Depuis une dizaine d’années, Apple fait face à une imposante action collective au sujet d’ITunes et des DRM. La firme était accusée d’avoir abusé de sa position dominante et l’enjeu était de taille, avec plus d’un milliard de dollars potentiels dans la balance. Un jury a cependant jeté la plainte hier aux oubliettes.
Apple accusée depuis dix ans d'abus de position dominante
Une titanesque class action entreprise en 2005 s’est brutalement arrêtée hier. Comptant plus de huit millions de consommateurs et des entreprises telles que Best Buy et Walmart, elle pointait du doigt l’abus par Apple de sa situation dominante dans le monde de la vente de musique dématérialisée. Comment ? En privilégiant ses propres DRM et en rendant ses iPod incompatibles avec les services de la concurrence.
Comme nous l’indiquions récemment, Apple était en particulier accusée d’avoir sciemment effacé des données dans les iPod entre 2007 et 2009. iTunes 7.0, alors nouvellement débarqué sur les machines des utilisateurs, pouvait détecter la présence de fichiers utilisant d’autres DRM que ceux d’Apple et les supprimer. Le logiciel indiquait alors qu’une erreur était survenue et l’utilisateur était invité à réinitialiser son iPod en réinstallant les paramètres d’usine. Autrement dit, en effaçant toutes les données.
Même si la plainte datait de presque dix ans, il a fallu attendre ces dernières semaines pour que les évènements accélèrent. Plusieurs responsables d’Apple ont ainsi défilé à la barre pour justifier les décisions prises alors. C’était notamment le cas du directeur de la sécurité, Augustin Farrugia, qui avait tenu à rappeler qu’il régnait chez Apple à cette époque un climat « particulièrement paranoïaque », à cause de ses DRM (FairPlay) que DVD Jon venait de briser. Mais face à une cour qui lui demandait pourquoi ces informations n’avaient pas été transmises aux utilisateurs, la réponse avait alors semblé assez peu convaincante : « Nous n’avons pas besoin de donner trop d’informations aux utilisateurs » et « nous ne voulons pas embrouiller les utilisateurs ». D’anciennes traces écrites de Steve Jobs montraient en outre que l’ordre avait bien été donné de bloquer les musiques achetées sur d’autres plateformes.
iTunes 7.0 n'était pas qu'un simple prétexte pour rejeter les autres DRM
Au cœur de la plainte se trouvait iTunes 7.0 et le jury, composé de huit hommes et femmes, devait se décider en deux temps. Définir d’abord si cette nouvelle version apportait réellement des avantages aux consommateurs, et si ce n’était pas le cas, déterminer si Apple avait enfreint les lois antitrust. Or, il a justement été déterminé qu’iTunes 7.0 avait bien apporté des améliorations et n’était donc pas un simple prétexte pour modifier la gestion des DRM.
Autre point important : les deux plaignantes principales ont dû sortir de l’action collective. Il fallait en effet avoir un iPod sur la période qui avait posé problème, soit de 2006, quand iTunes 7.0 était sorti, à 2009, quand Apple a arrêté toute utilisation des DRM. Or, aucune des deux n’était concernée par cette période, ce qui avait été un coup dur pour les plaignants. Cependant, l’affaire rassemblait plus de huit millions de consommateurs et avait donc continué.
Les DRM ? Une pratique imposée par l'industrie du disque
Par ailleurs, l’un des arguments forts des plaignants était que cette suprématie d’Apple lui avait permis d’imposer ses DRM, de se débarrasser de ceux des concurrents et de faire grimper le prix de ses iPod, puisqu’ils étaient alors les seuls à être compatibles avec iTunes. Malheureusement, la courbe d’évolution avait été mal calculée, parce que le prix avait en fait légèrement baissé, Apple montrant au passage que des améliorations successives avaient été apportées, soit par l’apport de nouveaux modèles, soit par l’enrichissement des fonctionnalités via l’installation des mises à jour.
Quant aux DRM eux-mêmes, Eddy Cue, l'un des vice-présidents d'Apple, avait fait valoir à la barre qu'il était impossible de ne pas en mettre. L'industrie du disque craignait par-dessus le piratage massif de la musique et imposait donc aux entreprises l'utilisation de verrous numériques. Il faudra des années de tractations pour aboutir en 2009 à leur retrait dans iTunes.
Se posait enfin la question délicate de RealNetworks, principal impacté chez les concurrents, et qui proposait son propre verrou numérique, baptisé Harmony. À une époque où les majors ne pouvaient tolérer l’idée d’un monde sans DRM, RealNetworks avait en effet conçu Harmony pour que les fichiers achetés sur sa plateforme puissent être lus par un iPod. Ce qui supposait une rétroingénierie, donc une cassure dans la protection, dans un contexte où Apple devait lutter face à DVD Jon.
Une décision à l'unanimité
Enfin, Apple avait fait appeler à la barre un professeur de l’université de Chicago pour qu’il partage un argument choc : pourquoi la situation devrait-elle différente dans le marché de la musique de ce qu’elle est sur les consoles ? Il n’est par exemple pas possible de faire fonctionner un jeu Wii sur une PlayStation, et aucune class action n’a pour autant été mise en mouvement pour protester.
Difficile de dire si les membres du jury ont été sensibles à cet argument en particulier, mais le résultat est net : à l’unanimité, ils ont déclaré qu’Apple n’était pas coupable des faits lui étant reprochés. Et la firme risquait gros, car la plainte réclamait 351 millions de dollars, une somme pouvant tripler en vertu des lois antitrust. C’est donc une page qui se tourne pour Apple, dont l’armada d’avocats pourra être réorientée vers d’autres combats en cours. Par exemple, contre Samsung.