François Hollande a signé hier le décret venant préciser les modalités de mise en œuvre, à partir du 1er janvier 2015, des référendums dits d’initiative partagée. Un site officiel permettra ainsi aux électeurs de soutenir des textes de loi sur lesquels ils aimeraient s’exprimer. L'ensemble du dispositif s'apparente cependant à un véritable parcours du combattant, ce qui laisse à penser que la procédure ne pourra jamais aller jusqu'à son terme.
À partir de l’année prochaine, les électeurs pourront soutenir sur Internet des propositions de loi, dans l’espoir qu’elles leur soient ensuite soumises par voie de référendum. Dans une telle hypothèse, l’ensemble des citoyens serait alors appelé aux urnes, afin de dire si oui ou non, il faut adopter définitivement un texte.
Cette procédure, parfois appelée « référendum d’initiative populaire », est en réalité « partagée » entre les parlementaires et les électeurs. Une telle opération ne peut en effet avoir lieu qu’ « à l'initiative d'un cinquième des membres du Parlement, soutenue par un dixième des électeurs inscrits sur les listes électorales ». En clair, cela signifie que 185 députés et/ou sénateurs doivent dans un premier temps rédiger et proposer un texte de loi, puis que celui-ci obtienne dans un second temps le soutien de presque 4,5 millions de personnes (au regard des 44,6 millions de Français inscrits sur les listes électorales au 1er mars 2014).
Comment enregistrer son soutien ?
La grande originalité du dispositif repose sur les modalités de recueil de ces soutiens, puisque ceux-ci ne peuvent être exprimés que par voie électronique. Ce matin, le gouvernement a justement publié le décret précisant la mise en œuvre de ces opérations. Pour rappel, trois cas de figure seront possibles :
- L'électeur apporte directement, par ses propres moyens, son soutien sur le site Internet dédié (géré par le ministère de l'intérieur).
- L’électeur apporte son soutien sur ce même site depuis les bornes d’accès à Internet qui seront proposées « au moins dans la commune la plus peuplée de chaque canton ou au niveau d'une circonscription administrative équivalente et dans les consulats ».
- L’électeur fait enregistrer son soutien, présenté sur un formulaire papier dûment complété, par un agent de la commune ou du consulat.
Concrètement, la procédure sera assez simple puisqu’il n’est pas question de créer de compte, ou de fournir de justificatif par exemple. Le soutien à une proposition de loi sera enregistré en fournissant les informations suivantes : nom, prénoms, sexe, date et lieu de naissance, lieu d'inscription sur les listes électorales, numéro, date et lieu de délivrance de la carte d'identité ou du passeport, et enfin adresse électronique ou postale.
Le décret indique clairement que les personnes qui n’ont ni carte d'identité, ni passeport, ne pourront pas apporter leur soutien sur Internet. Ces électeurs devront donc se présenter en mairie ou dans un consulat, pour faire enregistrer leur soutien par formulaire papier. Et pour cause, ce sont ces fonctionnaires qui pourront vérifier leurs identités. Les agents publics auront par ailleurs 48 heures pour enregistrer sur Internet (à l’aide d’un identifiant et d’un mot de passe) les soutiens qui leur auront été présentés par voie papier.
Un dispositif insuffisamment contrôlé, aux yeux de la CNIL
Quel que soit le mode d’enregistrement des soutiens, l’électeur devra recevoir un récépissé. Le ministère de l’Intérieur aura alors cinq jours pour vérifier et valider chaque soutien (à partir des données relatives aux numéros de carte d’identité et de passeport notamment). Cette démarche vise en particulier à s’assurer qu’une même personne ne soutient pas plusieurs fois une proposition de loi.
Mais dans les faits, le contrôle ne sera pas trop poussé. Un soutien sera en effet « réputé valide » dès lors que :
- Le contrôle de la pièce d’identité ne fait pas apparaître d’anomalie,
- L'INSEE confirme que l'électeur est bien inscrit au répertoire national d'identification des personnes physiques,
- L'électeur n'a pas déjà apporté son soutien à la proposition de loi concernée.
Saisie pour avis, la CNIL a cependant quelque peu tiqué sur ces dispositions. L’institution estime que le mécanisme d'identification retenu « ne permet pas de certifier l'identité de la personne qui exprime son soutien par voie électronique, ni sa capacité électorale ».
En effet, explique la Commission, « les données de personnes n'ayant pas ou plus la qualité d'électeur français, mais se déclarant comme tel, pourraient être enregistrées dans le traitement. De même, dans la mesure où ces données sont accessibles à de nombreux tiers, principalement électeurs, candidats et partis politiques en application des dispositions du code électoral, et sont uniquement déclarées sans faire l'objet de vérifications supplémentaires, elles peuvent être renseignées par d'autres personnes que les électeurs concernés » (voir la délibération). En d'autres termes, non seulement rien ne pourrait empêcher qu'un tiers en possession des bonnes informations soutienne un texte pour un autre électeur, mais en plus ce soutien pourrait parfaitement passer entre les mailles du filet.
La CNIL a ainsi recommandé au ministère de l’Intérieur « de consolider l'identification des personnes concernées en développant, à l'avenir, une solution d'authentification adaptée à la gestion de ces référendums. En l'état, elle estime que des mesures additionnelles de contrôle préalable pourraient être envisagées, telles que l'interrogation du fichier électoral aux fins de vérification de la capacité électorale des personnes concernées et le contrôle de l'absence de déclaration de perte ou de vol des titres d'identités dont la référence est renseignée lors de l'expression du soutien ».
