L’Allemagne travaille actuellement sur un projet de loi assez radical : l’obligation pour les entreprises américaines de montrer patte blanche si elles veulent fournir du matériel et des services à des secteurs jugés critiques de l’économie. Une décision qui pourrait largement favoriser les sociétés allemandes, en particulier Deutsche Telekom.
L’Allemagne très remontée contre les États-Unis
L’Allemagne est particulièrement sensibilisée à la trainée de poudre laissée par les révélations successives émanant des documents dérobés par Edward Snowden à la NSA. Le pays, nettement échaudé par le scandale de l’espionnage du smartphone de la chancelière Angela Merkel, avait décidé en mai d’interdire aux équipementiers réseau de fournir du matériel aux instances de l’État, à moins qu’ils ne s’engagent à respecter certains critères stricts et qu’ils ne s’engagent par écrit à ne diffuser aucune information relative aux citoyens allemands aux agences américaines de renseignement.
Mais la situation n’a fait depuis que se dégrader. En juin, après avoir essayé en vain d’obtenir des États-Unis un accord de non-espionnage, le gouvernement allemand mettait fin aux contrats le liant à Verizon d’ici l’année prochaine. C’est finalement Deutsche Telekom qui a remplacé l’opérateur américain, soulignant ainsi la volonté de nos voisins d’établir une souveraineté numérique.
Un projet de loi veut forcer les entreprises américaines à montrer leur code source
Et ce n’est pas le projet de loi en cours de développement qui va calmer le jeu. Le gouvernement allemand envisage en effet d’interdire purement et simplement aux sociétés américaines de vendre leurs produits à l’ensemble des secteurs économiques jugés critiques, qu’ils soient liés à l’État ou privés. À moins que ces entreprises ne montrent patte blanche et ne fournissent des renseignements très précis, notamment le code source.
Et les domaines dont il est question sont particulièrement nombreux, comme l’indique le professeur Hartmut Pohl, de l’université de Bonn-Rhein-Sieg, au Wall Street Journal : « N’importe quelle zone économique pouvant être attaquée depuis un ordinateur – en gros tout ce qui va de l’énergie aux transports, en passant par l’administration publique et la finance ».
Sous le feu du texte se cache la colère et la méfiance extrême du pays envers les activités de la NSA, et plus globalement du renseignement américain. Le phénomène a été amplifié lorsqu’il a été découvert qu’au moins un analyste du renseignement allemand envoyait secrètement des informations à la NSA. Mais si la souveraineté numérique peut paraître un noble idéal, elle échappe à certaines réalités économiques et pourrait faire le jeu d’au moins un acteur en particulier.
Des inquiétudes au sein du pays sur une vision unilatérale
Le Wall Street Journal cite notamment Konstantin von Notz, membre du parti allemand des Verts et dans l’opposition : « Bien entendu, Deutsche Telekom [dont l’État possède 32 %, ndlr] tente de profiter du sentiment de trahison dans l’affaire de la NSA pour ses propres intérêts ». Pour Andreas Middel, porte-parole de l’opérateur, ce type d’accusation est « absurde » : « Dans la discussion autour de la loi sur la sécurité des systèmes d’information, nous devons nous rappeler qui a causé tout cela ». En d’autres termes, les États-Unis n’ont que ce qu’ils méritent.
Car le projet de loi n’inquiète pas que les entreprises américaines, qui préparent d’ailleurs une lettre ouverte au gouvernement pour les mettre en garde contre le retard technologique qu’un tel repli technologique pourrait induire. L’éditeur allemand SAP regrette également la direction prise actuellement. Selon lui, les « solutions nationales pour l’informatique en nuage ne sont pas la bonne méthode. Nous devons travailler avec les partenaires internationaux comme les États-Unis et simplifier l’infrastructure de régulation ».