Mardi, Vladimir Poutine a signé la loi 187-FZ contre le piratage des œuvres culturelles, dite SOPA russe. Le dispositif final qui entrera en vigueur le 1er mai 2015 est plus que musclé puisque dès lors qu’un tribunal aura décidé du blocage d’un site internet, la mesure ne pourrait plus être levée.
Selon le Moscow Times, le texte initial (PDF, en anglais) avait été taillé au profit des œuvres audiovisuelles, mais des amendements approuvés par Poutine l’ont étendu à l’ensemble des droits de propriété intellectuelle (livre, musique et logiciel). « La seule exception restante est celle des photographes » tempèrent nos confrères russes. La loi oblige également les éditeurs de sites à révéler leur identité et leur adresse postale.
Menace sur la totalité des sites web
L'éditeur du moteur russe Yandex, cité par RuBlackList.net et l’agence de presse Tass, dénonce avant tout le mécanisme de blocage permanent mis en place par cette loi. Comme assuré par le Moscow Times, il sera activable dès lors que deux violations des droits de propriété intellectuelle signalées par les ayants droit auront été constatées par la justice. Et une fois décidé, il ne pourrait plus être levé. Une mesure certes curieuse, mais qui pourrait s'expliquer par l'absence de porte de sortie visant à mettre à jour la décision initiale de blocage.
Le Comité consultatif sur l’application des droits au sein de l'OMPI (organisation mondiale de la propriété intellectuelle) avait décrit dans ce document l’une des étapes de ces mesures : « une fois le jugement du tribunal prononcé et ordonnant l’application de mesures de protection provisoires, le titulaire desdits droits peut alors s’adresser à l’autorité exécutive fédérale chargée du contrôle et de la surveillance des médias de masse, des communications de masse, des technologies de l’information et des télécommunications (ci après dénommé “Roskomnadzor”) et requérir l’application de mesures pour restreindre l’accès aux ressources qui diffusent ainsi lesdits films ou lesdites informations ».
Même les plus grands sites sont menacés
« Presque n’importe quel site, y compris les plus grands, peut être bloqué » regrette aujourd'hui Yandex puisque nombreuses sont les voix à critiquer cette SOPA russe, ainsi baptisée en écho au Stop Online Piracy Act porté outre-Atlantique en 2011. Les craintes se focalisent sur les effets de bords, spécialement sur la liberté d’expression. Ces règles pourraient par exemple impacter Twitter, dès lors que se propagent des liens vers des contenus culturels non autorisés. C’est du moins l’anticipation faite par Stanislav Kozlovsky, coprésident de l'Association des utilisateurs d'Internet (IAP), également directeur exécutif de Wikimedia Russie. Sargis Darbinyan, avocat du Parti Pirate russe juge quant à lui que « seul un fou pourrait croire que ces interdictions, restrictions et censures vont améliorer les ventes des contenus culturels. »
Une pétition lancée sur Roi.ru contre cette loi a déjà récolté plus de 100 000 signatures. « Nous pensons que cette loi est dirigée non pas tant contre la propagation des contenus illégaux, mais contre le développement de l'Internet en Russie. Elle vise à nuire et détruire les intérêts de cette nouvelle industrie et du public ». Le texte en soutien de cet appel à signatures esquisse notamment un scénario pas si inconcevable : une entreprise place plusieurs liens contrefaisants sur le site d'un concurrent pour espérer ensuite son éviction des écrans.
La législation russe, objet des attentions américaines
La Russie avait cependant été épinglée par le dernier rapport spécial 301 (PDF) signé de l’Office of the U.S. Trade Representative (USTR), agence gouvernementale chargée de conseiller le président des États Unis sur les questions liées au commerce. Celui-ci avait classé ce pays dans sa « priority watch list » arguant que « la Russie reste le foyer de nombreux sites facilitant le piratage, lequel porte atteinte au marché des contenus légitimes aussi bien en Russie que dans les pays tiers. »