Le rapporteur public a examiné aujourd’hui les demandes d’annulation exprimées par de nombreux membres de la filière de l’électronique, de la distribution et de l’informatique contre deux décisions concernant la Copie privée. Il a conclu cependant au rejet total de ces demandes, sans éviter un certain agacement sur des bizarreries constatées dans cette chère redevance. Compte rendu.
Le sujet de la copie privée « est trop présent à votre esprit pour qu’on s’étende plus que cela » dira d’entrée de jeu le rapporteur public, celui chargé de conseiller le Conseil d’État dans le traitement des contentieux. Et pour cause, sur huit décisions de la Commission copie privée déférées à sa porte, six ont été annulées par la haute juridiction.
La « malédiction » de la copie privée
À chaque fois, il a constaté des barèmes illicites au point que le rapporteur s’est amusé à noter une « sorte de malédiction » dans ce royaume. Beauté administrative : les ayants droit n’ont pas eu à rembourser la quasi-totalité des sommes prélevées illégalement. Pourquoi ? Car celles-ci avaient été « consommées » par la filière, comprendre réparties aux titulaires de droits, ou engagées sur le financement de l’action culturelle. Or, un tel remboursement aurait conduit à un joli big bang pour la filière. De plus, l’Europe considère que la redevance est une obligation de résultat dès lors qu’un état membre institue une faculté de copie privée.
Jusqu’à présent les principaux points de contentieux concernaient les modes de calcul des barèmes. Les 12 ayants droit, « dominants » au sein de cette commission face aux six industriels et six consommateurs, avaient en effet pris en compte les sources illicites ou encore les usages professionnels pour maximiser les entrées d’argent. Aujourd’hui, le rapporteur public avait à examiner les demandes d’annulation des barèmes 14 et 15 de la commission avec de nouveaux points de droits.
Un certain « agacement » sur les barèmes
Pour la 14, les reproches se focalisaient sur les barèmes pour le moins curieux dont ont profité les ayants droit. Ces barèmes, qui frappaient alors de nombreux supports, avaient été adoptés en référence à une décision préalable, la 13, qui elle-même avait été annulée. Ce lien n’était cependant pas suffisant pour justifier une annulation « mécanique », a considéré en substance le rapporteur.
Dans son contrôle de la légalité, il prêtera cependant une oreille plus attentive aux remarques du SFIB et du Simavelec. Ceux-ci ont mis en effet en question l’impartialité des décisions de la Commission puisque les barèmes sont établis par des études d’usages financés par les ayants droit. « Cette façon de faire est inhabituelle » concède-t-il timidement. Cependant, il remarque qu’un membre du collège des consommateurs a contribué à leur financement (en taisant le montant de cette contribution, 1 euro symbolique) et les industriels avaient été invités à se joindre à ces études, en plus d’être destinataires de ses données brutes. Bref : du balai.
La question de l’APROGED a également été étudiée. Cette association n’a plus siégée pendant des mois en Commission copie privée. Des industriels ont estimé que le président de la Commission s’est illégalement abstenu à constater ce départ, afin que son remplacement soit décidé. Cependant, le rapporteur a considéré qu’au regard des pièces disponibles, il y avait lors du vote du barème 14 un certain flou sur les véritables revendications au départ de cette association. Argument rejeté.
Au fond, le rapporteur a cependant fait état de son « agacement » à voir des barèmes se maintenir au même niveau alors que les décisions d’annulation pleuvaient au Conseil d’État. Ainsi celui-ci avait pilonné des tarifs qui n’avaient pas exclu les sources illicites. On se souvient que pour expliquer la constance de ces barèmes, la SACEM nous avait expliqué que les bénéficiaires tenaient maintenant compte d’un critère trop souvent minoré, celui du taux de compression.
Sur la calculette posée en coin de table, on a retiré les sources illicites des études d’usage, mais on tenait compte de la compression qui permet de mettre plus de copie privée sur un même espace. Et on arrivait aux mêmes taux, au centime près. Cette stabilité a été jugée « très suspicieuse » par le rapporteur, cependant il n’a pas considérée qu’elle était erronée au regard de l’erreur manifeste d’appréciation, qui limite le contrôle du Conseil d’État.
La démission des industriels est sans effet selon le rapporteur public
L’un des gros morceaux concernait la décision 15. Et pour cause : ce barème, en fait une mise à jour globale de tous les tarifs frappant tous les supports, a été adopté en décembre 2012 alors qu’un mois et quelques jours auparavant, cinq des six industriels démissionnaient de la Commission. Est-ce que du coup cette démission plombe la légalité de ces barèmes ? Le rapporteur a souligné à nouveau que la redevance pour copie privée est une obligation imposée par l’Europe. Il convient donc d’assurer « la continuité du dispositif » qui était alors en cause.
