Faut-il ou non réformer la copie privée ? Depuis quelques semaines, nous faisons le tour des membres du collège des consommateurs pour sonder leurs revendications. Cette fois, c’est au tour de Familles de France, représentée par Michel Bonnet, de nous faire part de ses positions.
En crise ouverte depuis fin 2012, la Commission copie privée est aujourd’hui bien mal en point. Cinq des six industriels ont en effet quitté le navire, agacés des règles de gouvernance en son sein, et des modalités de calcul de cette redevance perçue sur l’ensemble des supports de stockage. Plusieurs syndicats et représentants des fabricants, importateurs et distributeurs sont allés voilà peu à la Rue de Valois et même à Matignon pour exposer les conditions de leur retour. Ils militent notamment pour un rééquilibrage des forces au sein de ce collège composé de 12 ayants droit, 6 consommateurs et 6 industriels. Ils aimeraient encore que la notion de préjudice soit clairement définie dans la loi et non plus déterminée à la louche selon l’appétit des ayants droit bénéficiaires.
Une gouvernance critiquée par la CLCV, Familles Rurales et l’UNAF
Du côté des consommateurs, les critiques se font également entendre. « La composition de la Commission doit être revue » nous expliquait par exemple Olivier Gayraud, le chargé de mission au sein de la Confédération de la consommation, du logement et du cadre de vie (CLCV). « Les ayants droit ont un poids trop important. Ils sont 12 nous sommes 6 consommateurs aux côtés de 6 industriels. En théorie, on nous explique qu’on est 12 contre 12, mais dans les faits ce n’est pas exact. Les bénéficiaires n’ont besoin que d’une voix pour faire passer leur barème. Et cette voix est assez simple à aller chercher comme le montre l’expérience. »
Du côté de Familles Rurales, même analyse. « L’ensemble des associations dignes de ce nom demande un équilibre dans les collèges. Actuellement, ce n’est absolument pas le cas. On se retrouve face à douze ayants droit au garde à vous qui vont dans le même sens. En face, il y a deux collèges de 6 personnes n’ayant pas les mêmes intérêts. C’est toujours la même majorité qui peut décider de tout et de n’importe quoi » regrette Chantal Jannet. « Quand vous bénéficiez de la copie privée et êtes également majoritaire, vous essayez naturellement d’obtenir le maximum ».
Enfin, l’UNAF, l’Union nationale des associations familiales qui y siège également, constate que « les ayants droit sont majoritaires, ce qui rend les travaux très problématiques. Si tant est que les consommateurs et les industriels voudraient faire passer une évolution, on se heurterait à un blocage simple lié au nombre d’ayants droit siégeant autour de la table » nous exposait cette fois Olivier Andrieu Gérard, responsable des médias et des usages numériques au sein de l’Union. « Nous ne sommes pas dans une logique d’opposition les uns aux autres, nous voulons simplement une solution acceptable qui tienne compte de la juste rémunération des créateurs, mais qui compense un réel préjudice. Il faudrait définir un petit peu mieux cette notion comme la façon dont on calcule ce préjudice. Il faut compenser, certes, mais nous n’avons pas entière satisfaction sur la matière dont sont calculés ou évalués les préjudices. Il n’y a par exemple pas de preuve qui montre une spécificité française à la hausse ou à la baisse des pratiques de copie entre les Français et les partenaires européens. Certains sont très bas, d’autres sont très élevés comme en France, la réponse juste doit sans doute être au milieu. Dans tous les cas, il faut trouver la bonne méthode ».
Familles de France souhaite une commission sans industriels
Du côté de Familles de France, Michel Bonnet, administrateur de l’association, les revendications sont autres : « est-ce vraiment une commission paritaire ? La parité absolue, serait d’avoir 12 représentants des ayant-droits et 12 représentants des consommateurs. En effet, il y aurait face à face ceux qui bénéficient de la copie privée, ceux qui s’en acquittent ».
