[Interview] UFC-Que Choisir : Internet, bientôt le règne du camelot ?

Quelle confiance demain chez les cybermarchands ?
Droit 4 min
[Interview] UFC-Que Choisir : Internet, bientôt le règne du camelot ?
Crédits : Oleksiy Mark/iStock/Thinkstock

Dans une affaire mettant en cause Cdiscount en France, la justice européenne risque de mettre à terre notre législation encadrant les prix réduits. Nous avons recueilli l’analyse de Nicolas Godfroy. Le responsable juridique UFC-Que Choisir démultiplie les critiques contre ce scénario.

Selon l’actuelle réglementation française, les cybermarchands ne peuvent faire n’importe quoi avec ces prix dits de référence (ou prix barrés). Ils doivent principalement s’appuyer sur le prix le plus bas effectivement pratiqué sur leur site au cours des trente derniers jours ou le prix conseillé par le fabricant ou l'importateur. Or, la directive européenne de 2005 relative aux pratiques commerciales déloyales ne prévoit pas une telle interdiction. Elle se contente d’exiger une appréciation au cas par cas. Pour résumer, le juge national devrait donc déterminer si la pratique en cause trompe ou non le « consommateur moyen ». En clair, le droit français est plus restrictif que le droit européen et c’est cette différence que compte exploiter Cdiscount pour faire tomber notre réglementation. Nous avons interrogé sur le sujet Nicolas Godfroy, le responsable juridique de l’UFC-Que Choisir.

Quelle analyse faites-vous de l’affaire Cdiscount ?

Le problème des prix de référence est récurrent avec certains cybermarchands, parfois plus proches du camelot que du professionnel, ce bonhomme sur le marché qui exagère un peu les réductions. Il y a une envie d’exagération sur les prix assez importante notamment sur les ventes privées. Dans le passé, on a pu ainsi voir un aspirateur vendu avec un prix de référence barré, vieux de plusieurs années. Voir une telle remise en cause de la législation qui encadre ces réductions est assez inquiétante, même si ce n’est pas fondamental puisque certains continuent de tricher.

Vous craignez donc la perte d’une garantie fondamentale pour le consommateur…

Oui, cela va être la foire d’empoigne avec des annonces de prix fantaisistes puisque le nerf de la guerre est sur le prix de référence. Au final, cela pourrait aussi se retourner contre les professionnels eux-mêmes. L’UFC-Que Choisir avertissait déjà les consommateurs qu’il ne fallait pas se fier aux annonces de réductions de prix. Notre message va donc redoubler si la réglementation tombe : nous inviterons les consommateurs à utiliser les comparateurs de prix, puisque ces annonces ne correspondront plus à rien. Le professionnel, lui, va rentrer dans une forme d’insécurité juridique : lorsque l’UFC engagera une procédure sur la base de la directive, cela sera sur l’appréciation souveraine du juge.

Une insécurité juridique liée au fait que le juge examinera au cas par cas ?

Tout à fait ! Les professionnels vont vouloir aller loin, prendront des risques puisqu’ils feront ce qu’ils veulent tant qu’ils restent dans les critères du texte européen, qui sont assez flous. Faute de services juridiques adéquats, certains dépasseront la ligne rouge. Ils ne comprendront donc pas lorsque nous leurs tomberons dessus et que le juge sanctionnera une pratique commerciale trompeuse. Les sanctions peuvent tout de même atteindre plusieurs dizaines de milliers d’euros, des dommages et intérêts, outre une possibilité de publication sur le site internet. Certains n’ont pas mesuré le risque !

Mais la réglementation française a-t-elle une vraie fragilité face à la directive ?

Le problème est qu’on est face à une directive d’harmonisation maximale. Il y a une impossibilité d’appliquer ses propres textes, d’aller plus loin que la réglementation. Comme vous l’avez dit dans votre article, si l’infraction n’est pas en elle-même mentionnée dans ce texte, il faut savoir si la pratique trompe ou non le consommateur sur le prix, considéré comme une caractéristique essentielle.

 

On n’est pas joyeux de voir cela puisqu’on subit une directive mal calculée. Si le texte devait bien tomber, ce serait l’illustration parfaite qu’un texte de protection crée finalement une insécurité juridique, y compris pour les professionnels. Le juge devra se demander pour chaque cas si le consommateur a été ou non trompé sur le prix alors que l’actuelle législation française encadre ces prix.

 

Si celle-ci est remise en cause, le réveil sera douloureux pour les petits professionnels sans service juridique : nombreux vont comprendre le message comme étant la fin de la réglementation ! Celle-ci leur est pourtant favorable. Elle évite d’un côté de se tromper et se retrouver en insécurité juridique. De l’autre côté, l’actuelle réglementation limite les comportements bizarres des petits copains. Au contraire, si la procédure va au bout, le professionnel, qui voudra donner une information claire, sera incité à ne pas le faire si des concurrents font n’importe quoi.

 

L’autre risque, c’est une crise de confiance de la part des consommateurs. Les professionnels comptent de plus en plus sur l’achat plaisir. Tant que le marché est en expansion, ça va, mais si on y instille un doute, ils risquent d’y perdre dans le temps en termes de chiffres d’affaires.

Qu’en dit le gouvernement ?

Comme rapporté dans un article de LSA-Conso, le cabinet de la ministre du Commerce Carole Delga a reçu des organisations professionnelles du commerce. Il pense à remettre en cause la législation française sur les réductions de prix. Pour notre part, on ne peut que regretter que les associations de consommateurs soient moins consultées qu’on le devrait.

 

Merci Nicolas Godfroy.

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