Sur ce terrain, le ministère de la Culture et Copie France ont tenté quelques arguties juridiques pour expliquer en substance que ce n’était pas les organisations qui avaient démissionné, mais leurs représentants. Nuance ! Mais l’idée, aussi judicieuse ou vicieuse soit-elle, sera écartée par le magistrat. Pour lui, ils ont bien démissionné et personne ne pouvait s’y opposer, pas même le président de la Commission copie privée.
Autre chose, il a rejeté le principe de la formalité administrative impossible qui ne s’applique surtout qu’aux commissions consultatives alors qu’ici d’autres organisations ou sociétés non membres de cette commission, avaient soulevé l’irrégularité. Malgré tout, selon lui, une administration doit se passer des manœuvres de ce type. « Il faut éviter que les représentants d’organisations professionnelles puissent compromettre un service administratif » a-t-il dit en substance, le doigt sur plusieurs jurisprudences. Justement, selon lui, le départ des industriels n’a pas laissé un temps raisonnable au ministère de la Culture alors que leur départ impliquait de repenser tout le fonctionnement de la Commission, et donc un décret en Conseil d’État.
Une décision prise « pour raison d’État »
Comment donc expliquer cette posture ? Contacté en sortie du Conseil d’État, Me Olivier de Chazeaux, avocat du Simavelec considère que « c’est une décision prise pour raison d’État ». D’un côté, le rapporteur a confirmé que la composition n’était plus valablement constituée et deux, le ministère aurait dû procéder à une nouvelle organisation. « Il a essayé de se rattacher au fait que la France serait tenue à une obligation de résultat dans la perception de la redevance. Cependant il s’est placé dans la situation actuelle ».
Situation actuelle ? Explications : le rapporteur a considéré que l’annulation du barème 15 aurait fait tomber une partie du château de cartes de la Copie privée puisque d’autres anciens barèmes ont été annulés. Cependant, à l’heure des faits, la décision 13 était toujours valable puisque ce n’est qu’ultérieurement que la haute juridiction a procédé à son pilonnage. « Le danger de défaut d’obligation de résultat n’existait donc pas à l’époque des faits » jauge l’avocat. « Son raisonnement repose sur une raison d’État : préserver la situation actuelle des ayants droit » insiste-t-il. À l’instar du soldat Ryan, « il fallait sauver la Copie privée » : le rapporteur a souligné la nécessité pour le ministère de revoir le fonctionnement de la Commission ce qui n’était pas possible dans ce mois qui séparait la démission du vote du barème 15. « C’est triste et regrettable, mais c’est ainsi que cela se passe dans l’organisation française ».
Finalement, le Conseil d’État est pris dans un système « sans échappatoire » : il pourrait décider l’annulation du barème 15, tout en reportant dans le temps sa décision d’annulation afin de laisser à la commission du temps pour blinder ce qui doit l’être. Mais comme la Commission n’existe plus, l’hypothèse est bloquée. « La seule conséquence de la démission, c’est que les ministres doivent nommer d’autres organisations représentatives » conclut le juriste.
Enfin, pour que la théorie des formalités impossibles put jouer, encore fallait-il de faire la démonstration que le ministère avaient contacté d’autres organisations qui auraient au surplus décliné cette invitation. « Il ne l’a jamais fait et est donc dans l’incapacité de le faire » constate Me de Chazeaux. « Maintenant, cela veut dire que la Commission Copie privée n’est plus valablement constituée et elle ne peut plus prendre de décision en l’état. Le gouvernement n’a pas d’autres solutions d’envisager une réforme profonde de ce système » anticipe encore sur sa lancée le juriste. Seulement, il faut maintenant attendre la décision au fond qui devrait intervenir dans les trois semaines. Une dernière chose à noter : sauf cas exceptionnel, le Conseil d’État suit les conclusions de son rapporteur.
Le contentieux européen, seule solution ?
Si ce contentieux franco-français est effectivement rejeté, l’expérience montrera une nouvelle fois que la stratégie n’est peut-être pas la meilleure solution. Il y a un dossier suivi comme le lait sur le feu par les ayants droit. C’est celui soulevé par Imation qui a justement invoqué des arguments purement communautaires devant les juridictions judiciaires, expliquant que la directive de 2001 ne permet pas d’assujettir même temporairement les supports achetés par les pros pour les pros.
C’est pour cette raison qu’Imation a stoppé le paiement de la RCP en France, considérant avoir trop payé depuis l’entrée en vigueur de la directive droits d’auteur et droits voisins. Ces arguments ont fait pour l’instant mouche et on attend l’issue du dossier dans les trois mois à venir.