La Finlande a décidé mercredi de fiscaliser la redevance pour copie privée tout en abandonnant la moindre ponction grevant les unités de stockage. Si le pays scandinave suit là l’Espagne, pendant ce temps le Royaume-Uni a décidé de couper les vannes. En France, les ventres sont nettement plus ronds puisque les rendements atteignent des sommets.
Votée mercredi, la ponction sera remplacée dès le 1er janvier 2015 par un fonds public qui viendra abonder les caisses des ayants droit afin de compenser « leur préjudice » lié à l’exception de copie privée dont profitent les consommateurs. Cette décision finlandaise a été applaudie cette semaine à Bruxelles par l’eurodéputée Henna Virkkunen lors d’une réunion organisée par DigitalEurope, syndicat représentant les intérêts des plus grands acteurs du numérique.
Cecilia Wikström, autre eurodéputée, s’est demandée pour l'occasion « comment le groupe Abba peut-il souffrir d’un préjudice pour le seul fait que j’effectue une copie privée de mon CD pour ma voiture ou parce que je les écoute sur mon lecteur MP3 pendant mon jogging ? Le débat sur les prélèvements du droit d’auteur a été délibérément confus pour nous [législateur] convaincre de perpétuer un système absurde ».
Selon le dernier rapport WIPO-Thuiskopie (société de gestion pour la copie privée aux Pays-Bas) , la Finlande a aspiré 7 millions d’euros en 2012 au profit des ayants droit regroupés au sein de Teosto, soit +30 % par rapport à 2011, mais en retrait par rapport à 2013 (6,3 millions d'euros). Le pays a ses particularismes : il épargne traditionnellement les téléphones, ordinateurs, GPS, tablette, consoles de jeux et les clefs USB (voir les barèmes). De même, les professionnels sont par nature exempts du paiement de cette ponction via un numéro « ID » qui leur est propre.
Ce régime existait depuis 1984, et la réforme votée en 2014 était attendue de longue date. Selon le ministère de la Culture finlandais, les ayants droit peuvent espérer une subvention annuelle de 11 millions d’euros, entièrement financée par le budget de l’État. Et donc une belle hausse des montants perçus.
Cette fiscalisation est-elle compatible avec le droit européen ?
Désormais fiscalisé, ce dispositif ne purgera pas de lui-même la problématique des flux et de la transparence de la taxe entre les mains des ayants droit. Cependant, il présente des avantages non négligeables : outre un contrôle plus serré de l'État, c'est celui de la neutralité commerciale. Les distributeurs finlandais seront en effet en situation de stricte égalité avec les acteurs étrangers. Peu importe la générosité publique, le prix du support vierge ne s’envolera pas selon l’appétit des ayants droit. Un tourbillon que ceux installés en France connaissent bien et qui frappe de plein fouet les consommateurs comme l’a encore montré l’UFC-Que Choisir dans une toute récente étude.
Une question se pose cependant : cette fiscalisation de la copie privée est-elle bien dans les clous du droit européen ? Le thème fait l’objet d’un contentieux devant les juridictions espagnoles, qui va remonter devant la Cour européenne de justice. De l’autre côté des Pyrénées, en effet, le gouvernement a également opté pour un système de fonds public. Mais la douche a été froide : les ayants droit ont perçu 5 millions d’euros en 2012 au lieu des 120 millions d’euros payés l’année précédente. Devant les juges, ils veulent donc savoir si cette fiscalisation est conforme à la directive de 2000 sur le droit d’auteur, laquelle ne dit rien des modalités de compensation.
Autre interrogation : est-ce que cette indemnité peut subir des coups de rabots selon les restrictions budgétaires encaissées par le gouvernement ? Vaste débat qui a été rappelé cette semaine par Veronique Desbrosses, une membre du GESAC, le groupement européen des sociétés d'auteur : « il devrait y avoir un lien entre ceux qui doivent payer et ceux qui doivent percevoir. Mettre la rémunération dans les mains d'un État n'est pas une bonne idée car c'est la déconnecter des usages ou des comportements du marché. »
Du Royaume-Uni à la France, de l'enfer au paradis des ayants droit
En France, une telle fiscalisation n’est en rien choquante puisqu’elle fonctionne avec la redevance sur la reprographie et le matériel d’impression, qui reposent là encore sur l’idée de copie privée. Des taxes que Fleur Pellerin envisage d'étendre aux cartouches et toners. Elle a été également proposée par le rapport Lescure via la taxe sur les appareils connectés, compte tenu de la modification anticipée des usages (logique de flux, plus qu'une logique de duplication). Mais outre-Manche, c’est la révolution ! Le gouvernement a préféré supprimer purement et simplement tout versement, sans pour autant interdire la copie privée. Shocking !
Là encore, les ayants droit sont montés au créneau pour tenter de faire tomber ce régime. La CJUE couple traditionnellement la copie privée avec le versement d’une compensation. En substance, pas l’un sans l’autre. Cependant ce lien n’est pas absolu. Le 21 octobre 2010, dans l’affaire dite Padawan, la même juridiction européenne a considéré qu’un préjudice minime pouvait « ne pas donner naissance à une obligation de paiement ». Les autorités anglaises pourraient du coup arguer que le streaming a désormais supplanté la copie, celle-ci n’étant aujourd’hui que résiduelle dans les habitudes de consommation.
De retour en France, ce mouvement peut inquiéter les ayants droit bénéficiaires. Et pour cause : ils ont aspiré l’an passé plus de 240 millions d’euros sur le dos des consommateurs et des professionnels non remboursés. Un record en Europe, au grand dam des acheteurs et des distributeurs locaux.