Cela fait maintenant une semaine que les députés de la commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi Macron « pour la croissance et l’activité » travaillent d’arrache-pied. Ils ont d'ailleurs fini d'étudier cette nuit les près de 1 700 amendements déposés sur ce texte. L’occasion pour nous de faire un point sur les premières mesures adoptées par les élus du Palais Bourbon, en attendant que la loi soit discutée en séance publique, la semaine prochaine.
Comme nous l’évoquions la semaine dernière, la loi Macron a permis aux députés de déposer de nombreux amendements en lien direct avec le secteur du numérique et des nouvelles technologies. Si le gouvernement a prévu des mesures concernant notamment la future « carte d’identité électronique des entreprises » ou bien encore la mise en Open Data du registre InfoGreffe, les parlementaires n’ont pas manqué d’apporter leur grain de sel...
Les amendements adoptés
Facturation électronique pour les entreprises. L’amendement gouvernemental habilitant l’exécutif à imposer par voie d’ordonnance aux entreprises de recevoir (et non d’émettre) des factures au format électronique a été voté. Ce sont les grandes entreprises qui devraient tout d’abord être obligées de sauter le pas à partir du 1er janvier 2017, jusqu’aux micro-entreprises, d’ici 2020. Le calendrier est exactement le même que celui d’ores et déjà prévu pour les fournisseurs de l’État, qui seront pour leur part bientôt tenus d’envoyer des factures électroniques à l’administration (voir notre article).
Clarification des objectifs poursuivis par l’ARCEP. L’amendement des députés du groupe socialiste visant à réécrire l’article L 32‑1 du Code des postes et des communications électronique a été adopté, de même que le sous-amendement déposé par Laure de La Raudière (UMP). L’idée était de clarifier et hiérarchiser les objectifs qu’est d’ores et déjà censé suivre l’ARCEP, le gendarme des télécoms. Le respect par les opérateurs « du secret des correspondances et du principe de neutralité » est ainsi placé dans le bloc prioritaire (pour en savoir plus, voir nos explications).
Emmanuel Macron s'est dit favorable à cet amendement, affirmant qu’il s’agissait effectivement d’une « nécessité ». Le locataire de Bercy a toutefois expliqué qu’il faudrait retravailler certains « éléments rédactionnels » d’ici les débats en séance publique, ce qui signifie que des modifications (accessoires) devraient être apportées prochainement.

Pré-raccordement des maisons neuves au très haut débit. Afin de pousser au déploiement de la fibre optique, plusieurs députés – de la majorité comme de l’opposition – avaient déposé des amendements imposant aux propriétaires de certains logements neufs à les pré-raccorder, à leurs frais, au très haut débit. Une telle obligation existe aujourd’hui, mais seulement pour les immeubles collectifs. C’est finalement un amendement de synthèse rédigé par la socialiste Corinne Erhel qui a été voté par la commission spéciale. Il vise expressément les maisons individuelles et les lotissements.
Le ministre de l’Économie a émis un avis favorable à cet amendement, expliquant que cette proposition était « dans le droit fil de l’ambition gouvernementale du plan France Très Haut Débit ». Il a néanmoins soulevé la délicate question « du report du coût pour les propriétaires ». Celui-ci sera encadré par décret ministériel, de même que le calendrier exact d’application de ces nouvelles dispositions.
Open Data pour le registre InfoGreffe. Les députés de la commission spéciale ont adopté l’amendement gouvernemental visant à permettre la mise à disposition, « gratuite » et « à des fins de réutilisation », des informations « techniques, commerciales et financières » contenues dans le Registre national du commerce et des sociétés (RNCS) ainsi que « dans les instruments centralisés de publicité légale », via le site Internet de l’INPI. Ces données publiques sont actuellement collectées par les greffiers des tribunaux de commerce, qui en tirent des bénéfices via la vente d’extraits Kbis par exemple (notre article).
