À l’occasion de l'examen à l’Assemblée nationale du projet de loi transposant plusieurs directives, dont celles sur les œuvres orphelines, la députée Isabelle Attard a tenté de supprimer plusieurs prorogations de la durée de protection des droits d’auteur. En commission des affaires culturelles, son initiative a cependant été repoussée.
La durée de protection des droits patrimoniaux est aujourd’hui fixée à 70 ans après le décès de l'auteur. Cependant les œuvres anciennes profitent de deux autres délais supplémentaires. Ce sont les prorogations de guerre (article L. 123-8, L. 123-9) et celles au bénéfice des auteurs morts pour la France (article L. 123-10). « Les prorogations de guerre sont des mesures prises à la suite des guerres de 14-18 et 39-45 en faveur des héritiers et de leurs ayants cause afin de compenser le manque à gagner dû aux difficultés d'exploitation des œuvres liées aux périodes de guerre » explique ainsi la SACEM sur une page dédiée à ces questions calendaires. Par ces biais, via des calculs parfois complexes, les délais de protection peuvent du coup être étendus de 6 à 8 ans (prorogations de guerre) voire 30 ans de plus pour les auteurs morts pour la France.
Saint-Exupéry et le Boléro de Ravel
Ce matin, en commission des affaires culturelles, Isabelle Attard a pris l'exemple de Saint-Exupéry : « dès le 1er janvier 2015, le reste du monde pourra créer et adapter ses œuvres. Nous, on devra attendre 2032 » puisque l’auteur profite de ces diverses prorogations. À l’occasion de l’examen du projet de loi transposant plusieurs directives, dont celle sur l’allongement de la durée de protection de certains droits voisins, la députée Nouvelle Donne (apparentée écologiste) a donc déposé deux amendements. L'enjeu ? Faire sauter ces prorogations qui sont autant de report avant l’élévation dans le domaine public, dans les mains des sociétés de gestion collective.
Ainsi, l’allongement de 30 ans au profit des auteurs morts pour la France est jugé par la parlementaire comme « une manière inadaptée de [leur] rendre hommage ». Et pour cause : « ce mécanisme contribue en effet à restreindre la diffusion de leurs œuvres et nuit à leur rayonnement » (amendement 7)
Même salve de critiques contre les prorogations de guerre (amendement 6) : « la Cour de cassation en 2007, dans ses arrêts Monet et Boldoni, a déjà estimé que les prorogations de guerre étaient caduques du fait de l'intervention de la directive, mais elles subsistent encore dans le secteur de la musique, pour lequel la durée des droits avait déjà été allongée en 1985 par la loi Lang ». Cette fois la députée dénonce un mécanisme d'une « complexité préjudiciable, alors que les œuvres concernées ont déjà été aujourd'hui largement rentabilisées. L'abrogation définitive des prorogations de guerre aura pour effet de contribuer à l'harmonisation du cadre juridique de la création en Europe. Par ailleurs, il aura pour effet de faire entrer dans le domaine public des œuvres majeures comme le Boléro de Ravel ».
Un sujet repoussé lors des débats en séance
Seulement, ces deux amendements ont été poliment repoussés en Commission des affaires culturelles. Le rapporteur Hervé Feron a considéré en substance que le sujet du débat - la transposition des directives - ne se prêtait pas à de telles initiatives. Celles-ci avaient pourtant plus la robe d’un poney législatif que celle d’un vrai gros cavalier… Sans doute n’ayant pas voulu prendre la responsabilité d’inclure ces sujets à ce stade, il a invité la députée à relancer ces questions en séance avec la ministre de la Culture. Au vu de ces réactions, des contacts devraient être pris très prochainement avec Fleur Pellerin en préparation de ces débats fixés au 20 novembre.