La secrétaire d’État au Numérique vient de rejeter la proposition portée par plusieurs députés de la majorité, qui souhaitaient que les sites Web apposent sur chacune de leurs pages des logos de type « -12 » ou « -18 », et ce au nom de la protection du jeune public. Selon Axelle Lemaire, une telle mesure serait à la fois inappropriée et bien trop difficile à mettre en œuvre.
En mai dernier, le député socialiste Daniel Goldberg a transmis une question écrite à la secrétaire d’État au Numérique, Axelle Lemaire, afin de l’inviter à prendre davantage de mesures pour protéger le surf des enfants sur Internet. « Il n'est pas rare que lors de ses recherches, le jeune public soit confronté à des sites inappropriés » s’alarmait ainsi l’élu, en référence probablement aux contenus violents et pornographiques qu’il est parfois facile de trouver sur le Net.
Le parlementaire brandissait alors trois propositions :
- Mise en place d'une signalétique identique à celle qui prévaut pour la diffusion de films, avec des logos de type -3, -7, -10, -12, -16, -18. « Cette signalétique devrait être immédiatement visible sur chaque page de chaque site » ambitionnait Daniel Goldberg.
- Création d’extensions « .enf » et « .ado » pour les sites destinés aux enfants et aux adolescents, lesquels devraient « répondre à des critères de protection de ces publics ».
- « Inciter les fournisseurs d'accès à organiser des campagnes annuelles de sensibilisation aux dangers de l'internet ».
Les suggestions de l’élu, rapidement reprises par plusieurs députés de la majorité, viennent d’obtenir leur réponse de Bercy. Mais si la secrétaire d’État au Numérique a pris les pincettes de rigueur, c’est malgré tout une belle fin de non-recevoir qui a été adressée à ces propositions... « Les mesures préconisées (...) paraissent de prime abord séduisantes, mais leur mise en oeuvre et leur efficacité ne vont pas de soi » affirme ainsi tout de go Axelle Lemaire, avant de détailler son argumentation point par point.
Une signalétique inadéquate et très difficile à mettre en place
L’instauration de logos « -12 » ou « -18 » sur « chaque page de chaque site » a fait l'objet selon la secrétaire d’État au Numérique « de très nombreuses tentatives depuis la fin des années 90, en buttant toujours sur les mêmes écueils ». Ces écueils ? La locataire de Bercy déroule :
« Si la signalétique est réalisée par les propriétaires des sites eux-mêmes, dans le cadre d'une auto-régulation, il est alors à craindre que la majorité des sites se dispensent de la mettre en place, les sites étrangers en premier lieu, et que des sites commerciaux ayant les enfants pour cible (jeux et jouets, livres, DVD, confiseries...) utilisent la signalétique comme outil d'appel.
Si la signalétique devait être imposée, même la loi serait sans portée sur les sites les plus nombreux hébergés hors de France.
En admettant même que le principe de l'instauration d'une telle signalétique soit acquis, la détermination des critères d'âge et de pertinence est à peu près insoluble : ainsi, le Forum des droits sur internet avait du renoncer en 2009 à établir de tels critères, faute d'accord entre les participants au groupe de travail. De même, la tentative du gouvernement allemand de gérer un portail de sites pour enfants avait été sévèrement critiquée par les associations familiales, considérant que les pouvoirs publics n'avaient pas à faire la promotion de marques comme Disney ou Barbie... »
Bref, cette proposition s’avère à la fois très complexe – sinon impossible – à mettre en place d’un point de vue juridique, mais également pratique (beaucoup de sites étrangers, difficultés pour déterminer la classe d’âge autorisée à consulter chaque site...). Axelle Lemaire enfonce le clou en soulignant ensuite que « les pouvoirs publics sortiraient de leur rôle en étant prescripteurs de recommandations en matière de sites pertinents pour les enfants ». Aux yeux de la secrétaire d’État, les autorités s'exposeraient ainsi « à d'innombrables critiques justifiées ».
Les extensions « .enf » et « .ado » n’emballent pas davantage Axelle Lemaire
Quant à la proposition consistant à identifier les sites pour enfants via des extensions dédiées de type « .enf » ou « .ado », celle-ci « se heurte aux mêmes difficultés » selon la locataire de Bercy. « Qui attribuerait l'extension et sur quels critères ? Aucune autorité indépendante ne saurait imposer ses propres choix, aussi argumentés soient-ils, sans être aussitôt récusée par ceux qui auraient une perception différente de ce qui convient aux enfants... » fait-elle valoir.
Reste enfin l’idée de faire organiser par les FAI « des campagnes annuelles de sensibilisation aux dangers de l'internet ». Cette fois, Axelle Lemaire explique que cette piste est déjà suivie, puisqu’un « Safer Internet Day » a lieu tous les ans, en principe au mois de février, via le programme national « Internet sans crainte » (voir ici). Et ce avec la participation de plusieurs acteurs du numérique, de la fédération française des télécoms à certaines entreprises telles que Facebook.
« La protection des mineurs sur Internet passe par la vigilance et l'accompagnement par les parents et les éducateurs, retient la secrétaire d’État au Numérique en guise de conclusion. C'est l'esprit du B2i (en place depuis 2000, et non 2012) et la vocation du dispositif « Internet sans crainte », initié et suivi par la délégation aux usages de l'internet (DUI) depuis 2005, dans le cadre du programme européen « Safer Internet », qui propose des ressources et des conseils aux enfants, aux parents et aux éducateurs pour une navigation sur internet responsable et en confiance. »
La meilleure protection des jeunes ? La maîtrise de l’informatique et du code
Au travers d’une réponse à une question écrite portant sur le même sujet, Axelle Lemaire a ajouté qu’elle considérait que « la meilleure protection consiste à maîtriser les outils matériels et logiciels utilisés quotidiennement par les jeunes. C'est dans cet esprit que le ministère soutient, en partenariat avec le ministère de l'Éducation nationale, l'apprentissage de l'informatique (le « code ») en périscolaire dès le primaire ainsi qu'au collège, afin de permettre aux enfants de programmer les services qu'ils utilisent et, ainsi, mieux les maîtriser. »
À noter qu’un avant-projet de loi préparé par le ministère de la Culture confie au Conseil supérieur de l’audiovisuel les clefs des logiciels de contrôle parental que doivent obligatoirement proposer les FAI français à leurs clients. Ces dispositions pourraient ressurgir via le texte que présentera Fleur Pellerin au premier trimestre 2015.
Rappelons enfin que depuis la fin 2013, le Royaume-Uni impose à ses fournisseurs d’accès à Internet le déploiement systématique d’un filtre parental « anti-porno », qui ne peut être désactivé que sur demande expresse des abonnés. Sauf que ce dispositif subit lui aussi de nombreux écueils, à commencer par le blocage injustifié de nombreux sites « tous publics », tels que le site d’information TorrentFreak, des pages officielles de distribution Linux... (voir notre article).