« Aujourd’hui, le paradoxe dans lequel nous sommes, c’est que les greffiers de tribunaux de commerce ont une double rémunération : celle qui consiste à collecter ces données, puis ensuite lorsqu’on va les consulter, être rémunérés pour mettre à disposition des données qui sont publiques ! » a fait valoir Emmanuel Macron. Tandis que plusieurs députés s’inquiétaient du préjudice pour les greffiers, le ministre de l’Économie a insisté : « La réforme qui est proposée, je vous le confirme (des analyses juridiques ont été conduites), ne pose de problème ni de propriété intellectuelle ni d’indemnisation [puisque] les greffiers continueraient à être rémunérés pour alimenter l’INPI ».
Auto-écoles. Un premier amendement a été voté pour permettre aux auto-écoles de faire souscrire des contrats à leurs élèves via Internet, alors qu’elles doivent aujourd’hui en passer obligatoirement par un document papier.
Un second amendement a été adopté afin d’obliger les auto-écoles à publier, au moins une fois par an, « les taux de réussite des candidats qu’ils présentent pour la première fois aux épreuves théoriques et pratiques du permis de conduire pour chaque catégorie de véhicules à moteur, rapportés au volume moyen d'heures réalisées par candidat ». Ces statistiques devraient se trouver sur le site Internet des auto-écoles, même s’il appartiendra à un arrêté ministériel de confirmer les modalités d'application de ce dispositif.
Les mesures en suspens
Déploiement de l’IPv6. Sans grande surprise, la commission n’a pas approuvé la proposition de Corinne Erhel, qui souhaitait obliger tous les équipementiers à vendre des terminaux compatibles avec la norme IPv6 à compter du 1er janvier 2017. L’élue a retiré d’elle-même son amendement, qui était en fait un amendement d’appel.
Emmanuel Macron a déclaré que le gouvernement souscrivait à cette ambition (censée répondre à la pénurie d’adresses IPv4), mais que celle-ci relevait davantage du droit communautaire. Le ministre s’est ainsi engagé à saisir la Commission européenne « dans les plus brefs délais » à ce sujet. « C’est à la fois une nécessité sur le plan technologique et industriel, et un élément de compétitivité pour notre économie. »

Incitation à la fraude fiscale sur Internet. L’amendement des députés écologistes visant à réprimer l’incitation à la fraude fiscale n’a pas été adopté, faute d’avoir été soutenu lors des discussions. L’idée était de pouvoir punir d’une peine maximale de 5 ans de prison et de 45 000 euros d'amende ces « publicités incitant à la fraude fiscale qui se multiplient sur Internet », quand bien même l’incitation n'est pas suivie d’effet. On peut cependant imaginer que cet amendement sera redéposé à l’occasion des débats dans l’hémicycle.
Open Data sur les données de transport. Alors que le projet de loi Macron se donne pour objectif de développer notamment les lignes d’autocars, plusieurs parlementaires ont profité de ce véhicule législatif pour déposer des amendements visant à promouvoir l’ouverture des précieuses données détenues par tous les transporteurs (origines-destinations, horaires, etc.), qu’il s’agisse de la SNCF ou de la RATP, en passant par les bus, etc. Le rêve n’est d’ailleurs pas nouveau : arriver à mettre sur pied un site Internet qui permette au grand public de calculer un trajet complet en prenant en considération tous les moyens de transport possibles.
Sauf que les amendements en question ont été rejetés ou retirés par leurs auteurs, le ministre de l’Économie ayant jugé que ceux-ci étaient bien souvent mal rédigés. « Qu’il s’agisse du transport par autocar ou par train, je pense que le développement de l’information en ligne permet d’accroître le service à l’usager et l’innovation dans le secteur. J’y suis favorable. Je n’ai pas de pudeur en la matière mais je pense qu’il faut prendre quelques précautions techniques » a ainsi prévenu Emmanuel Macron. Il y a donc fort à parier que de nouveaux amendements soient préparés d’ici aux discussions en séance publique, qui doivent débuter le 26 janvier prochain.
Le locataire de Bercy a également rappelé que la question de l’Open Data serait tout particulièrement évoquée au travers du futur projet de loi numérique (voir notre article).