Hier, Edward Snowden est intervenu pour la première fois en France dans le cadre d’une conférence organisée par Amnesty International. Il est notamment intervenu sur l’erreur de logique fondamentale qui alimente selon lui le monde du renseignement aujourd’hui. Il a rappelé également que la France n’était pas épargnée.
Edward Snowden vit presque normalement à Moscou
Difficile d’ignorer qui est Edward Snowden désormais. Cet ancien consultant de la NSA est mondialement célèbre pour avoir dérobé des dizaines de milliers de documents sensibles à l’agence américaine et les avoir transmis à la presse, notamment à des journaux comme The Guardian, le Washington Post, Der Spiegel, et plus tard au New York Times. Depuis les premières révélations sur le programme Prism en juin 2013, les informations se sont enchainées et ont montré à quel point la NSA notamment disposait d’un puissant maillage permettant de retrouver rapidement des informations sur des suspects et sur leur entourage.
Interrogé dans le cadre d’une conférence organisée par Amnesty International à Paris, Snowden réalisait hier sa première intervention en France. Il a commencé par rassurer l’assistance sur sa propre sécurité : il mène une vie presque normale, ne rencontre pas de difficultés particulières, se sert du métro à Moscou. Il souligne quelques différences notables par rapport à sa vie précédente, notamment au niveau des habitudes, de la militance et surtout de la quantité de travail qu’il abat désormais puisque la grande majorité de ses journées sont consacrées à ses projets et la sécurité au sein des standards utilisés pour Internet.
Une évolution de la conscience collective
À la question de savoir ce qui a pu changer dans le monde du renseignement américain depuis ses premières révélations, il a ensuite répondu : « D’après ce que j’ai vu, la conscience du public a profondément changé dans le monde, dans tous les pays, c’est très significatif. Parce que je ne voulais pas changer le monde, ni la politique de mon gouvernement, je voulais simplement que nous soyons dans une démocratie représentative et que les gens que nous élisons représentent le peuple, pas une classe particulière. Ils le font sur la base de nos votes, de certaines valeurs. Et quand des programmes ont commencé à fonctionner de plus en plus dans le secret absolu, on a commencé à avoir ce divorce entre nous et les opérations. On était écartés de la compréhension-même de notre société ».
C’est ici que réside selon lui le cœur du problème. « Quand on en arrive à la démocratie, le gouvernement est fondé sur l’idée d’un consentement des gens qui l’ont élu. Ce sont des gens qui sont censés diriger les opérations. Mais si nous ne comprenons plus ces programmes et les décisions et que le gouvernement les fait sans notre consentement, nous ne sommes plus des citoyens mais des sujets, et le public doit donc savoir ce qui se passe ».
Pour appuyer cette prise de conscience collective, il revient sur une étude publiée au Canada, et dans laquelle on peut voir qu’un tiers de la population a entendu parler de ces révélations. Sur cette partie de la population, 40 % indiquent avoir pris des mesures pour « rendre leur vie plus sûre ». Il estime donc qu’actuellement, des millions de personnes ont agi pour « se sentir mieux protégées dans leurs communications ».
Sacrifier toute vie privée au profit de la sécurité ?
Snowden se décrit lui-même comme satisfait de voir l’évolution de la situation, « car rien ne peut changer en un seul mois ». Il relève ainsi des signes montrant cette évolution, notamment au sein des tribunaux. La Cour suprême américaine s’interroge ainsi sur le bien fondé de ces programmes et sur le critère essentiel de la « proportionnalité » de ces plans de défense. D’autant que « chaque fois que ces programmes ont été révisés, on a pu voir que cela n’avait jamais empêché une attaque terroriste ». Il pose donc la question : « Veut-on sacrifier toute notre vie privée au profit de la sécurité, sans aucun rapport sur la manière dont tous ces programmes sont menés ? »
Par ailleurs, ces programmes peuvent trop facilement être détournés de leur but premier. Il indique par exemple avoir vu comment cette surveillance peut être utilisée pour espionner une personne et la discréditer publiquement, via par exemple sa fréquentation de sites pornographiques. « Et lorsqu’on change le fonctionnement des agences de renseignement, sans aucune transparence, on aboutit à des situations où des individus innocents ont été traités de façon horrible ».
Prévenir le public, la clé du succès
Pour Snowden, la clé se situe dans le fait d’avertir la population pour qu’elle prenne conscience de ce qui est fait dans l’ombre. Il trace d’ailleurs un parallèle avec le récent rapport accablant du Sénat américain sur les méthodes de torture « renforcées » utilisées par la CIA sur une centaine de prisonniers au lendemain du 11 septembre : « La raison pour laquelle ce programme avait continué n’était pas parce que des officiers de la CIA ne savaient pas que c’était mauvais – ils savaient que c’était mal – mais parce que le public n’était pas au courant. Le programme ne s’est pas arrêté lorsque des protestations ont eu lieu en interne à la CIA, mais lorsque les journaux ont révélé au public ce qui a été fait, sans sa connaissance ».
Enfin, interrogé sur la situation française, Snowden a répondu qu’il n’avait « pas accès à des informations secrètes ». Il précise : « J’ai détruit toutes mes informations, à part celles qui ont été données aux journalistes. Donc je ne peux pas vous donner de scoop, c’est le rôle de la presse, pas le mien ». Il indique cependant que la « surveillance de masse se produit dans tous les pays qui ont les moyens d’avoir des agences de renseignement ». Et d’ajouter que Le Monde avait révélé qu’Orange fournissait des informations à la DGSE. La question est à nouveau posée : « Même si l’on obtient des informations dans un cas précis, cela justifie-t-il que l’on viole les droits d’une population entière ? C’est une question sérieuse à laquelle on n’a pas répondu en France. »
Pour Snowden, la conclusion est qu’il est nécessaire aujourd’hui de mettre en place des normes internationales en matière de surveillance. Actuellement, lorsque l’on découvre qu’un pays s’en est pris à un autre via l’espionnage de ses télécommunications, il n’existe en effet aucun recourt légal : tout est géré par la diplomatie. Il est donc temps selon lui que la société civile récupère la gestion de ces affaires.