Quatre entreprises françaises chargées d’effectuer des interceptions de communications pour le ministère de la Justice ont annoncé qu’elles refuseraient à partir d’aujourd’hui d’ouvrir de nouvelles écoutes. En réaction, la Place Vendôme nous a indiqué qu’elle avait demandé à tous les Parquets d’engager « systématiquement » des poursuites.
La PNIJ, la fameuse « plateforme nationale des interceptions judiciaires », peine encore et toujours à pointer le bout de son nez (ou de ses oreilles, c’est selon...). En effet, cet énorme dispositif confié au géant Thalès afin de centraliser les procédures d’écoutes de communications électroniques n’est toujours pas opérationnel, alors que ce devrait être le cas depuis le mois d’avril. C’est justement ce retard qui est aujourd’hui mis à profit par quatre sociétés privées actuellement en charge de traiter les différentes procédures de géolocalisation ou de surveillance ordonnées par le Parquet ou les juges.
Les deux parties engagées dans un bras de fer
Elektron, Foretec, Midi System et SGME veulent en effet que leur client, le ministère de la Justice, sécurise davantage leur situation d’ici à ce que la PNIJ prenne (enfin) le relais. Après des mois de discussion avec la Place Vendôme, ces quatre PME ont fait savoir à l’AFP qu’elles n’ouvriraient plus de nouvelles écoutes à partir d’aujourd’hui. Autrement dit, toutes les opérations de surveillance ne devraient pas être concernées, seulement celles n’ayant pas formellement débuté. Michel Besnier, PDG d'Elektron, a expliqué qu’il espérait obtenir un contrat prévoyant « une poursuite de [son] activité pendant une durée de trente mois, afin de pouvoir financer et amortir les investissements [qu’il avait à] réaliser ».
Mais quel va être l’impact de cette sorte de « grève des écoutes » ? Olivier Janson, secrétaire national de l'Union syndicale des magistrats, s’est montré plutôt inquiet auprès de France Inter : « Pour des affaires concernant la criminalité organisée et les trafics de stupéfiants, les enquêteurs ont impérativement besoin de pouvoir s'appuyer sur des interceptions téléphoniques. Il y a donc un risque que ces enquêtes n'avancent pas. Et cela n'est pas admissible. Le ministère n'a fourni aucune explication sur le retard de la mise en place de la plateforme nationale. Il y a beaucoup de silences sur la gestion de ce dossier » a déploré le vice-procureur au tribunal de Bayonne.
Les sociétés « grévistes » menacées de 750 euros d'amende par réquisition refusée
Contacté, le ministère de la Justice temporise en affirmant que l’État conserve malgré tout « les moyens nécessaires » pour poursuivre ses écoutes, puisqu’il dispose d’autres prestataires qui ne traînent pas les pieds de cette manière. L'exécutif a toutefois du mal à cacher son agacement face à l'offensive médiatique des quatre PME, soulignant que les parties se sont « régulièrement rencontrées » au cours des derniers mois.
La Place Vendôme a de ce fait pleinement accepté le bras de fer lancé par les plaignants. Un porte-parole nous a ainsi indiqué que « tous les Parquets » allaient recevoir aujourd'hui une dépêche les invitant à « poursuivre systématiquement » les sociétés qui refuseraient de répondre aux réquisitions de la justice.
L'exécutif se base notamment sur l'article R642-1 du Code pénal, qui punit d'une contravention de deuxième classe « le fait, sans motif légitime, de refuser ou de négliger de répondre (...) à une réquisition émanant d'un magistrat ou d'une autorité de police judiciaire agissant dans l'exercice de ses fonctions ». Le montant de l'amende étant multiplié par cinq pour les personnes morales, le ministère de la Justice affirme que les sociétés « grévistes » pourraient écoper d'une amende de 750 euros par réquisition refusée, ce qui pourrait rapidement chiffrer...
Tout ce psychodrame n'est quoi qu'il en soit que l'une des pièces d'un plus vaste mouvement de contestation, puisque l'attribution de la PNIJ à Thalès fait actuellement l'objet d'un recours au niveau européen, expliquent notamment Les Échos.