Comme on pouvait s'y attendre, les ayants droit parties civiles ont interjeté appel du jugement rendu la semaine dernière dans le cadre de l'affaire UndeadLink. Un nouveau procès devrait donc se tenir dans les prochains mois, afin de déterminer notamment le montant des dommages et intérêts que devront payer les deux responsables du site.
Vendredi 14 novembre, le tribunal de grande instance de Bourg-en-Bresse a quasiment divisé par cinquante les prétentions des ayants droit dans le volet civil de l’affaire « Undeadlink ». 65 000 euros d’indemnités ont ainsi été allouées aux parties civiles, alors que celles-ci réclamaient plus de 2,8 millions d’euros en compensation des téléchargements illicites permis par ce site. Après avoir pu consulter cette décision, Next INpact revient plus en détail sur ce verdict.
Avec UndeadLink, Raphaël X et Maxime Y affirmaient avoir résolu un problème bien connu des adeptes du téléchargement direct : les liens morts. Les hébergeurs de fichiers, à l’image de RapidGator, UploadHero ou MEGA sont en effet tenus de retirer promptement les contenus qui leur sont signalés comme étant illicites par des ayants droit (films, séries, musiques, ebooks...). Un lien mort signifie surtout que le « pirate » qui souhaite se procurer le dernier blockbuster à la mode se trouve confronté à un message d’erreur, et doit partir à la recherche d’un autre lien ou attendre que son fichier soit à nouveau uploadé puis partagé par un tiers.
Les deux compères avaient ainsi mis au point un logiciel qui permettait de faire face à ce problème. Cette solution fut accessible entre novembre 2010 et janvier 2012 via leur site UndeadLink (« lien ressuscité » en anglais). « À chaque suppression de lien, on remplace le premier lien par le lien généré à l’ajout, et on planifie une tâche de renvoi pour avoir un autre lien de rechange, et ainsi de suite » expliquait fièrement Raphaël X au Journal du Pirate, début 2011.
Le tout fonctionnait tellement bien à en croire maître Christian Soulié, l’un des avocats des victimes, que l’intéressé avait qualifié UndeadLink de « phénix de la contrefaçon ».
Déjà six mois de prison et 5 000 euros d’amende avec sursis sur le volet pénal
Traînés devant la justice, Raphaël X et Maxime Y ont été reconnus coupables d’actes de contrefaçon, notamment par reproduction, en avril 2013. Le tribunal correctionnel de Bourg-en-Bresse a estimé que les deux compères devaient être sanctionnés pour avoir proposé via leur site un « logiciel manifestement destiné à la mise à disposition du public non autorisée d'œuvres ou d'objets protégés ». Les prévenus, alors âgés d’une vingtaine d’années, ont ainsi écopé de six mois de prison avec sursis et de 5 000 euros d'amende chacun, toujours avec sursis.
Les victimes réclamaient plus de 2 millions d’euros de dommages et intérêts
Quelques mois plus tard, s’ouvrait le volet civil de cette affaire, dont l’objectif était de fixer le montant des dommages et intérêts à verser aux ayants droit s’étant portés parties civiles dans ce procès : la SACEM, la SDRM, les producteurs de la SCPP, la Fédération nationale des distributeurs de films, le Syndicat de l’édition vidéo numérique, ainsi que de célèbres studios américains (Disney, Paramount Pictures, Universal, Warner Bros...). Au total, ces victimes réclamaient 2 838 019,20 euros au titre de leurs préjudices moraux et matériels, ainsi que pour leurs frais de justice.
Habituellement, les ayants droit évaluent leur préjudice selon une méthode en trois étapes. Premièrement, ils se basent sur un nombre de « téléchargements », constatés bien souvent par procès-verbal. Deuxièmement, ils déterminent un manque à gagner par œuvre téléchargée (5 euros par film par exemple). Troisièmement, ils multiplient ce manque à gagner par œuvre avec le nombre de téléchargements retenus. Seul 10 % du total ainsi obtenu est conservé, ce qui donne l’estimation du préjudice.
Problème : il était difficile de parler ici de « téléchargements » dans la mesure où UndeadLink se contentait de proposer des liens, parfois multiples, pour les œuvres répertoriées. De plus, le site ayant précipitamment fermé ses portes suite à l’arrestation de ses deux responsables, les ayants droit ont été contraints de réaliser certaines estimations à partir de simples chiffres de fréquentation, ce qui n’est pas vraiment très représentatif du nombre réel de téléchargements... En l’occurrence, le chiffre de 80 millions de visiteurs avait été avancé par Maxime Y.