L’intéressé, administrateur de Familles de France, se demande du coup si les industriels ont bien leur place au sein de cette commission. Avec des réponses variables suivant les hypothèses « Oui, si on considère que le prix final des produits qu’ils fabriquent, importent et vendent a une importance non négligeable dans les décisions d’achats des consommateurs et donc dans leurs chiffres d’affaires. Non, si on considère que la « copie privée » est le fruit d’une décision politique et que la culture mérite l’attention de la France. Non, si on considère qu’une harmonisation européenne, voire mondiale, de la « copie privée » pourrait régler le problème des industriels, cette harmonisation dépassant de toute façon le rôle strict de la commission copie privée » Pour Familles de France, « la France doit garder son système et d’ailleurs les conséquences pour les industriels français sont minimes puisque presque tous les équipements dont on parle sont fabriqués à l’étranger, voire en dehors de l’Europe. »
L’association réclame donc une commission paritaire avec deux collèges, 12 ayants droit et 12 consommateurs, et un président représentant de l’État. « On pourrait ajouter trois règles pour améliorer le dispositif : le président ne vote pas les barèmes et ils ne peuvent être validés qu’avec 2/3 de votes favorables ; les industriels sont invités à présenter leurs points de vue une fois par an devant la commission, avant le vote final ; les industriels ont connaissance des résultats des études d’usage et sont invités à faire leurs commentaires devant un groupe de travail de la commission à chaque fois ». Bref, les industriels ne seraient relégués qu’à un rôle subalterne et en tout cas externe à la cuisine de la redevance.
Pour Familles de France, la copie privée a de multiples avantages
Selon ce représentant, par ailleurs enseignant, spécialiste, critique, et auteur de BD, mais également président du Conseil paritaire de la publicité en France, la copie privée doit être défendue, car elle « présente plusieurs avantages ou points forts ».
L’association y voit « un dispositif d’équité et de justice vis-à-vis des créateurs dont le travail est rémunéré indépendamment des moyens techniques dont dispose le consommateur ». C’est aussi « une garantie juridique pour les familles, en définissant clairement l’utilisation légale des matériels de copie et stockage de fichiers contenant des créations artistiques et intellectuelles ». Le dispositif garantit également « la transmission intra familiale des œuvres d’art et des créations en autorisant les copies en son sein de façon libre. »
Ce n’est pas tout : ce représentant des consommateurs considère qu’il s’agit d’un « moyen de financer des actions culturelles et d’améliorer ainsi l’accessibilité au plus grand nombre de familles de ces actions culturelles ». C’est encore « un moyen pour aider à la formation culturelle dans notre pays en participant au financement des structures qui dispensent ces formations et dont bénéficient aussi les familles directement – quand un membre suit une de ces formations – ou indirectement à travers l’amélioration de la qualité de l’offre culturelle. Enfin, même si ce n’est pas le cas le plus courant, c’est une source de financement des actions de solidarité et d’action sociale tournées vers les artistes, permettant ainsi, entre autres, le maintien d’une diversité artistique dans notre pays ce qui n’est plus le cas ailleurs. »
Bref, selon lui la copie privée et sa redevance sont une source inépuisable de cercle vertueux : « grâce, entre autres, au dispositif de « copie privée », les biens culturels ne sont pas seulement ballottés par la loi de l’offre et de la demande, mais bien, partiellement, protégés par une Nation qui considère qu’elle a là un outil majeur de l’épanouissement humain ! C’est un atout qu’il ne faudrait pas perdre, les familles attendent plus des responsables et représentants participant à la commission copie privée ! »

À l’étranger le prix d’une place de concert serait plus cher qu’en France
Alors certes, la France est au coude à coude avec l’Allemagne dans les pays qui ponctionnent le plus de redevance, mais selon Michel Bonnet, ces classements (établis par les ayants droit) sont à prendre avec prudence : « Il faudrait comparer tout dans son ensemble pour établir des classements. Dans certains pays, effectivement et ce n'est pas négligeable, la copie privée est moins élevée... mais le prix d'une place de concert est beaucoup plus cher que le prix moyen en France ! De plus, dans certains pays moins coûteux, la chanson locale, le cinéma local, la culture locale ont beaucoup plus souffert, parfois ont disparu ! Ce n'est pas ce que nous voulons ! »
Les vertus de la copie privée
Inversement, peut-on dire que ce haut niveau de perception, plutôt que la gratuité, permet finalement au consommateur de prendre conscience du coût de la culture ? « La gratuité est une mauvaise solution, car derrière, il y a toujours un coût réel ! On peut imaginer, solution défendue par Familles de France en son temps, qu'une licence globale, perçue au moment d'un abonnement internet ou téléphonique, serait une meilleure solution... mais la copie privée a des vertus pédagogiques ! ».