique et technique, des positions stratégiques, des intérêts commerciaux et financiers ou de la capacité concurrentielle de son détenteur et revêt en conséquence une valeur économique ;
- Qui fait l’objet de mesures de protection raisonnables, compte tenu de sa valeur économique et des circonstances, pour en conserver le caractère non public. »
La peine encourue pour ce nouveau délit serait même portée à 7 ans de prison et 750 000 euros d’amende lorsqu’il y aurait « atteinte à la souveraineté, à la sécurité ou aux intérêts économiques essentiels de la France », des notions pas toujours simples à déterminer. Toute tentative de commettre cette infraction serait par ailleurs punie des mêmes sanctions. Et outre ce volet pénal, les entreprises victimes pourraient se tourner vers les juridictions civiles afin d’obtenir des dommages et intérêts. Sans parler de la possibilité offerte aux tribunaux d’interdire la publication de ces informations.
Quid des journalistes et des lanceurs d’alerte ?
« La prédation est devenue une composante de la vie des affaires, qu’elle passe par l’espionnage industriel ou le détournement de procédure judiciaire. Nos entreprises sont juridiquement démunies face à ce phénomène, alors que de nombreux pays protègent les informations qui ne sont pas encore brevetables. De fait, la France accuse un retard préjudiciable » a fait valoir l’auteur de cet amendement, le socialiste Richard Ferrand, lors des débats en commission.
Si les députés de l’UMP et de l’UDI ont apporté leur soutien à cette réforme, Karine Berger (PS) s’est toutefois montrée préoccupée quant au sort réservé aux lanceurs d’alertes. « Le secret des affaires doit certes être protégé dans 99,9 % des cas, mais si l’on n’avait pas violé celui de certaines entreprises luxembourgeoises, par exemple, on n’aurait jamais rien su de leurs pratiques. Je pose donc une question naïve : comment articuler les deux attitudes ? » En réponse à la « naïveté » de l’élue, Richard Ferrand a souligné que ces nouvelles dispositions ne s’appliqueraient pas « dans les cas où la loi impose ou autorise la révélation du secret », ou bien en cas de dénonciation aux autorités compétentes de faits susceptibles de constituer des infractions. De telles exceptions sont en effet expressément prévues, dans ces termes.
Les professionnels de l’information crient à la « censure »
Mais ces garde-fous sont loin de satisfaire les journalistes, qui y voient une profonde remise en cause de la liberté de la presse, outre une mise sous pression supplémentaire de leurs sources. « Quoi qu'en disent ses rédacteurs, ce nouvel outil législatif sera une arme redoutable entre les mains de dirigeants de grands groupes industriels pour étouffer dans l'œuf toute enquête journalistique sur les dessous des affaires », s’insurge ainsi l’Association de la presse judiciaire. « Notre métier consistant à révéler des informations d’intérêt public, il sera désormais impossible de vous informer sur des pans entiers de la vie économique, sociale et politique du pays » prévient de son côté le collectif de professionnels à l’origine de la pétition d’hier.
« Avec la loi Macron, vous n’auriez jamais entendu parler du scandale du Médiator ou de celui de l’amiante, de l’affaire Luxleaks, UBS, HSBC sur l’évasion fiscale, des stratégies cachées des géants du tabac, mais aussi des dossiers Elf, Karachi, Tapie-Crédit lyonnais, ou de l’affaire Amesys, du nom de cette société française qui a aidé une dictature à espionner sa population. Et on en passe... La simple révélation d’un projet de plan social pourrait, en l’état, elle aussi, tomber sous le coup de la loi Macron » ajoutent-ils.
Le gouvernement assure que la copie sera revue
Les réactions sont nombreuses et mettent manifestement le gouvernement dans l’embarras, quelques jours après que le président de la République s’est engagé à ce que le projet de loi renforçant le secret des sources des journalistes soit discuté cette année devant le Parlement (alors que celui-ci n’a pas bougé d’un iota depuis 2013).
Devant la commission spéciale, Emmanuel Macron avait pourtant émis un avis favorable à l’amendement de Richard Ferrand. Emboîtant le pas à son collègue Michel Sapin, le ministre de l’Économie a fait savoir hier à l’AFP qu’il n’avait « jamais été question de réduire (...) la liberté de la presse » et que « toutes les garanties sur ce point seront apportées en séance au moment de la discussion de l’article concerné ».

On remarque d’ailleurs que plusieurs amendements ont d’ores et déjà été déposés par Richard Ferrand, en vue des discussions à venir sur cette partie de la loi Macron – qui pourraient n’avoir lieu que la semaine prochaine au regard de l’avancement des débats.
La première modification proposée concerne la responsabilité des personnes trahissant le secret des affaires (employés, notamment). La loi pour la croissance et l'activité prévoit actuellement que ces lanceurs d’alerte ne puissent pas être inquiétés si l’atteinte à ce principe est « strictement nécessaire à la sauvegarde d’un intérêt supérieur, tel que l’exercice légitime de la liberté d’expression ou d’information ou la révélation d’un acte illégal ». Avec la nouvelle rédaction proposée par le rapporteur Ferrand, cette protection se verrait élargie au « signalement ou à la révélation d’une menace ou d’une atteinte à l’intérêt général, tel que la violation de la loi ou des droits de l’homme, un risque grave pour la santé, la sécurité publique, ou l’environnement ».
Deuxièmement, le nouveau délit d’atteinte au secret des affaires ne serait pas applicable dans « les cas où la loi impose ou autorise la révélation du secret », mais aussi « dans les cas d’usage légitime du droit à la liberté d’expression et d’information ». C’est en tout cas l’objectif de cet amendement, une nouvelle fois signé de Richard Ferrand.
D’autres amendements devraient être prochainement déposés, le député « frondeur » Christian Paul ayant par exemple annoncé qu’il souhaitait supprimer purement et simplement tout cet article, qu’il juge trop mal préparé.
Secret des affaires et non-publication des comptes des entreprises: j'ai déposé et co-signé 2 amdts de suppression #loiMacron #doublefaute
— Christian Paul (@christianpaul58) 28 Janvier 2015