L’université de Harvard a fait installer durant le printemps dernier des caméras dans une dizaine de salles de classes pour étudier leur fréquentation par les élèves et les professeurs. Problème, l’établissement n’a pas jugé bon d’en avertir les étudiants, pas plus que le corps enseignant.
Des caméras installées silencieusement dans des salles
Peter K. Bol, vice-président de l’Initiative for Learning and Teaching, a lancé durant le printemps dernier une expérience. L’université de Harvard se posait en effet une question : avec quelle intensité sont fréquentées les salles de classes ? Le célèbre établissement souhaitait notamment savoir si l’on pouvait observer des fluctuations dans les habitudes, tant du côté des étudiants que des professeurs. La réponse devait donc venir d’un réseau de caméras.
Mais l’ILT, pour que les résultats ne soient pas faussés, a installé lesdites caméras sans avertir qui que ce soit, en dehors de la direction. Pendant plusieurs mois, elles ont photographié la dizaine de salles de classes sous différents angles et les images ont ensuite été analysées. Objectif : étudier le remplissage des sièges afin d’obtenir une vue d’ensemble de la manière dont elles sont utilisées aujourd’hui.
Seulement voilà, la présentation des résultats la semaine dernière, même si elle a fourni des données intéressantes, s’est rapidement attiré les critiques. Une partie des étudiants a estimé que leur vie privée n’avait pas été respectée. Pour autant, les noms des élèves présents sur les photos n’ont pas été divulgués et l’université indique d’ailleurs que la totalité des clichés ont été détruits, le but n’étant pas de suivre les habitudes d’étudiants en particulier.
Critiques chez les étudiants et professeurs
Mais la gronde n’émane pas uniquement des élèves. Peter Burgard, professeur d’allemand, a en effet réagi : « Nous savons qu’il y a des centaines de caméras dans tout Harvard, et nous acceptons qu’elles soient là pour la protection, la sûreté et la sécurité. Mais l’idée que des photographies soient prises dans une classe sans en informer les étudiants, et encore moins le professeur, est quelque chose de très différent. C’est de la surveillance ».
Il est rejoint par Harry Lewis, professeur d’informatique à Harvard, qui a fait valoir son opinion au Boston Globe : « Vous ne devriez mener des études qu’avec l’accord des gens qui seront étudiés ». Sur son propre blog, il renchérit : « Ce n’est pas parce que la technologie peut être utilisée pour répondre à une question qu’elle devrait l’être. Et si vous observez des gens de manière électronique et que vous ne leurs dites pas avant, vous devriez au moins leur dire après ».
Son billet se terminait alors par une question, posée à l’attention de Peter K. Bol : pouvait-on être certain que l’ensemble des personnes ayant été photographiées allaient être averties de leur présence sur des photos, même si ces dernières avaient été détruites ?
Chaque élève sera informé individuellement
La réponse initiale du concerné ne répondait pas simplement oui ou non à ladite question. Peter K. Bol insistait en effet sur la manière sérieuse dont avait été menée l’étude et sur les résultats intéressants qu’elle comportait. Il terminait en indiquant qu’il était conscient de la gêne que la méthode avait pu engendrer et que des précautions seraient prises dorénavant, en rappelant au passage que les données étaient purement statistiques et donc anonymes. Harry Lewis a cependant indiqué en réaction qu’à l’issue d’une réunion, il avait bien été précisé que chaque étudiant serait informé individuellement.
Pour Bol, le problème ne se posait vraiment dans la mesure où l’étude avait été soumise à un comité chargé d’examiner l’ensemble des travaux de recherche, et dont la conclusion était simple : le sujet n'était pas l’être humain lui-même. Ce qui n’a pas empêché la directrice de l’établissement, Drew Faust, d’indiquer qu’elle prenait l’affaire « très au sérieux » et qu’elle serait portée devant un jury, déjà chargé de la mise en place et du maintien de la nouvelle politique sur les échanges électroniques.
Une méthode « incroyablement hypocrite »
L’étudiant Brett Biebelberg trouve justement la méthode de l’étude « incroyablement hypocrite » puisque ses résultats sont publiés peu après la mise en place d’un code d’honneur, demandant à chacun de respecter une véritable intégrité dans le travail. Il indique dans un email au Boston Globe : « [L’affaire] est particulièrement troublante puisque ces cas de surveillance se sont produits peu après que l’université a indiqué qu’elle renforçait le respect de la vie privée des étudiants et de l’équipe enseignante ».
Ce cas d’étude menée sans consentement particulier n’est pas sans rappeler les expériences sociales menées par Facebook, et qui avaient d’ailleurs attiré de nombreuses critiques. Ce type d’affaire pose la question de l’éthique dans ces recherches : peut-on pratiquer des recherches impliquant des personnes sans les avertir, même si les résultats sont purement statistiques ?