« C’est du lourd ! » a commenté le député Patrick Bloche (PS), président de la Commission des affaires culturelles, à la lecture de l’amendement d’Isabelle Attard. Cependant, Hervé Feron, rapporteur du texte, y a émis un avis défavorable : il s’est opposé à ouvrir ce débat dans le cadre de ce projet de loi : « Ce n’est clairement pas en lien direct avec la transposition qui est notre sujet d’aujourd’hui. Ça n’empêche que c’est un débat intéressant qu’il faudra avoir, mais pas dans le cadre de ce projet de loi ». Pour Isabelle Attard, au contraire, « il est dommage que l’intelligence collective contenue dans cette salle ne puisse pas être utilisée pour transformer un texte banal en un texte exceptionnel ». L’amendement 3 sera retiré par l'élue, faute de soutien.
À l’occasion des débats autour d’un projet de loi transposant plusieurs directives sur le droit d’auteur, la députée Isabelle Attard a déposé un amendement intéressant. Il vise à introduire une définition positive du domaine public dans le Code de la propriété intellectuelle.
En avril 2014, lors des dernières rencontres européennes de l’Adami, l’avocat Gilles Vercken avait souligné que le Code de la propriété intellectuelle ne comprenait aucune définition positive du domaine public. « Il est mentionné deux fois, mais uniquement pour les prorogations (des droits exclusifs, NDLR) pour cause de guerre » remarquait le juriste. Nous avions alors appris qu’Aurélie Filippetti voulait saisir l'occasion de sa future (et hypothétique) grande loi sur la Création pour définir positivement ce domaine public.
Depuis, le projet en question a eu du plomb dans l’aile. Reporté sans cesse, son agenda a de plus été perturbé par le changement de locataire Rue de Valois. Seulement, il reste en mémoire des députés.
Une définition positive pour mieux défendre le domaine public
En témoigne cet amendement déposé par Isabelle Attard (Nouvelle Donne, apparentée écologiste) dans le cadre du projet de loi sur la transposition de plusieurs directives touchant au droit d’auteur. Elle veut en effet profiter de cette occasion pour inscrire noir sur blanc dans le Code de la propriété intellectuelle une définition positive du domaine public.
D’entrée, elle pose que toutes « les créations appartiennent en principe au domaine public ». La seule exception serait celle des œuvres de l'esprit, exclues le temps de leur protection. La parlementaire définit alors une œuvre de l’esprit comme la « création originale portant l’empreinte de la personnalité de son auteur et bénéficiant d’une mise en forme ». Il suffit dès lors que l’un de ces critères ne soit pas vérifié pour que la création soit élevée dans le domaine public.
Dans le même sens, pose Isabelle Attard, les reproductions d’une œuvre de l’esprit (en deux dimensions) appartenant au domaine public appartiennent également au domaine public. Par cette « contamination » positive, la députée entend prévenir les cas de « copyfraud » puisqu’elle « garantit notamment que l'intégrité du domaine public ne soit pas atteinte à l'occasion des opérations de numérisation du patrimoine ». Toujours afin de muscler ce secteur, elle considère que les œuvres créées par les agents de l’État (ou d’une collectivité territoriale, d’un établissement public, d’une autorité administrative indépendante, etc.) doivent appartenir dès leur divulgation au domaine public.
Dans l’exposé de ses motifs, la députée juge en effet important « d'introduire dans la loi une définition positive du domaine public, afin de le consacrer, de le promouvoir et de le garantir contre les atteintes qu'il pourrait subir ». Autre exemple, l’amendement veut que « lorsqu’une œuvre appartient au domaine public, sa reproduction et sa représentation sont possibles sans restriction ». Enfin, la propriété reconnue à l’auteur d’une œuvre composite sera sans effet sur « l’appartenance éventuelle au domaine public des œuvres qui y sont incorporées. »
Des ayants droit militent pour une redevance sur le domaine public
Cette question est suivie de près par les ayants droit. Certains militent en effet pour rendre payant ce cher domaine public. Bruno Boutleux, président de l’Adami, avait par exemple rêvé à Metz d’instaurer un nouveau « cercle vertueux », à l’image de la copie privée, en y saupoudrant un soupçon de gestion collective. « C’est le propre de la gestion collective que d’incarner des cercles vertueux pour faire qu’à travers la mutualisation des ressources, on organise une forme de redistribution équitable des fruits des artistes interprètes. (…) Pourquoi le travail des artistes et des auteurs, à partir du moment où il bascule dans le domaine public, peut-il être ainsi livré aux marchands du temple ? »
Il est rejoint par Pascal Rogard, mais pour d’autres motifs. Le directeur général de la SACD milite pour une redevance sur le domaine public audiovisuel afin cette fois de financer la conservation, la numérisation et la mise à disposition des œuvres. « Une œuvre audiovisuelle dans le domaine public n’est pas comme un livre ou une pièce de théâtre. Si on veut la conserver pour les générations futures quelqu’un doit intervenir pour conserver, protéger et même restaurer. Et quand un éditeur veut diffuser ces œuvres, il devrait payer une redevance pour financer tous ces travaux » nous exposait-il en 2012.
Plus tôt encore, le rapport Zelnik soutenait lui aussi cette idée en 2010, sollicitant « l’instauration d’une redevance sur l’exploitation des films tombés dans le domaine public », une ponction considérée comme « le bon vecteur pour la création d’un tel fonds ». Et déjà en 2004, un rapport du Conseil économique et social partageait ce vœu (« Il devient équitable d’instaurer une perception de droits sur ce domaine public, qui, collectés de façon centralisée et collective, alimenteraient un fonds d’aide à la création nouvelle »).
Des opposants au domaine public payant
Dans le camp des opposants, Philippe Aigrain, l’un des cofondateurs de la Quadrature du Net, avait fraichement accueilli cette idée : « Déjà que le domaine public audiovisuel est fort étroit, mais en plus il faudra payer pour l’utiliser. Cela rapportera des clopinettes, mais créera des coûts de transaction dissuasifs. Comment peut-on ne pas voir que les véritables bénéfices sociaux et économiques du domaine public sont son existence et son usage mêmes (pour de nouvelles oeuvres, pour l’éducation et la formation, pour la critique et la recherche). »
Alexis Kauffmann, le créateur de Framasoft, ne disait pas autre chose à Metz : « Moi qui viens du monde de l’éducation, si on devait payer une dîme pour utiliser les grands auteurs, je ne m’en sortirais pas, les chercheurs non plus ! ». Et l’intéressé d’ajouter qu’« il existe d’autres moyens pour trouver de l’argent que de s’attaquer à ce pauvre domaine public ». Rémi Mathis, bibliothécaire, historien et président de l'association Wikimédia France jusqu’en 2014, abondait en son sens : « ce n’est pas en taxant le domaine public (…) qu’on trouvera des sous qui, par ailleurs, existent dans d’autres endroits, y compris chez ceux qui utilisent le droit d’auteur de manière extrêmement fructueuse ».
Les amendements en commission sont examinés aujourd'hui en Commission des affaires culturelles. Les débats en séance sont programmés le 20 novembre prochain.