En justice, la liberté d’expression supplante parfois le droit à l’oubli

Ne l'oublions pas
Droit 4 min
En justice, la liberté d’expression supplante parfois le droit à l’oubli
Crédits : iStock/ThinkStock

En 2014, des décisions sur le droit à l’oubli, ou plus exactement sur le droit à l’effacement, ont nourri la jurisprudence en France. On retiendra spécialement celle rendue par la cour d’appel de Paris, le 28 mai 2014, que nous avons pu consulter récemment.

Dans cette affaire examinée le 28 mai 2014, un magistrat s’est plaint de la diffusion par l’Express en mars 2000 d’un article le concernant, intitulé « Juge et partie au tribunal de commerce ». Ce qui l’embête particulièrement est que lorsqu’on tape son nom sur Google, l’article qui relate des poursuites exercées à son encontre pour des faits de corruption remontant à 1988, apparaît en premier résultat. Ce magistrat avait alors fait appel à Reputation Squad pour en obtenir le déréférencement. Mais nos confrères lui ont répondu « qu'aucune circonstance particulière ne commande de supprimer l'article visé ci-dessus qui fait partie des archives de L’Express. »

Un juge qui craint d’être stigmatisé, un média qui craint l’occultation

Condamné par les juges du fond en 2005 pour les faits relatés (deux ans de prison avec sursis, 30 000 euros d'amende et 80 000 euros de dommages et intérêts solidairement avec un autre juge) le magistrat a tenté devant la justice d’obtenir malgré tout gain de cause contre ce média.

 

Après avoir essuyé un refus du TGI de Paris, il a fait valoir devant la cour d’appel de Paris qu’en vertu de l'article 6, 5° de la loi du 6 janvier 1978, les données stockées dans la mémoire des ordinateurs ne peuvent « pas [être] conservées au-delà de la durée nécessaire aux finalités pour lesquelles elles sont collectées et traitées ». Après quoi, il estime qu’elles doivent être anonymisées. De même, selon lui, l'exercice du droit d'opposition « doit aboutir, pour des raisons légitimes et lorsqu'une liberté individuelle est menacée, à la désindexation d'un article, accessible sur le moteur de recherche Google », afin d’éviter la « stigmatisation » contre la personne en cause.

 

Dans le camp d’en face, l’Express fera valoir que l’article 6, 5° ne s’applique pas aux journalistes (article 67 loi CNIL). De même, si quiconque peut invoquer son droit d’opposition, le sujet ici est « d'intérêt général » puisqu’il met « en cause le fonctionnement des tribunaux de commerce » sans toucher à la vie privée. De plus, les faits ne sont pas contestés ni réhabilités ou amnistiés.

 

Devant la cour d’appel la question était donc simple : un juge qui a purgé sa peine pour des faits anciens peut-il obtenir effacement de son passé relaté dans un article en ligne ?

La liberté d’expression l'emporte ici sur le droit d’opposition

La cour d’appel va répondre par la négative, en protégeant la liberté d’information et d’expression. Elle considère que « lorsque les informations révélées par la presse sont relatives au fonctionnement des institutions fondamentales de l'État, une plus grande liberté d'expression est tolérée, ce qui est le cas en l'espèce s'agissant du comportement d'un magistrat » lequel fut accusé de corruption active. Pour les juges d’appel, c’est ici « un sujet d'intérêt général dont il doit être débattu librement dans une société démocratique, quelle que soit l'ancienneté des faits dénoncés. »

 

Plus significativement, la cour considère que « la suppression du référencement de l'article à partir des nom et prénom du demandeur, par suppression du lien sur le moteur de recherche de Google, porterait une atteinte grave à la liberté d'expression garantie par l'article 10 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ». Insistant dans cette voie, elle ajoute que « le simple maintien de l'article sur le site des archives de l'Express ou anonymé sur Google porterait atteinte de la même manière à la liberté d'accès à l'information. »

 

La justice confirmera donc le jugement du tribunal de grande instance de paris qui avait constaté l'absence de motif légitime à la désindexation ou à l’anonymisation. Elle condamnera en outre le magistrat à supporter les frais en justice engagés par l’Express.

Une décision rendue après l’arrêt « droit à l’oubli » de la CJUE

L’affaire en question a été jugée après la fameuse décision Costeja de la Cour de justice de l’Union européenne. Le 13 mai 2014, celle-ci a considéré en substance que Google était responsable des données personnelles traitées par ses algorithmes et que quiconque pouvait réclamer d’une antenne nationale du moteur l’effacement de ces informations lorsqu’elles sont obsolètes, inopportunes ou ne sont plus pertinentes (voir cette actualité sur les critères complets). Selon le dernier décompte datant d’octobre 2014, Google a accueilli près de 29 000 demandes tendant à l’effacement de données personnelles dans son moteur. Sur les 90 000 URL en cause, le moteur en a supprimé environ la moitié (51,5 %) selon des critères pour le moins flous.

 

Ces demandes sont normalement indépendantes de celles exercées contre l’éditeur du site référencé (comme ici l’Express), cependant Google devrait pouvoir s’en inspirer à plein nez pour repousser ou accueillir favorablement celles tombant devant sa porte.

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