L’Assemblée nationale a rejeté hier l’amendement d’Isabelle Attard visant à instaurer dans notre droit une définition positive du domaine public. Celle-ci espère maintenant que sa proposition sera reprise dans le futur projet de loi sur la création, en préparation Rue de Valois.
À l’occasion des débats sur le projet de loi transposant diverses directives en matière de droit d’auteur, la députée avait déposé un amendement afin d’inclure dans le Code de la propriété intellectuelle une définition positive du domaine public. Selon ce principe, « les créations appartiennent en principe au domaine public, à l’exception des œuvres de l’esprit ». Par défaut, également, toutes les créations ne portant pas l’empreinte de la personnalité de son auteur auraient appartenu à ce domaine commun. Le texte programmait également d’y élever immédiatement les œuvres créées par les fonctionnaires.
Protéger le domaine public, lutter contre les copyfrauds
Pour l'élue Nouvelle Donne (apparentée Écolo), pas de doute : l’enjeu d’une telle définition positive est de lutter contre les pratiques de copyfraud, qu’elle définit comme les « revendications abusives de droits sur les œuvres du domaine public »
Hier, en séance, le rapporteur a cependant jugé que cet amendement allait remettre en cause un certain nombre de principes fondamentaux tenant au respect du droit de propriété des auteurs. Fleur Pellerin a qualifié ce débat de « philosophiquement extrêmement intéressant » tout en le giflant d’un avis défavorable compte tenu des questions « juridiquement importantes » qu’il soulève. Elle a spécialement dénoncé le fait de faire entrer directement dans le domaine public les œuvres créées par les agents publics, une mesure qui serait en délicatesse avec les engagements internationaux de la France.
« Le droit d’auteur n’est pas destiné à rémunérer ad vitam aeternam les descendants, les petits enfants, arrières petits-enfants et arrières arrières petits-enfants des auteurs et créateurs, a rétorqué Isabelle Attard. Il a été créé dans le but de permettre à l’auteur de vivre de son travail et de ses créations. Quelles limites fixons-nous à cette rémunération ? »
Tintin et Disney
Sur sa lancée, elle a égratigné les ayants droit de Tintin « qui utilisent toutes les ficelles de l’arsenal juridique pour essayer de faire durer cette période où ils se comportent comme de vrais rentiers par rapport à l’œuvre d’Hergé. Ils n’ont rien à voir avec l’auteur, ils ne l’ont jamais connu, et pourtant, aujourd’hui, ils essayent de vivre [de son] travail. Il ne s’agit plus d’une rémunération d’un auteur pour ce qu’il a fait, il s’agit là d’un abus complet d’un système en essayant d’allonger, d’allonger, et d’allonger encore ce droit d’auteur. »
Plus globalement, jusqu’où pouvons-nous aller en termes d’allongement de la durée de protection ? « Nous sommes à 70 ans aujourd’hui. Peut-être que demain, les descendants de Disney nous imposeront via TAFTA et autres accords (internationaux, NDLR) d’aller jusqu’à 100 ans (…) pour rémunérer les arrières arrières petits-enfants. Je ne suis pas d’accord avec ce principe. Il faut revenir aux fondamentaux tels que les avait définis Victor Hugo en 1878, faire en sorte que les auteurs puissent vivre de leurs œuvres et qu’ensuite elles s’élèvent et, non pas tombent, dans le domaine public et que la création française et internationale puisse créer à nouveau sans avoir à négocier un bout de gras avec de soi-disant ayants droit qui n’ont jamais connu l’auteur. »
Un sujet pourtant en chantier au ministère
Son amendement a malgré tout été rejeté. Notons que le thème de la définition positive du domaine public était en chantier au ministère de la Culture, comme l’avait indiqué Aurélie Filippetti en avril dernier. Le sujet semble donc désormais délaissé par Fleur Pellerin. « J’espère que vous reprendrez ce sujet important dans le futur projet de loi Création » a malgré tout insisté Isabelle Attard.