La défense demandait de ce fait à ce que les dommages et intérêts soient fixés par le juge non pas en considération des « conséquences économiques négatives, dont le manque à gagner, subies par la partie lésée », mais d’après « les bénéfices réalisés par l'auteur de l'atteinte aux droits et le préjudice moral causé au titulaire de ces droits du fait de l'atteinte », comme le permet l’article L331-1-3 du Code de la propriété intellectuelle. En clair, il s’agissait de calculer l’addition en prenant en compte les gains engrangés par les administrateurs d’UndeadLink, et non pas en fonction de l’éventuel manque à gagner des ayants droit.
Le juge a déterminé les dommages et intérêts à partir des bénéfices d’UndeadLink
C’est d’ailleurs la piste qu’a suivi le tribunal de grande instance de Bourg-en-Bresse, puisque celui-ci a considéré vendredi dernier que « le préjudice économique de chacune des parties civiles ne [pouvait] pas se confondre avec le nombre de téléchargement effectifs réalisés sur le site litigieux dans la mesure où les téléchargements étaient gratuits et qu’on peut estimer que la plupart des utilisateurs n’auraient de toute manière pas acheté ou loué le produit ». Sans évoquer les éventuelles difficultés à estimer dans cette affaire le nombre de téléchargements réels, le juge a divisé par cinquante les prétentions de la plupart des parties, s’appuyant sur les 24 473,54 euros qu’auraient perçu en tout Raphaël X et Maxime Y (sur une période de six mois).
Les deux administrateurs d’UndeadLink ont finalement été condamnés à verser solidairement un total de 65 000 euros d’indemnités diverses aux victimes. Dans le détail :
- La SACEM et la SDRM ont toutes les deux obtenues 1 400 euros pour leur préjudice matériel, plus 500 euros pour leur préjudice moral, ainsi que 700 euros de frais de justice.
- La SCPP a obtenu 4 000 euros au titre du préjudice matériel, plus 1 000 euros pour le préjudice moral, ainsi que 1 000 euros de frais de justice.
- Le SVEN a obtenu 1 200 euros au titre du préjudice matériel plus 500 euros de frais de justice.
- La FNDF a obtenu 800 euros au titre du préjudice matériel plus 500 euros de frais de justice.
- Columbia Pictures a obtenu 3 000 euros au titre du préjudice matériel plus 500 euros de frais de justice.
- Disney a obtenu 1 300 euros au titre du préjudice matériel plus 500 euros de frais de justice.
- Paramount Pictures a obtenu 9 500 euros au titre du préjudice matériel plus 500 euros de frais de justice.
- Twentieth Century Fox a obtenu 12 000 euros au titre du préjudice matériel plus 500 euros de frais de justice.
- Universal a obtenu 12 000 euros au titre du préjudice matériel plus 500 euros de frais de justice.
- Warner Bros a obtenu 10 000 euros au titre du préjudice matériel plus 500 euros de frais de justice.
Vers un procès d’appel ?
Alors que de récentes affaires similaires se sont traduites par des montants vertigineux de dommages et intérêts pour les parties civiles (à l’image des 1,17 million d’euros alloués suite à la condamnation, l’année dernière, de l'administrateur du site de liens « Forum-DDL »), cette décision fait figure de camouflet pour les ayants droit qui voyaient en ce site un « phénix de la contrefaçon » - selon les termes de leur avocat.
Contactée, l’avocate de Raphaël X nous a expliqué qu’elle et son client étaient satisfaits du verdict du tribunal de grande instance. « Mon client renonce à interjeter appel ayant bien compris que le juge a établi un chiffrage juste et en correspondance avec le préjudice et l'évaluation que la loi commande d'en faire » nous a-t-elle indiqué, ajoutant que cette décision permettait également « de démontrer aux différents syndicats qu'il n'est pas toujours souhaitable de vouloir "à tout prix" faire de l'exemplarité pour dissuader et protéger l'œuvre et son auteur ».
Du côté des parties civiles, aucune n’a pour l’instant manifesté son intention de faire appel. La SACEM nous a simplement indiqué ne pas avoir de commentaires à faire concernant cette décision, tandis que la SCPP affirme qu’aucune décision n’a été prise « pour le moment ». L’éventualité d’un recours reste donc possible.
En attendant, insistons sur le fait que si ces faits s’étaient déroulés aujourd’hui, le montant des dommages et intérêts aurait pu être bien différent. En effet, la loi sur la contrefaçon du 11 mars 2014 a modifié l’article du Code de la propriété intellectuelle qui encadre la fixation par le juge des dommages et intérêts pour les actes de contrefaçon. Désormais, les juridictions doivent prendre « distinctement » en considération :
- Les conséquences économiques négatives de l'atteinte aux droits, dont le manque à gagner et la perte subis par la partie lésée ;
- Le préjudice moral causé à cette dernière ;
- Et les bénéfices réalisés par l'auteur de l'atteinte aux droits, y compris les économies d'investissements intellectuels, matériels et promotionnels que celui-ci a retirées de l'atteinte aux droits.