Rappelons au passage que la loi a prévu des peines de deux ans de prison et de 30 000 euros d'amende « pour toute personne participant aux opérations de recueil des soutiens » qui usurperait ou tenterait d’usurper l'identité d'un électeur. Des sanctions ont également été prévues pour ceux qui tenteraient de pirater informatiquement le dispositif. « Le fait, dans le cadre des mêmes opérations, de soustraire ou d'altérer, de manière frauduleuse, les données collectées ou de tenter de commettre cette soustraction, cet ajout ou cette altération » sera ainsi punit de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende.
La liste des soutiens sera accessible en ligne
Une fois validé, chaque soutien sera publié au fur et à mesure sur le site Internet du ministère de l’Intérieur, et classé par ordre alphabétique. « Cette liste, publiée aux seules fins de consultation, précise pour chaque électeur soutenant la proposition de loi son nom, son ou ses prénoms et sa commune » indique le décret, qui exclut donc les informations relatives aux numéros de carte d’identité et de passeport.
Si la loi encadrant cette procédure prévoit que « la liste des soutiens apportés à une proposition de loi peut être consultée par toute personne », le décret se borne étrangement à préciser que « tout électeur peut vérifier s'il figure ou ne figure pas sur la liste », et ce « en s'identifiant sur le site Internet de soutien aux propositions de loi ». Comment ? Soit à l’aide du numéro de récépissé, soit des noms, prénoms, lieu et date de naissance.
Cette liste sera consultable durant toute la période de recueil des soutiens, qui durera neuf mois, et même au-delà, le temps que le Conseil constitutionnel rende sa décision arrêtant le nombre de soutiens définitivement exprimés en faveur de chaque proposition de loi. Les soutiens seront accessibles jusqu’à dix jours après cette décision, puis détruits dans les deux mois.
Attention aux risques de détournement, prévient la CNIL
Une nouvelle fois, la CNIL a tenu à attirer l’attention du ministère de l’Intérieur s’agissant de cette liste. L’autorité administrative considère « que si la publication des soutiens nominatifs, réputés valides ou déclarés recevables, est de nature à améliorer la détection éventuelle d'une usurpation d'identité, il ne s'agit que d'une mesure de détection et non de protection. Dès lors, des évènements redoutés liés à l'usurpation d'identité pourraient se produire ».
L’institution a ainsi jugé qu’il était « nécessaire » de mettre en oeuvre des « garanties fortes en matière de sécurité du dispositif ». La Place Beauvau a dès lors été invitée à être vigilante sur le fait que les informations publiées ne soient pas détournées de leur objectif. En clair : qu’elles ne servent pas à créer des fichiers pour les partis politiques, des annuaires pour des sociétés spécialisées dans le marketing, etc. « Il s'agit notamment d'éviter toute récupération des données de manière automatique, de paramétrer l'indexation de façon proportionnée et de garantir la disponibilité et l'intégrité des données publiées ainsi que leur suppression dans les délais impartis » a en ce sens plaidé la CNIL.
Là aussi, rappelons que des sanctions spécifiques ont été prévues. Le fait « de reproduire des données collectées à d'autres fins que celles de vérification et de contrôle ou de tenter de commettre cette reproduction » sera ainsi puni de cinq ans de prison et de 75 000 euros d'amende.
Un véritable parcours du combattant
Malheureusement, toute cette procédure ne sera qu’une des nombreuses haies à franchir pour que cette procédure aille à son terme... Comme l’expliquait le député Paul Molac au travers d’un récent rapport parlementaire, le référendum d’initiative partagée s’apparente à un véritable chemin de croix, ce qui laisse à penser qu’aucun référendum ne pourra avoir lieu sur cette base.
Si la principale difficulté tiendra probablement dans le recueil des 4,5 millions de soutiens, il faut également souligner que chaque proposition de loi devra être préalablement jugée conforme à la Constitution dans son ensemble, le Conseil constitutionnel examinant en particulier la recevabilité financière des textes (le principe veut que chaque diminution de dépense soit obligatoirement compensée).
Et quand bien même tout se déroulerait à merveille jusqu’au recueil d’un nombre suffisant de soutiens, il n’y aurait pas forcément de référendum d’organisé. En effet, ce n’est qu’au cas où la proposition de loi soutenue « n'a pas été examinée au moins une fois par chacune des deux assemblées parlementaires dans un délai de six mois à compter de la publication au Journal officiel de la décision du Conseil constitutionnel déclarant qu'elle a obtenu le soutien d'au moins un dixième des électeurs inscrits sur les listes électorales » que le président de la République est tenu de la soumettre au référendum... Ce qui pourrait donner de nombreuses issues uniquement parlementaires (voir tableau ci-dessous).

Un dispositif qui coûtera 1,8 million d'euros à partir de 2015
Quant au coût du dispositif, le député Paul Molac expliquait qu’une enveloppe de 1,8 million d’euros serait désormais budgétée tous les ans, pour compenser notamment la charge pour les collectivités qui doivent offrir des bornes d’accès à leurs administrés. Ce chiffre, qui lui semblait sous-évalué, ne tient pas compte des dépenses d’ores et déjà engagées par le ministère de l’Intérieur pour le site dédié au recueil des soutiens. Une plateforme qui avait déjà coûté plus de 360 000 euros à la mi-2014.
Pour ceux qui voudront poursuivre sur cette thématique, rappelons que l’émission du 14h42 d’hier était justement consacrée au vote électronique (voir ici).